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Quand les sinistrés mettent la main à la pâte

(Ti-Guinen, Haïti) Les bonnes intentions ne manquent pas quand vient le temps d’imaginer la reconstruction d’Haïti. Mais du papier au béton, il y a une marge considérable. Certains projets sont aujourd’hui de véritables succès. Comme celui de Ti-Guinen, qui a permis à une communauté de reconstruire ses maisons en mettant la main à la pâte. D’autres, comme un centre dédié aux soins des handicapés haïtiens, relèvent encore de l’utopie. Nos journalistes se penchent sur les hauts et les bas de l’aide humanitaire dans ce dernier volet de notre série.


Marie-Louise Britus devant sa nouvelle maison, à Ti-Guinen. Son mari et elle ont participé à sa construction avec le soutien d'une ONG locale.

À Ti-Guinen, l’épicentre du séisme de janvier 2010 en Haïti est littéralement sous nos pieds. Presque toutes les maisons de cette localité située dans les montagnes derrière les villes de Léogane et Gressier ont été détruites.

«Seules les petites cabanes en bois et en feuilles sont restées debout», se souvient Marie-Roseline Britus, enseignante au primaire de 30 ans, un foulard noué autour de ses cheveux en toque.

Cette mère de jumeaux nés en novembre – ses premiers enfants – est aujourd’hui tout sourire. Elle se tient fièrement devant une petite maison neuve de trois pièces en béton, tôle et bois, qu’elle a participé à construire avec son mari. La bâtisse est au sommet d’une colline avec une vue imprenable sur les montagnes environnantes et la mer, au loin.

Après un an de travail ardu, nous sommes à quelques jours de la remise symbolique des clés de leur nouvelle maison, qui aura lieu mercredi.

La cérémonie se déroulera dans les locaux d’ITECA, organisme haïtien qui termine la gestion de ce projet-pilote de 100 maisons permanentes. Quelque 1600 autres maisons comme celles-ci seront construites d’ici trois ans.

«La plupart des ONG internationales ont fait une analyse humanitaire classique à la suite du séisme», déplore Chenet Jean-Baptiste, directeur exécutif de l’organisation implantée dans cette communauté depuis 1978. Ces organisations ont décidé de construire elles-mêmes des abris temporaires pour les sinistrés, explique-t-il.

«Les familles en milieu rural ont au moins des connaissances minimales en construction de petites structures, ajoute M. Jean-Baptiste. Pourquoi ne pas leur demander de construire des abris temporaires avec les débris de leur ancienne maison? C’est ce qu’on a fait et c’est dans ces abris que les familles habitaient pendant la construction.»

Entraide

«Pour les maisons permanentes, nous avons fourni la plupart des matériaux et de l’aide technique, poursuit-il, mais c’est chaque famille qui a participé à sa propre construction.» L’objectif était d’éviter les effets pervers de l’aide, qui risque fort, trop souvent, de déresponsabiliser les sinistrés. Des groupes de 10 familles voisines ont été créés. Mot d’ordre: l’entraide. Pour le transport des matériaux, la construction de chaque habitation et autant de latrines ainsi que de réservoirs d’eau pour récupérer la pluie.

La pierre et le sable nécessaires au ciment devaient provenir des montagnes environnantes. Des tests dans un laboratoire ont démontré qu’elles ne répondaient pas aux normes parasismiques maintenant très sévères. Les familles ont donc du participer à l’élargissement de la route sur plusieurs centaines de mètres, à travers des collines abruptes. Trois mois plus tard, ils ont enfin pu acheminer par camion les nouveaux matériaux et relancer la construction.

«On pensait qu’on pourrait transporter le tout à pied, explique Mme Britus. Mais avec le sable et la roche en plus, la tâche devenait trop grande pour 10 maisons.»

Les questions foncières complexes ont été réglées avec l’appui des autorités locales. Ils ont produit des titres de propriété valides. Certaines familles étaient propriétaires de leur terre depuis des générations sans preuve légale.

Pour chaque maison construite à Ti-Guinen, 11 000$ sont investis, c’est-à-dire environ le double d’un abri temporaire moyen. Ces abris sont, en général, sans toilette ni réservoir d’eau et coûtent en moyenne de 2000 à 6000$. Ils ont une durée de vie estimée de 3 à 15 ans, selon les modèles.

«On a maintenant une vraie maison, permanente et parasismique!», s’exclame Mme Britus, fière du travail accompli.

«Il faut penser à transformer les communautés en acteurs de leur propre reconstruction, soutient M. Jean-Baptiste. Il revient aux Haïtiens de s’occuper de la reconstruction de leur pays.»