Dans la nuit du mardi 20 au mercredi 21 décembre 2011, des gens armés de couteaux, machettes et bâtons, appartenant à l’AJPB (Association des Jeunes Progressistes du Bas-Peu-Chose) et accompagnés de policiers, ont investi la Place Jérémie située dans le quartier communément appelé Bas-peu-de Chose dans la commune de Port-au-Prince et ont détruit avec violence, les tentes où vivaient 79 familles déplacées depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010. Selon les estimations, ces familles totalisaient 945 personnes, parmi elles 225 enfants.
Les témoignages recueillis par le Collectif des organisations pour la Défense des droits des déplacés et la promotion du Droits au logement, montrent que les opérations ont commencé dans la nuit du mardi 20 décembre 2011 aux environs de minuit, quand un monsieur répondant au nom de Dominique Hector Bernardin et connu comme étant le président de l’AJPB accompagné d’un certain Chilov, lui aussi membre de la même association, sont passés de tente en tente pour procéder à une sorte de « recensement » et demander aux gens de se préparer à laisser la place. Sur requête de ces individus, certaines personnes ont donné leurs noms ou ont présenté un document d’identité. D’autres qui ne comprenaient pas ce qui se passait et surtout sous quelle autorité agissait ces messieurs en pleine nuit ont refusé. Une heure plus tard, les deux hommes sont revenus à la tête d’un groupe d’une dizaine d’hommes armés de bâtons, de gros couteaux et de machettes. Trois véhicules de la Police ont été remarqués tout autour de la Place dont l’un immatriculé au Numéro 1-177.
Aux environs de 4h du matin, les individus armés avec l’appui de policiers ont entamé une opération de déguerpissement qui s’est poursuivie jusqu’à la mi-journée du mercredi 21 décembre 2011. Pour cacher leur identité, les policiers portaient des jackets bleus. Cependant, l’identification de l’un d’entre eux immatriculé au Numéro 08-101 a pu quand même être vue.
L’opération de démolition des tentes a commencé dans la partie Ouest de la place, à côté du terrain de basketball. Les individus avaient à leur disposition des enveloppes contenant quelques billets de gourdes. A chaque tente, ils ont remis une enveloppe à un adulte qui s’y trouvait et ont commencé tout de suite la démolition. Les enveloppes contenaient 1,000, 2,000, 5,000 jusqu’à 20,000 gourdes. Personne ne sait sur la base de quels critères les montants donnés ont été décidés et surtout de qui provenait l’argent. Certaines familles ont essayé de protester et n’ont pas voulu recevoir d’enveloppes. Elles ont eu comme réponse des menaces de mort et leurs tentes ont été détruites sans aucune forme de procès.
Aucun délai ne leur a été accordé pour prendre leurs effets. Aucune considération n’a été prise pour des groupes à besoins spéciaux tels les enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées, les malades. Le Collectif a rencontré le 22 décembre 2011, plusieurs femmes avec des bébés sur les bras qui ont expliqué ce qu’elles ont vécu au moment de l’opération.
« J’ai un bébé de quatre mois. Quand j’ai vu la bande s’approcher de ma tente, je leur ai demandé pourquoi ils agissaient de la sorte. Sans même daigner me répondre, ils ont tiré leur couteau et ont déchiré ma tente. Le bois qui maintenait le tissu en plastic est tombé sur la tête de mon bébé qui a eu une blessure à l’œil droit. L’œil était enflé ».
D’autres femmes rencontrées après l’opération avec des nouveau-nés n’avaient aucun vêtement de rechange car elles avaient tout perdu dans l’opération. « Je dormais et mon bébé de 15 jours aussi. Ils ont déchiré la tente sur moi, sans même me prévenir. Je n’ai pas eu le temps de prendre quelque chose. Seulement le bébé que j’ai pu sauver. Tous les vêtements du bébé sont perdus. Je passe la nuit dans une cours et je n’ai rien pour recouvrir l’enfant ».
