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Le dialogue politique et institutionnel sous l’égide du clergé catholique

Depuis le vendredi 24 janvier dernier s’est ouvert un dialogue dit inter haïtien selon une logique de l’église catholique haïtienne. L’optique, c’est de mettre fin à la crise qui sévit dans le pays. De quelle crise s’agit-il ? Celle de nature structurelle que connaît l’État-nation dès l’aube de sa naissance en janvier 1804 ? Ou bien l’une des sous-crises conjoncturelles qui est articulée à la crise-mère ? Les élections, la gouvernance et l’amendement de la Constitution sont les trois points sur lesquels se déroule le dialogue dénommé ‘’dialogue politique et institutionnel ». On dirait alors que les grandes revendications que soulèvent les masses populaires sont de nature secondaire et ne méritent pas un examen minutieux. Des milliers d’ouvriers ont gagné à la fin de l’année dernière les rues de la capitale à la recherche d’un ajustement de salaire sans que leur demande ait été prise en compte. Des écoles publiques ont eu leurs portes fermées pendant cette semaine du 22 janvier parce que les professeurs refusent de continuer de vivre dans des conditions humiliantes. Les élèves de leur côté ont manifesté leur colère dans diverses régions du pays. Ils réclament des cours en vue de rester dans la fourchette du programme affiché par le ministère de l’Éducation nationale. L’horizon pour les protagonistes du dialogue est la démocratie occidentale une fois que la population souffrante admet l’illusion de l’égalité des chances.


Où est passé la médiation de la Religion de la Paix ?

L’église catholique a pris sous sa responsabilité de convoquer ceux qu’elle croit être les acteurs principaux pour mettre ou remettre le pays à flot. Le premier cardinal haïtien, Mgr Chibly Langrois, préside le processus qui devrait durer au moins une quinzaine de jours. La proposition de dialogue émise au cours du dernier trimestre de l’année 2013 par l’épiscopat haïtien s’est muée en réalité. Une rencontre préparatoire a eu lieu le mercredi 22 janvier de cette année 2014 suivi de la signature d’un protocole d’accord le vendredi 24 de ce même mois par les parties qui ont été sollicitées et qui ont accepté d’y participer.

Il est nécessaire de rappeler qu’en principe, Haïti se voudrait une république laïque. Ce qui ne met pas en question la religiosité de la grande majorité de sa population qui s’est renforcée au contraire avec le concordat signé entre le Vatican et l’État haïtien en 1860 sous le gouvernement de Fabre Nicolas Geffrard. Cette convocation de l’épiscopat haïtien nous permet d’observer le poids de l’église catholique sur la scène nationale malgré l’offensive tous azimuts des sectes évangéliques qui ont pénétré les coins les plus reculés du pays, là où le prélat se résigne à installer une chapelle qu’il visite quelques rares fois au cours d’une année. Les évêques haïtiens ont changé la donne en excluant les autres confessions. Ils ont mis, sans aucune explication, hors-jeu la médiation de ladite Religion pour la Paix qui rassemblait différentes confessions religieuses y compris l’église catholique et les vodouisants. Ils ont axé le dialogue sur une base exclusive en invitant ce qu’ils regroupent d’après leur propre terme et leur propre vision, en trois sortes d’acteurs : le gouvernement, les partis politiques et le parlement. Ils se contenteront d’après leur dire, d’exercer un arbitrage neutre qui ne facilitera aucune tendance. La Religion pour la Paix qui a aidé le président Martelly à se débarrasser de l’accusation de sa double nationalité avec la complicité de l’ambassadeur américain de l’époque Kennet Merton et qui a accompagné le gouvernement Martelly/Lamothe à créer le Conseil Transitoire du Conseil Électoral permanent (le CTCEP) n’a ni été consultée, ni invitée. Elle aurait son mot à dire, ne serait-ce que pour partager son expérience avec les nouveaux mandataires.

Que peut-on attendre de ce dialogue ?

La gauche et le mouvement populaire sont exclus in limine alors qu’ils sont les vrais porteurs des revendications du peuple. D’autres secteurs se réclamant de la démocratie tel que le Mouvement Patriotique de l’Opposition démocratique ont boudé l’appel parce que d’après lui, les conditions qu’il a proposées n’ont pas été retenues par les initiateurs. Les acteurs qui en fait s’assoient autour de la table ne sont pas à leur premier essai. Aveuglés pour la plupart par les élections quitte à les dénoncer quand ils ne sont pas élus ou réélus, ils sont toujours prêts à accepter un modus vivendi avec le pouvoir qu’ils ne cessent de dénoncer pour toutes sortes de dérives. Il est probable que si le président Martelly est acculé à respecter les résolutions, on aboutira à une remise en marche des mécanismes institutionnels. Est-ce que le dialogue parviendra à atteindre ce niveau ? Il n’y aucun doute que ce chemin emprunté par des partis politiques de la même famille idéologique social-démocrate ou de la droite pure ne saurait conduire le pays à sortir de la crise bi-séculaire qui le ronge de toutes parts.

En réalité, le nœud du problème ne réside pas dans le dialogue en soi. C’est une méthode dont on a toujours usé pour trouver des solutions à des situations des plus coriaces. Cependant, il faut certaines conditions telles qu’un certain rapport de force favorables aux différentes entités en conflit et une grande marge de manœuvre autonome pour parer les mauvais coups, déceler les subtilités afin de s’en protéger. Ces conditions sont-elles réunies au niveau du parlement et des partis politiques ? L’église catholique, elle-même, est-elle garantie de cette autonomie? Le gouvernement avec le soutien manifeste des puissances étrangères acceptera-t-il de céder sans aucune contrainte son hégémonie à d’autres groupes dont la plupart sont très malléables ? Ces derniers sont de préférence plus aptes au compromis et même à la compromission pour ne pas consacrer leur échec qu’à une résistance pour le maintien de leur conviction.

Ladite communauté internationale même si on ne la voit pas ne va pas se laisser berner pas des candidates et des candidats sur lesquels elle ne compte pas absolument. Il n’y a aucun doute que la ficelle qui est assez longue se trouve entre ses mains. Elle est experte à la manœuvrer en sa faveur, ce qui enlève le cachet de neutralité à ce dialogue qui de toute façon véhicule une idéologie. Celle- ci, ou bien elle appuie les revendications du pays et de la grande majorité de ses enfants ou elle n’est qu’une passerelle pour maintenir le statu quo. Il y aura peut-être des pansements à la grande plaie sans chercher à la guérir définitivement.

Cette idéologie n’est pas ouvertement dévoilée. Pour tromper qui ? Les masses populaires ou les puissances internationales ? Celles-ci qui ont leurs yeux et leurs cœurs rivés sur nos richesses minières et sur nos cadres bien formés pour les mettre à leur service soit ici, soit ailleurs où leurs intérêts le réclament, ne seront jamais dupes. Seule une mobilisation générale issue des forces travailleuses est capable de renverser la vapeur en leur avantage.

Marc-Arthur Fils-Aimé

28 janvier 2014