Le Conseil européen vient de donner un large mandat à la Commission pour ouvrir les négociations en vue de conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis. L’objectif affiché de ce « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » (PTCI) est de libéraliser les échanges entre les deux plus grands marchés de la planète. Les barrières tarifaires étant déjà faibles dans la plupart des secteurs, il s’agit de s’attaquer aux barrières non tarifaires, principalement les normes et règlements, qui gênent les entreprises dans leurs stratégies de pénétration des marchés étrangers. Par ailleurs, le cœur du PTCI est l’institution de clauses et de procédures d’arbitrage, dites investisseur-Etat, permettant aux firmes de porter plainte contre les États et les collectivités territoriales qui auraient mis en place des réglementations considérées contraires à leurs intérêts.
Le projet de PTCI a été célébré par les gouvernements et la Commission car cet accord devrait permettre à nos entreprises d’avoir accès à des nouveaux marchés, ce qui stimulera leurs exportations, et conduirait à un supplément de croissance, estimé à 0.5% par an. Comment refuser une telle perspective au moment où l’Union européenne se trouve engluée dans une récession durable ?
La réalité risque d’être très différente de celle présentée par les discours officiels. Ce partenariat ne sera pas un simple accord « technique », destiné à harmoniser les normes de part et d’autre de l’Atlantique. En fait, derrière les décisions qui seront prises, se cachent des risques importants et de véritables choix de société.
Le gouvernement français a affirmé avoir imposé – grâce à la mobilisation exemplaire des artistes, cinéastes, musiciens, … – que le dossier de « l’exception culturelle » soit exclu du champ des négociations. Mais peut-on faire confiance au commissaire De Gucht et à M. Barroso, opposés à cette exclusion, et qui ont critiqué publiquement la position française … La France sera-t-elle prête à opposer son veto, au risque de devoir faire des concessions coûteuses sur d’autres dossiers ?
La sécurité alimentaire est un autre aspect emblématique de la relation commerciale États-Unis-Union européenne. Le risque est grand de voir les multinationales américaines obtenir la levée des normes sanitaires interdisant aujourd’hui l’importation dans l’UE de viandes chlorées ou hormonées, ou encore de plantes génétiquement modifiées.
Dans le domaine de la propriété intellectuelle, les enjeux sont également considérables. Le renforcement de la lutte contre la contrefaçon et de la protection des droits conférés aux multinationales par la détention de licences et de brevets, dont la Commission est une fervente avocate, menace l’accès des citoyens à un internet libre, mais aussi à des médicaments génériques bon marché.
Les États membres et les citoyens qui refusent l’extraction de ressources présentes sur leurs territoires – en particulier le pétrole et le gaz de schiste – pourront-ils résister aux multinationales du secteur énergétique et aux pouvoirs publics états-uniens qui considèrent ces ressources comme la garantie de l’autonomie énergétique et de la compétitivité ?
Le PTCI ne menace pas seulement d’affaiblir les garanties qui protègent les citoyens, en tant que travailleurs et usagers ; il va aussi à l’encontre du principe démocratique qui suppose que ceux qui sont concernés par les normes et règlements puissent les décider, à travers leurs élus. Or cette négociation, qui sera conduite dans la plus grande opacité, violera ce principe. Et ce déni de démocratie risque d’être aggravé par la capacité donnée aux entreprises par le futur accord d’attaquer les États ayant fixé ces normes démocratiquement.
La société civile doit se mobiliser pour que, du fait de ses risques majeurs, cet accord ne voie jamais le jour !