Voici le témoignage d’un homme dont la femme venait d’être opérée « Ma femme a eu une césarienne il y a 15 jours. Elle vivait sous la tente et le bébé aussi. Les hommes armés sont venus et ont commencé à déchirer notre tente, alors que nous nous y trouvions encore. Nous avions dû courir pour nous protéger. Depuis lors, ma femme a recommencé à saigner et j’ai dû l’amener à l’hôpital pour recevoir des soins ».
Une femme sage qui se trouvait absente cette nuit là explique sa surprise quand elle est revenue le lendemain matin. « J’habite à la Place Jérémie depuis la nuit du tremblement de terre car ma maison a été détruite dans la catastrophe. J’étais allée passer la nuit avec une malade. Quand je suis revenue, le mercredi matin 21 décembre, je n’ai trouvé que la désolation sur la place. Tout ce que j’avais a été emporté: argent, vêtements, meubles » etc.
L’opération entamée au cours de la nuit du mardi s’est poursuivie pendant toute la matinée du mercredi 21 décembre 2011. Très tôt, des déplacés révoltés se sont précipités vers des stations de radio qui donnaient des nouvelles pour alerter de ce qui se passait. Aucun représentant de l’Etat n’est venu s’enquérir des faits. La Mairie de Port-au-Prince contactée par le GARR a répondu par la voix de son Responsable de Communication, « qu’elle n’était pas concernée par cette opération, qu’elle la condamne parce qu’elle s’est réalisée dans la violence ». Mais la Mairie non plus ne s’est rendue sur les lieux, ni n’a fourni une quelconque assistance aux victimes éplorées.
Dans l’après-midi du 21 décembre, aux environs de 3 heures, quand toutes les tentes étaient pratiquement détruites, un véhicule, appartenant selon les témoignages, à l’Unité de Police du Corps des « Pompiers », est venu sur les lieux et a emmené avec eux deux membres du groupe qui a réalisé l’opération de déguerpissement, parmi eux le nommé Dominique. Moins d’une heure après, le même véhicule les a ramenés chez eux. Les membres d’AJPB se sont moqués des familles en pleurs en se vantant d’entretenir de bonnes relations avec la présidence de M. Michel Martelly. Selon leurs dires, l’opération menée sur la Place Jérémie a été commanditée directement par le Palais National qui a fourni les enveloppes d’argent. Les policiers ont vite fait de relâcher le nommé Dominique et de le ramener chez lui parce que selon les dires des membres de l’AJPB rapportés par les victimes, ils auraient reçu un appel du Palais National leur demandant expressément de ne pas toucher à ces gens qui font « le travail de la présidence ».
A noter que depuis au moins le mois d’août 2011, les déplacés de la Place Jérémie se trouvaient sous la menace de l’Association des Jeunes Progressistes du Bas-Peu-de-Choses (AJPB). A plusieurs reprises, des représentants de cette association ont fait des déclarations dans la presse pour annoncer qu’ils allaient coûte que coûte procéder au déguerpissement des gens de la place de Jérémie. En aout 2011, alors qu’ils sillonnaient les médias pour informer de leur intention, des tracts comportant des menaces graves ont été massivement jetés sur la place Jérémie pour intimider les gens. La teneur de l’un des tracts recueillis à ce moment par un membre du Collectif est reproduite en annexe.
La situation après l’opération de déguerpissement
Tous les abris qui se trouvaient sur le périmètre de la Place Jérémie ont été détruits, les matériaux (bois, fers, feuille de plastic) et certains biens appartenant aux déplacés tels que des lits ont été emportés ou vendus sur place. Le 22 décembre, un véhicule du Service Métropolitain de Ramassage des Ordures (SMCRS) était remarqué aux abords du site pour le nettoyage et l’AJPB arborait en grande manchette sur la place son drapeau, comme si elle venait de faire une conquête. Tandis que plusieurs familles déplacées, certaines avec des nouveau-nés sur les bras, dorment encore dans la rue, dans le voisinage de la place, sans nourriture, sans vêtements, sans aucun bien personnel.
