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Un an après la Conférence de New York sur la reconstruction d’Haïti: Questionnements, Enjeux, Bilan et Perspectives

Le 31 mars 2011 ramène le premier anniversaire de la Conférence internationale pour la Reconstruction d’Haïti tenue au siège des Nations Unies avec la participation de plus de 150 pays. Les promesses faites à cette occasion, de l’ordre de 11 milliards de dollars américains, permettaient tous les espoirs. Malheureusement, aujourd’hui, 15 mois après, la précarité vécue au quotidien par près d’un million de personnes qui vivent encore dans des camps de déplacés persiste. Les sinistrés, privés de leur droit à un logement décent, continuent de vivre dans une situation d’insécurité accrue et sont menacés dans leur survie même par la faim, les inondations, les cyclones, l’insalubrité, la violence et les maladies infectieuses, le chômage, l’absence des services sociaux de base. Les nouveaux problèmes sociaux nés du séisme se sont aggravés : augmentation du nombre des orphelins, augmentation de la quantité d’enfants exclus de l’école, nouveau contingent de dizaine de millier d’handicapés, conséquences incalculables des traumatismes psychosociaux, insalubrité et aggravation de la situation sanitaire, dispersion des familles, aggravation des violences subies par les femmes et les enfants, intensification de l’exode des professionnels qualifiés et de jeunes adolescents, baisse du taux de scolarisation, etc..


Les mouvements sociaux ont, à maintes reprises, exprimé leurs critiques, leur colère et leur indignation face l’insuffisance voire l’inadaptation des réponses développées par le gouvernement haïtien, le système des Nations Unies, les ONGs, et les Institutions Financières Internationales (IFI) pour faire face aux effets du séisme, c’est-à-dire dans la perspective de la reconstruction du pays. De nombreuses voix continuent de s’élever encore aujourd’hui pour condamner l’exclusion d’importants secteurs de la société haïtienne – dont l’analyse et les recommandations n’ont pas été prises en compte – dans la fabrication du Plan d’Action pour la Reconstruction et le Développement National d’Haïti (PARDN) sur la base duquel les promesses et les engagements ont été pris à New York le 31 mars 2010. De plus, ils contestent l’alignement du document officiel – censé orienter les interventions portant sur la reconstruction – sur les logiques et les options néolibérales qui dominent le processus de formation des politiques publiques. Finalement, tout le PARDN et les logiques qui le sous-tendent sont très loin de la rhétorique, encore moins des préoccupations réelles, de reconstruction et/ou de refondation nationale.

L’appareil politico-administratif du PARDN n’est autre que la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), une excroissance inconstitutionnelle qui a pour conséquence l’affaiblissement des capacités institutionnelles nationales et le dépouillement de l’État de ses pouvoirs. Cette CIRH ne jouit ainsi d’aucune légitimité démocratique, elle n’est contrôlée ni par le parlement ni par aucun organe de l’État comme la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA). Pourtant, elle se positionne dans le rôle stratégique de décider de l’orientation des choix publics et d’utilisation des fonds de la reconstruction. Elle sélectionne les projets pouvant bénéficier des financements et allouent les montants à sa guise. Dans ces conditions, la mise sous tutelle du pays est désormais totale.

Cette dépendance devenue tutelle se manifeste nettement à travers le processus électoral. Tandis que les élections sont un acte hautement national de recomposition politico-administrative, la souveraineté nationale s’est vu reléguer à l’arrière plan en faveur de la volonté internationale représentée par la Mission Internationale pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), force multinationale d’occupation qui assure la logistique et la sécurité des opérations, et les pays et institutions qui financent le processus. Dans les faits aussi, le contrôle et l’organisation de ces joutes échappent clairement au Conseil Électoral Provisoire (CEP), organe national « indépendant » d’organisation des élections dans le pays, et à toutes les autres institutions publiques légitimes, y compris la police nationale et le système judiciaire. Enfin, la campagne électorale malheureusement n’a pas constitué un espace de débats sur toutes ces questions et donc sur les vrais enjeux et défis collectifs que nous devons affronter. Cette campagne électorale et l’ensemble même du processus – clairement dominé par des acteurs externes – et qui mobilise des ressources financières considérables se déroule très loin des angoisses, des revendications de la population et des préoccupations nationales.

