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La campagne « Aba grangou » inquiète la Grand’Anse

Des organisations et des regroupements d’organisations de producteurs, de paysans et de femmes du département de la Grand’Anse dénoncent le programme « tikè manje » en exécution dans 9 des 12 communes du département et plaident pour « un véritable programme régional agricole », dans un document transmis à AlterPresse.


Ce programme piloté par l’organisation internationale humanitaire Care fait partie de l’initiative « Aba Grangou » du gouvernement haïtien. L’agence américaine pour le développement international (Usaid), le Catholic Relief Servives (Crs), Digicel sont des partenaires.

1 200 familles vulnérables doivent bénéficier d’une subvention de 2 000 gourdes chaque mois sur leur téléphone Digicel afin de se procurer « des produits importés » dans des boutiques ou des supermarchés identifiés par une pancarte marquée « Ici, vous pouvez utiliser votre ticket de nourriture ».

Les communes de la Grand’Anse concernées sont Moron, Chambellan, Anse d’Hainault, Dame Marie, les Irois, Corail, Roseaux, Beaumont et Pestel.

Les organisations de la Grand’Anse rappellent que les produits de l’agriculture paysanne sont vendus dans les marchés et s’inquiètent « de ce programme porteur davantage de problèmes à la production paysanne ».

Une affiche de 90×60 cm collée sur les murs en guise de publicité pour le programme prévient qu’il « est interdit d’acheter du clairin (eau de vie haïtienne), des boissons alcoolisées ou pas, cigarettes, des conserves et des produits ménagers ».

Dans une tentative de deviner « les véritables intérêts cachés du programme », les organisations se demandent pourquoi n’avoir pas « trouvé un moyen plus intéressant pour permettre aux bénéficiaires d’acheter de la production paysanne et ainsi favoriser la vente pour les producteurs. La production agricole n’en sortira que renforcée ».

Le choix de la Grand’Anse, un paradoxe

« Beaucoup de grand’anselais s’étonnent du choix de ce département pour l’application du programme de lutte contre la faim. Le paradoxe : les 9 communes choisies ne sont pas classées comme zones en situation d’insécurité alimentaire par la coordination nationale de la sécurité alimentaire », lit-on dans le document parvenu à AlterPresse.

Les informations collectées font croire que le programme « tikè manje (ticket de nourriture) » a été monté sur la base des « analyses de la Cnsa (Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire) faisant état de l’existence d’une insécurité alimentaire touchant 4 millions d’Haïtiens ».

La production nationale de vivres alimentaires n’arrive pas à nourrir la moitié de la population, selon la Cnsa recommandant du même coup « un programme devant secourir 20 000 familles durant six mois ».

Plusieurs études ont montré que le département de la Grand’Anse est un grenier de vivres alimentaires et de fruits. La pêche est l’une des activités les plus rentables dans la zone.

Alors quelle est la véritable explication de la coïncidence de « la période de récolte où fruits et vivres abondent et celle de l’exécution du programme d’aide alimentaire ? », se demandent les paysans. Y- a-t-il de la manipulation dans l’air ?

« Un spot radiodiffusé dit que les bénéficiaires peuvent acheter des produits agricoles paysans dans des institutions retenues dans le programme. On sait que c’est impossible car ces produits se vendent au marché », répondent les organisations.

D’autres problèmes…mais pas la faim

« Ce département a d’autres problèmes mais surtout pas un manque de vivres alimentaires », martèlent les producteurs de la Grand’Anse.

Ils conseillent à l’Etat haïtien et aux bailleurs d’aider plutôt à la reconstruction des routes agricoles pour la circulation des produits entre les communes et les autres régions du pays.

L’absence de support de l’Etat aux producteurs est identifiée aussi.

Les politiques agricoles appliquées par l’Etat qui favorisent la concurrence déloyale des produits importés, sont pointées du doigt.

A coté du massacre du cheptel porcin haïtien sous la dictature de Jean-Claude Duvalier en 1981, les organisations dénoncent les « Ong qui ont encouragé les paysans à abandonner l’agriculture au profit des programmes food for work ».

Qu’est-ce qui explique qu’on veuille appliquer un programme d’aide alimentaire dans un département qui n’est nullement confronté à l’insécurité alimentaire ? Faut-il voir une tentative de changer les habitudes alimentaires des grandanselais ? Est-ce une stratégie de destruction du travail paysan pour finalement imposer une zone franche comme alternative ?

Pour un programme régional agricole

Les entités signataires du document réfutent d’un revers de main la thèse des politiques haïtiens et des bailleurs expliquant l’insécurité alimentaire par la baisse de la production nationale.

Les organisations et regroupements exigent de l’Etat haïtien de tourner le dos « aux politiques économiques contraintes par les Fond monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale notamment la question du libre-échange ».

Elles montrent la voie à l’Etat qui doit mettre en place « un véritable programme régional agricole » pour le département de la Grand’Anse.

« Valorisation de la production paysanne, garantir les terres, un plan de reconstruction des routes agricoles, des centres de recherches sur la culture paysanne, une banque de crédit agricole avec des guichets dans les communes, protection commerciale et prix de garantie pour des produits importants, réseau de petites entreprises de transformations des produits du département » sont certains points de ce programme régional.

Les ministères de l’agriculture, de l’économie et des finances, du commerce et de l’industrie seraient chargés de la mise en œuvre, selon le document.

« La sécurité alimentaire durable de la population haïtienne ne peut être assurée par un ticket de nourriture pour se procurer des produits importés mais dans une autre direction dans les politiques publiques notamment dans l’économie », estiment les organisations.

Les organisations et regroupements signataires sont : Réseau des producteurs et productrices agricoles de Dame Marie, Anse d’Hainault, Moron (Ropadam) ; l’association des producteurs agricoles et de stockage de Duranton (Apasd) ; le Collectif pour l’appui technique et le renforcement des capacités (Katrek) ; l’Association des femmes Tèt Bos, 4e section de Dame Marie (Aftb) ; Les femmes en lutte, 3e section de Dame Marie (Fkl).

Source: Alterpresse