Un peu plus loin de la place, presqu’en face de l’hôtel Oloffson, demeurent encore, le 24 décembre 2011, six tentes. L’AJPB menace de les passer par le feu avec tout ce qui s’y trouve si les occupants ne se retirent pas des lieux.
Analyse des faits survenus lors du déguerpissement de la Place Jérémie
Le Collectif pour la défense des droits des déplacés et la promotion du droit au logement estime très grave ce qui s’est passé à la Place Jérémie dans la nuit du 20 au 21 décembre 2011. De nombreux droits humains ont été violés.
– L’opération de déguerpissement a eu lieu au cours de la nuit par un groupe de personnes armées, qui n’ont ni qualité, ni mandat pour réaliser de telles opérations, sur une place publique qui est patrimoine de l’Etat.
– Des policiers ont accompagné le groupe dans son opération alors qu’aucune décision judiciaire ne leur avait donné ce mandat. Il n’y avait pas de décision judiciaire en ce qui concerne l’occupation de la Place Jérémie, aucun juge de Paix n’était sur place.
– L’opération a débuté au cours de la nuit, alors que selon la loi, les mandats ne peuvent être exécutés qu’entre six heures du matin et six heures du soir. La Police avait occupé les abords de la Place Jérémie depuis environ une heure du matin. Qui a donné l’ordre à la police de mener cette opération nocturne conjointement avec un groupe de civils armés ?
– La Mairie de Port-au-Prince déclare n’être pas concernée par l’opération. Selon des membres de l’AJPB, l’ordre de déguerpissement est venu directement du Palais National, plus précisément du Bureau de la Présidence de M. Martelly. Les « déguerpisseurs » avaient à leur disposition des enveloppes d’argent qu’ils disent provenir de la présidence et qu’ils ont distribuées comme ils le voulaient. Est-ce que le Palais National peut passer directement des ordres à la Police sans respect de la hiérarchie et des procédures légales ? C’est un précédent très dangereux qui ouvre la voie à toute forme d’aventures regrettables et de violations des droits humains.
– La Police a accompagné un groupe d’hommes armés dans une opération nocturne contre une population vulnérable. Est-ce le retour au système d’attachés/FRAPH qui a semé le deuil et la désolation dans les familles haïtiennes ?
– Malgré les appels de détresse des familles victimes, aucune structure de l’Etat n’est venue à leur secours. La Commune de Port-au-Prince s’est contentée de dire « qu’elle n’est pas concernée par l’opération ». Jusqu’au vendredi 24 décembre, une dizaine de femmes avec des bébés de moins de cinq mois dormaient à la belle étoile, sans vêtements pour se changer, sans nourriture pour elles-mêmes et pour les enfants. Cela signifie que les autorités de l’Etat qui ont la responsabilité de protéger les citoyens et citoyennes en situation de vulnérabilité, les laissent à la merci d’individus qui agissent comme ils veulent à leur encontre.
Recommandations
Le Collectif pour la défense des droits des déplacés et la promotion du droit au logement craint que le déguerpissement réalisé dans la nuit du 20 au 21 décembre 2011 à la Place Jérémie, ne soit un feu vert donné par les autorités haïtiennes à des individus pour agir comme bon leur semble contre les victimes du séisme du 12 janvier 2011 qui occupent près de deux ans après la catastrophe certains espaces publics et/ou privés.
Pour éviter la répétition de tels faits et pour garantir la protection des personnes déplacées par le séisme, le Collectif demande :
– A la présidence de fournir des informations sur son implication ou non dans l’opération de destruction des abris des personnes déplacées qui s’étaient réfugiées sur la Place Jérémie depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2012. A défaut d’un tel éclaircissement, le Collectif considérera que l’opération a été commanditée effectivement par le Palais National comme les membres de l’AJPB se targuent de le faire savoir à qui veut l’entendre et que les enveloppes d’argent provenaient réellement de la Présidence de M. Martelly.