Les acteurs de la société ne semblent pas avoir été capables d’apprendre de ces nouvelles épreuves. Ils tardent encore à enclencher une dynamique de relèvement et d’espérance. La passivité des forces sociales contraste avec l’ambiance de solidarité inter-haïtienne, d’une part, et de solidarité mondiale, d’autre part, qui a prévalu dans les jours qui ont suivi le séisme du 12 janvier. On semble ignorer ce sursaut pour se réfugier dans un attentisme improductif conditionné par les promesses venant des agences d’aide internationale. Pourtant, la nation gagnerait à suivre le comportement exemplaire des populations des villes touchées par le séisme ou encore la mobilisation des populations paysannes qui ont accueilli sans près de 700.000 déplacés en leur offrant de la nourriture, le gite, le couvert et un encadrement affectif loin de l’espace de la catastrophe.

Quinze mois après, l’heure est au bilan et à l’évaluation. Il est évident que les enjeux sont importants puisque les options adoptées au cours de cette période détermineront certes l’avenir de notre pays mais les choix jusque-là opérés ne sont point à la hauteur des attentes de la population et des préoccupations nationales. Depuis quelques mois déjà de nombreuses forces politiques et sociales s’expriment en faveur de la récupération de notre souveraineté nationale et soulignent que les stratégies mises en œuvre depuis le séisme dévastateur du 12 janvier participent clairement d’une démarche systématique de recolonisation du pays. C’est dans ce contexte que le GARR, la POHDH, la PAPDA, l’ICKL, le SAKS proposent une journée de réflexion autour de la date symbolique du 31 mars 2011.

Ces organisations se proposent donc conduire une activité d’évaluation des quinze mois du PARDN et des nouvelles dynamiques en œuvre dans le pays. Cette évaluation portera ainsi sur la question des rapports de force entre les acteurs impliqués, le décodage des stratégies impérialistes, les intérêts des entreprises transnationales et les nouvelles logiques de domination articulée à l’occupation militaire et la recherche de nouvelles réponses face à la multiplication des crises dans divers contextes nationaux depuis quelques années.

Au plan méthodologique, il faut rappeler que de très nombreux forums ont été réalisés sur les enjeux de la « reconstruction » mobilisant un nombre important d’experts et d’organismes particulièrement internationaux. Malheureusement un grand nombre de ces rencontres se sont déroulés dans d’autres pays et ont eu un impact relativement faible sur les acteurs sociaux haïtiens. L’approche proposée pour cette évaluation se veut différente ; elle s’articule autour des options méthodologiques suivantes :

1. La priorité sera accordée à une attitude proactive visant à rassembler le plus d’organisations autour de propositions émanant d’un débat collectif et de concertation au sein des mouvements sociaux

2. Nous tenterons de mettre en place un espace d’auto-affirmation en mettant les projecteurs sur ce que nous sommes et ce que nous voulons

3. Nous tenterons de convoquer le plus d’organisations et de mouvements sociaux qui ont manifesté présence et combativité dans la conjoncture post-séisme en essayant de les mettre en relation directe avec les organisations qui ont déjà accumulé de longues années d’expérience de lutte.

4. Cette journée de réflexion s’inscrit dans un processus à travers lequel nous essaierons de faire naitre des convergences entre diverses initiatives qui sont déjà en construction. Citons rapidement quelques unes de ces initiatives :

. Le jeudi 24 février un collectif de 17 organisations et réseaux a lancé une campagne pour exiger un moratoire de 5 ans sur les accords de libéralisation signés par l’État haïtien.

. Les 2 et 3 mars la PAPDA a réalisé un forum populaire sur le crédit rural qui doit conduire à la production d’un manifeste paysan pour le crédit agricole

. Le 18 mars l’ICKL invite à un débat animé par le Professeur Roland Bélizaire sur le thème : « Bilan pwojè Rekonstriksyon Enperyalis la apre yon lane tranbleman tè epi apre prèske yon lane konferans Wachinton nan. Kote enterè mas yo ye? »

. Le 26 mars, journée de réflexion proposée par le GARR, l’ICKL, la POHDH et le SAKS : « Un an après la conférence de New York : Questionnements, enjeux, bilan et perspectives »

. Le 29 mars conférence débats organisée par la POHDH pour commémorer la Constitution du 29 mars 1987.

