Quatre années se sont passées depuis le tremblement de terre le plus violent qu’ait connu Haïti. La communauté internationale s’était mobilisée à l’époque, s’engageant à verser plusieurs milliards pour aider les Haïtiens à reconstruire leur pays. Le bilan n’est pas aussi bon et optimiste que le voudraient certains discours officiels.
Le 12 janvier 2010, Haïti était touché par le plus terrible tremblement de terre de son histoire tourmentée (des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers de blessés, plus d’un million et demi de personnes déplacées dans des camps). La communauté internationale s’est mobilisée dès mars 2010 lors de la conférence des donateurs, engageant 5,3 milliards de dollars pour la reconstruction « durable » d’Haïti. Quatre ans se sont écoulés et le discours officiel des organisations internationales est à l’optimisme, malgré la succession de catastrophes qui ont depuis frappé le pays (inondations, ouragans, épidémies, etc.). L’aide d’urgence aurait atteint ses objectifs, les camps de déplacés seraient en voie de résorption, tandis que les programmes de reconstruction auraient pris le relais.
Faut-il adhérer à cette vision positive de la situation économique et sociale et les promesses de lendemains qui chantent, même si tous conviennent qu’il faudra du temps ? Haïti, jusque là « pays maudit », est-il en train de lever la malédiction pour enclencher enfin un processus de développement durable ? L’analyse des enquêtes de grande envergure menées par l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique avec l’appui de l’unité mixte de recherche DIAL (IRD et Université Paris-Dauphine) montre sans ambiguïté que le bilan est loin d’être aussi positif.
Une jeunesse sacrifiée
Sur le marché du travail, qui constitue la principale courroie de transmission entre la dynamique macroéconomique (croissance, aide extérieure) et les conditions de vie des ménages, le constat est critique. Non seulement la situation s’est profondément dégradée par rapport à 2007, date de la dernière enquête disponible, mais surtout ce sont les jeunes qui ont payé le plus lourd tribut. A titre illustratif, 20 % des enfants de 10 à 14 ans exercent un emploi contre à peine 1 % en 2007.
La rémunération des jeunes a baissé de près de 60 % en cinq ans, celle de leurs ainés s’améliorant sur la même période d’environ 20 %. Tous les indicateurs sont à l’avenant. Les jeunes ont été contraints de se mettre au travail dans des conditions de précarité extrême. De plus, tous les jeunes ne sont pas logés à la même enseigne. Ils sont d’autant plus sanctionnés qu’ils sont d’origine modeste, entrainant une explosion des inégalités, pourtant déjà parmi les plus élevées au monde.
L’urgence du logement
Neuf ménages sur dix ayant séjourné dans un camp n’ont toujours pas trouvé un logement adéquat. Seulement 2 % des ménages dont le logement a été fortement endommagé ont reçu une aide au déblaiement et 7 % une aide à la reconstruction. L’aide institutionnelle a largement ignoré la population en dehors de l’agglomération de Port-au-Prince, alors qu’un peu plus de six ménages sinistrés sur dix se trouvaient hors de la capitale. Plus encore, près de la moitié des personnes sinistrées ont trouvé refuge auprès d’autres ménages (parents, amis, voisins) pour la plupart hors de la capitale, signe de la vitalité de la solidarité malgré les fortes disparités sociales.
Le nombre de sinistrés qui ont perdu leur logement est donc supérieur à celui des personnes dans les camps et la plupart sont restées invisibles aux politiques d’aide. Amnesty International a dénoncé l’expulsion forcée des ménages des camps (situés pour les trois quarts sur des terrains privés). Le gouvernement a obtenu de l’Organisation internationale pour les migrations de ne plus comptabiliser parmi les résidents des camps 54 000 personnes des camps de Canaan, Jérusalem et Onaville, arguant que « la zone est devenue un quartier où les gens ont l’intention de rester ». Dans la capitale, près d’une personne sur dix réside encore dans un camp.
De ce fait, le logement doit être l’une des priorités des actions de reconstruction, afin d’inverser la tendance réelle à la « bidonvilisation » des camps des déplacés, qui engendre des carences sévères et rend la population encore plus vulnérable à l’épidémie de choléra qui sévit actuellement.
Par ailleurs, si les risques d’explosion sociale ne semblent pas d’actualité, le sort inique réservé à la jeunesse haïtienne doit être corrigé de manière urgente. Il s’agit bien sûr d’une question de justice sociale, mais au-delà c’est l’avenir même du pays qui est en jeu. En effet, le sacrifice de la génération montante risque d’entretenir un cercle vicieux intergénérationnel gageant la croissance économique de long terme. Un tel engrenage installerait durablement Haïti dans une trappe à pauvreté à laquelle il deviendrait difficile d’échapper.
LES AUTEURS
Javier Herrera, Directeur de recherche à l’IRD, responsable du programme EISHA (Evaluation d’impact du séisme en Haïti) de l’Agence nationale de la recherche
François Roubaud, Directeur de recherche à l’IRD
Claire Zanuso, Doctorante au laboratoire DIAL-IRD, coordinatrice du programme EISHA
Source: lesechos