– A la Direction Nationale de la Police de prendre des sanctions contre les policiers qui ont accompagné des civils armés dans cette opération nocturne de destruction d’un camp de déplacés, sans la présence d’un juge de paix, sans mandat judiciaire, sans l’aval de la Mairie gestionnaire de la place. La population est en droit de savoir si désormais le Haut Commandement de la Police accepte que les unités de police mènent des opérations conjointement avec des groupes de civils, comme c’était le cas dans le passé.
– A la Justice, le Collectif demande, la mise en branle de l’action publique contre ces individus qui n’ont ni qualité, ni mandat et qui ont exercé de la violence contre une population sans défense. La Justice doit aussi investiguer la provenance de ces fonds qui se trouvaient à la disposition de ces individus.
– Au Ministère des Affaires Sociales et à la Mairie de Port-au-Prince, le Collectif réclame une intervention d’urgence pour protéger les victimes, en particulier les femmes nourrices, enceintes et les personnes âgées à trouver dans le plus bref délai un endroit sûr pour s’abriter et des moyens pour s’acheter des vêtements et de la nourriture et pour se réhabiliter de ce nouveau choc.
– A toutes les autorités de l’Etat, le Collectif réclame la garantie de protection pour les personnes déplacées qui vivent dans les camps afin qu’elles ne soient plus sujettes à de telle violence aussi bien de la part d’agents publics que privés. L’Etat haïtien est signataire d’un ensemble d’instruments internationaux qui garantissent le respect des droits fondamentaux de la personne humaine. L’Etat doit chercher, conjointement avec les personnes déplacées des solutions de relogement pour les aider à laisser les camps où ils vivent déjà dans une situation infernale. Le Collectif invite les agents de l’Etat à assumer leurs responsabilités pour que les droits humains soient respectés pour tout un chacun, sans discrimination, quelle que soit sa condition sociale.
Pour le Collectif,
Colette Lespinasse
GARR \
Camille Chalmers
PAPDA
Reyneld Sanon
FRAKKA
Antonal Mortimé
POHDH
Annexe
TRACT JETE SUR LA PLACE JEREMIE EN AOUT 2011
« Faz 2 a se dènye faz la. Pawòl anpil la fini. Grenadye alaso, sa ki rive zafè a yo ! N ap raple tout moun ke match sa a pa gen pwolongasyon. Se 2 mitan sèlman li genyen. Pou moun ki nan kan Plas Jeremi yo bay zòn nan blanch anvan le 30 Dawou 2011.
2èm mitan an pa gen jou, pa gen dat ! Men, ap gen wòch, boutèy, boule tant elatriye. Youn di lòt.
K-foufèy + Baped-choz an aksyon. Revolisyon san santiman, san pitye….
Malè avèti pa tiye kokobe !!!
Pawòl pale, pawòl konprann !
Traduction :
« La phase 2, c’est la dernière phase. Fini les palabres ! Grenadiers à l’Assaut. Tant pis pour ceux qui meurent !
Nous rappelons à tous que la partie a pris fin. Il n’y aura pas de prolongation.
Elle n’avait que deux mi-temps.
Les gens installés à la Place Jérémie doivent vider les lieux avant le 20 Août 2011.
Pour la deuxième mi-temps, il n’y aura aucun avertissement, ni de date, ni de jour.
Cependant, vous serez servis avec des pierres, des bouteilles, et vos tentes seront brûlées. Faites circuler l’information. Carrefour-Feuilles et de Bas-Peu-de-Chose sont en action. Ce sera une révolution sans sentiments, sans pitié. A bon entendeur, Salut. Comprennent qui peuvent comprendre »!