Par Gotson Pierre
Repris par Alterpresse du quotidien canadien Le Devoir (Collaboration spéciale)
Ensevelir les 300 000 morts, soigner les 300 000 blessés et trouver un abri aux 1,2 million d’Haïtiens jetés à la rue. L’immensité du travail à abattre a longtemps éclipsé le débat sur les choix économiques à faire pour assurer la renaissance et l’avenir d’Haïti. Six mois plus tard, la question refait surface, avec à la clé une foule d’inconnues et nombre de propositions qui fâchent.
Pour le gouvernement, la refondation d’Haïti passe forcément par « la valorisation des secteursclés ». Dans le plan présenté aux bailleurs de fonds le 31 mars dernier, à New York, les autorités prônaient « la modernisation du secteur agricole […], le développement d’un secteur de la construction professionnelle, […] la poursuite des activités de l’industrie manufacturière, l’organisation du développement touristique ».
« Une économie moderne, diversifiée, forte, dynamique, compétitive, ouverte, inclusive, et à large base territoriale » : telle est la perspective que projette l’équipe au pouvoir, qui dit rechercher la satisfaction de « l’ensemble des besoins de base de la population […] en termes quantitatifs et qualitatifs ».
Mais le plan gouvernemental, qui compte essentiellement sur l’aide internationale, peine à être mis en oeuvre. Selon les évaluations disponibles, seuls 1,5 % des 10 milliards de dollars promis à Haïti ont été confirmés.
Cette situation tend à justifier le scepticisme exprimé par plus d’un au lendemain de la rencontre de New York. Scepticisme qui n’a cessé de croître jusqu’à forcer hier le président René Préval à reconnaître publiquement que « la reconstruction ne sera pas facile ».
Il est vrai que le fossé entre fonds recherchés et fonds confirmés pour relancer le secteur de l’agriculture, considéré comme un des moteurs de l’économie, est important : une quête de 790 millions contre des engagements de l’ordre de 300 millions. La Banque interaméricaine de développement (BID) compte verser 200 millions sur les cinq prochaines années et le gouvernement américain promet 110 millions pour l’exercice 2010-2011.
Le ministre de l’agriculture, Joanas Gué, estime qu’une « étape fondamentale » a déjà été franchie, car l’agriculture est un secteur structurant qui a « un rôle à jouer dans la relance de l’économie du pays » et qui possède « des potentialités réelles qui peuvent être mises en valeur ».
Pomme de discorde
Mais c’est justement à propos de la question agricole que le gouvernement se fait taper sur les doigts, particulièrement par les organisations paysannes qui n’ont jamais cessé de critiquer le peu d’attention accordée à l’agriculture. Un don de 475 tonnes d’engrais hybrides de la multinationale Monsanto au gouvernement haïtien a mis le feu aux poudres. Des milliers de paysans ont manifesté au début de juin, à Hinche (Plateau central/Est), afin de rejeter ce don qu’ils qualifient de « cadeau empoisonné ».
Considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM), ces semences ont été symboliquement brûlées pour exiger le refus par le gouvernement de 400 tonnes d’engrais de Monsanto non encore livrés.
Les paysans craignent que ces semences viennent sonner le glas d’une agriculture déjà peu productive en regard des besoins en nourriture d’une population dont la moitié de la consommation est constituée de produits importés.
L’économiste Camille Chalmers, de la Plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (PAPDA), justifie la crainte des paysans et argue que le secteur agricole a été trop longtemps négligé. Selon lui, si ce secteur avait bénéficié du soutien gouvernemental nécessaire, avec 25 % d’augmentation en 2009, la production agricole aurait pu apporter un appui significatif en vue de la résolution de la crise post-séisme.
Quelque 600 000 déplacés ont rejoint les régions de l’intérieur du pays, causant une pression énorme sur des ressources déjà maigres, tandis que trouver un emploi dans la capitale demeure plus que jamais problématique, après des pertes estimées à plus de sept milliards de dollars au niveau des secteurs productifs, dont 70 % dans le secteur privé et 30 % dans le secteur public. Cela prendra du temps avant que le climat à Port-au-Prince ne soit propice à la création d’emplois, estime M. Chalmers. Quelque 30 % des emplois disponibles avant le 12 janvier ont été perdus à cause du cataclysme.
Le secteur qui a aujourd’hui un potentiel d’emplois massif, c’est la construction. Avec environ 280 000 bâtiments à reconstruire, « beaucoup de nouveaux emplois » pourraient être créés, pense Camille Chalmers. Mais, souligne-t-il, de nombreux travailleurs qui ont perdu leur emploi ne sont pas spécialisés dans ce secteur.
Actuellement, le gouvernement entreprend des démarches pour intéresser les entrepreneurs étrangers à investir leurs capitaux en Haïti. Le secteur visé est particulièrement celui du textile, où on a accusé une perte d’environ 4000 emplois après le séisme.
À propos d’investissement, les élites devraient prendre conscience qu’il faut changer de comportement, car elles « n’investissent pas dans le pays », qui est caractérisé par un très faible accès au crédit, critique-t-il.
Des 100 milliards de gourdes disponibles dans le système bancaire, seulement 30 milliards sont consacrées au crédit, tandis que généralement, dans la Caraïbe, 65 % des dépôts bancaires vont au crédit, soutient-il. En outre, « plus de 95 % des crédits accordés sont orientés vers les villes et la consommation non productive, tandis que moins de 0,002 % des crédits vont au secteur agricole », ajoute l’économiste. En vue de la reconstruction d’Haïti, il faudrait promouvoir le plus d’investissements productifs possible dans des secteurs dont le niveau de productivité est élevé, comme l’agriculture et l’agrotransformation, ce qui, déplore-t-il, « n’est pas favorisé par le modèle dominant ».