. Les 21 et 22 avril FRAKKA avec un large réseau d’organisations populaires organise un Forum International sur la lutte pour le droit au logement

. Les 28 et 29 avril La PAPDA organise un Forum intitulé « Quel Financement pour quelle reconstruction ? »

. Le GARR, la POHDH et la PAPDA qui avaient déjà organisé un séminaire sur la problématique de l’accès au logement et un échange avec les coopératives de logement des quartiers populaires de Santo Domingo organiseront tout au cours des prochains mois des activités sur cette question vitale pour l’avenir de notre pays.

Objectifs :

Objectif principal :
Créer un espace de débats critiques et déclencher un processus de remobilisation des mouvements sociaux haïtiens sur les enjeux actuels du processus dit de « reconstruction »
Objectifs spécifiques :

 Poser les bases pour un bilan critique des stratégies et programmes de reconstruction dans la suite de la Conférence de New York du 31 mars 2010 sur Haïti, du point de vue des principales victimes du séisme.

 Rassembler des témoignages et des analyses significatives produites à partir des acteurs à la fois exclus et impliqués dans le processus de reconstruction post-séisme.

 Créer des espaces de dialogue et de travail collectif entre des acteurs sociaux exploités, dominés, marginalisés venant de plusieurs horizons.

 Produire une nouvelle déclaration des Mouvements sociaux dans le prolongement de la prise de position adoptée le 19 mars 2010 et qui avertissait déjà sur les éventuelles impasses des approches adoptées dans la confection du PDNA et du PARDN.

 Commencer à construire des alliances autour de quelques propositions concrètes et factibles à court et moyen termes.
Ce séminaire s’inscrit à la fois dans une perspective de réflexion stratégique sur la crise actuelle et sur l’urgence d’une rupture radicale avec les chemins empruntés jusqu’ici. Elle se veut aussi un lieu de production de propositions sur les stratégies de sortie de crise et les nouvelles pistes viables en vue d’une authentique construction alternative de notre pays.
Résultats attendus :

 Participation d’une centaine d’invités notamment 30 à 40 participant/es en provenance des dix départements du pays. Les 100 participants sont des représentants en priorité des secteurs qui prendront la parole comme panélistes au cours de cette journée. Nous tenterons de respecter un équilibre de genre, de régions et de secteurs sociaux combatifs.

 Importante couverture médiatique (presse commerciale, électronique et communautaire)

 Adoption et diffusion d’une nouvelle déclaration des
mouvements sociaux sur les enjeux de la « reconstruction »

 Constitution de nouveaux mécanismes de débats et de production de propositions alternatives

 Production d’un matériel audio-visuel visant à influencer les débats notamment autour de l’évaluation des performances de la CIRH, de la composition et des mécanismes de fonctionnement de l’Autorité Nationale de Reconstruction qui doit naître le 1er novembre 2011.

Date et Lieu:
La journée de réflexion se déroulera à Fany Villa à Babiole de 9h00 am à 4h00 pm le samedi 26 mars 2011

Contenu:
Cette journée de travail et de réflexion est programmée comme suit :

9h00 – 9h40 Bilan critique des 15 mois qui ont suivi le 12.01 et des 12 mois écoulés depuis la conférence de New York du 31 mars. (Colette Lespinasse)

9h40 – 10h30 Questions et commentaires

10h30 – 10h45 Pause

10h45 – 12h45 Témoignages et analyses à partir de l’expérience des acteurs et secteurs suivants :

Déplacés

Paysannerie pauvre

Femmes

Secteur Éducation

Handicapés

Secteur Santé

Secteur syndical

Secteur religieux

Secteur Presse et communication

12h45 – 13h45 Repas

13h45 – 14h45 Atelier pour définir les éléments clés d’une nouvelle déclaration des Mouvements sociaux et une stratégie de diffusion et de plaidoyer autour de ce document

14h45 – 16h00 Propositions alternatives des mouvements sociaux haïtiens sur la crise actuelle et le processus dit de « reconstruction » (Camille Chalmers)

Adoption d’une nouvelle déclaration des mouvements sociaux