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La CIRH un instrument décrié et inapproprié aux défis du temps mardi 22 juin 2010

Par Zo Chérubin (KSIL)*

Soumis à AlterPresse le 21 juin 2010

Dans le secret bien gardé du huis clos, sous haute surveillance militaire des troupes de la MINUSTAH et des services de sécurité rapprochée, les membres de la CIRH ont inauguré leur entreprise le jeudi 18 Juin dans la capitale dévastée d’Haïti. Contre vents et marées, faisant fi des protestations, contestations, critiques et même des suggestions, du haut des cadavres des 400.000 victimes du séisme, l’ex président Bill Clinton, doublé du premier ministre de Préval, Jean Max Bellerive, a lancé la première simulation, on live, de reconstruction post apocalyptique d’avant 2012.


A peine réveillé de l’électrochoc du 12/20 janvier, le cobaye est remis en laboratoire pour la deuxième phase de l’expérience et, cette fois-ci, sous la supervision directe, à visière levée des spécialistes internationaux, experts en machin chouette. On ne connait pas au juste l’objet de la recherche. La porte du paradis ou les profondeurs des abimes ? Mais toujours est-il que le décor est planté. En matière de formule de gouvernance insolite, on a franchit une nouvelle étape. Mettant à profit le cadavre en décomposition extrême de l’État haïtien, on a accouché d’un monstre multi Céphale dont une seule tête est véritablement animée, pour passer des commandes à des membres hétéroclites, engourdis par des privilèges sociaux et des promesses mirobolantes

Une promesse de reconstruction fallacieuse

Des présidents marionnettes, de doublure, des parlementaires croupions, des ministres « patatistes », on en connait que trop. Par contre, des instances d’aliénation de la souveraineté et du patrimoine de la nation, concoctées par les plus hautes autorités de l’État, sous la seule menace de quelques milliards de dollars, relèvent de l’insolite. Il est vrai qu’on reconnaissait en Préval le champion, toute catégorie, en bradage des entreprises publiques. Il est tout aussi vrai que ses dernières performances en gaspillage des deniers de l’État, au profit de ses proches alliés politiques et financiers, ont fini par entamer le dernier fond de crédit d’honnêteté personnelle qu’on se résignait à lui accorder. Mais, on se refusait de penser qu’il pourrait se prêter aussi facilement à cette tragicomédie en guise de réponse à la catastrophe qui a endeuillé la nation haïtienne.

L’empressement de Préval à livrer la dépouille de l’État au laboratoire du néocolonialisme international, sur la simple promesse non garantie de 10 milliards de dollars, a dû surprendre Bill Clinton lui-même. Toujours en compétition négative avec son jumeau, qu’il semble obstinément fixé à travers un miroir déformant, il a négocié, à sa façon et à la baisse, la demande de réparation qui a valu à celui-ci la perte de son fauteuil en 2004. De l’exigence de 21 milliards, sans contrepartie en perte de souveraineté, adressée à l’ancienne métropole européenne, on est passé à une vente à l’encan que l’oncle a vite fait d’adjuger, d’autant qu’entre temps on a tout fait pour dévaloriser dramatiquement le patrimoine devenu quasiment « irréparable » avec la catastrophe du 12 janvier. Comme pour la TELECO, soigneusement sabotée afin d’être facilement « modernisable », il ne restait plus qu’a céder le pays meurtri au plus offrant.

Autre temps, autres mœurs. Nos ancêtres préféraient réduire le pays en cendre au lieu de le livrer à ses prédateurs. Aujourd’hui on s’associe avec l’étranger pour le mettre en lambeau afin de s’empresser de le liquider. A deux milliards l’an, on nous assure que dans cinq ans les 400 000 morts auront le repos de l’âme en contemplant outre tombe la résurgence de la perle des Antilles. Chez nous on dit, généralement pour se donner du courage avant de se résoudre à un engagement incertain, « promesse c’est dette. Espoir fait vivre ». Une certaine frange de la bonne société, toujours aussi confiante dans la « parole du blanc » qu’en 1915 et, en toutes occasions néfastes à la cause nationale, semble remercier le ciel pour cet opportun séisme qui ouvre la voie à la générosité des affairistes internationaux. On ne rêve pas moins d’une modernisation du bas de la ville et du bord de mer. Plus de menace de séisme et de tsunami, la capitale subira une reconstruction anti apocalyptique et, dans dix huit mois, sera un eldorado touristique.

Nul de ce secteur ne se demande pourquoi avoir attendu cette catastrophe, s’il ne faut que 10 milliards de dollars pour faire d’Haïti la première merveille des Caraïbes ? Nous sommes loin de croire qu’il soupçonnerait l’international d’intention criminelle. Soyons alors cohérents ! La guerre d’Irak coûte la bagatelle de 500 milliards de dollars. Gageons qu’il sera plus difficile de trouver cet argent pour le reconstruire. Pour « réparer » les banques à l’occasion de la dernière crise financière, 200 000 milliards ont été avancés et on est loin du bout du tunnel. Ca et là, en expérimentation d’armes de destruction massive et autres HARP, des milliards sont engloutis. Si 10 milliards sur cinq ans pourraient suffire pour reconstruire Haïti, il fallait moins pour l’empêcher de s’effondrer suivant le sage adage prévenir vaut mieux que guérir.

Nous sommes obligés de revenir à l’agaçante question : qui a historiquement intérêt à ce que la première République nègre soit mise en échec et pourquoi ? Comme souvent, la réponse est dans la question. A moins d’un changement de donne dans le sens d’une prise de conscience, quoique tardive, de l’importance d’Haïti pour l’avenir de l’Humanité, nous sommes partis pour une très mauvaise aventure avec cette commission intérimaire. De par sa composition, sa fonction, son mobile, son mandat, les conditions politiques et légales de sa création, l’esprit qui l’anime, nous sommes en présence d’un instrument inapproprié aux défis auxquels le monde doit faire face à l’occasion de la crise haïtienne.

Une opportunité de rédemption ajournée

La poursuite inconsidérée du brigandage politique au cours de ces cinq derniers mois, couronnée par la honteuse inauguration de la CIRH est venue nous rappeler la triste réalité. La leçon n’est pas comprise, nous filons tout droit vers une autre catastrophe. Le sursaut de grandeur d’âme qu’on était en droit d’espérer n’est décidément pas au rendez vous. Il est navrant de constater dans quel esprit désolant de bassesse, de « chire pit » de « chen manje chen » d’un coté , de cupidité et d’aveuglement de l’autre, on aborde cette ultime opportunité de rédemption.

La formation de la CIRH n’est pas animée du même esprit qui a porté l’élan spontané de solidarité issu de partout au lendemain du 12 janvier, preuve, une fois de plus, du décalage entre le niveau de conscience de l’humanité et celui des dirigeants politiques. La société civile internationale est prête pour une gouvernance autre que celle que nous connaissons aujourd’hui. Le monde appelle à une guidance nouvelle, reflétant ses sentiments les plus nobles au lieu d’être manipulé à partir de ses instincts les plus vils. Ce cycle de destruction n’arrêtera sa marche que par l’avènement de cette nouvelle direction dans la conduite des relations sociales et internationales. Il y va de notre présent et du futur proche de la nouvelle génération. La durée et la souffrance de l’enfantement seront à la mesure d’une prise de conscience du véritable enjeu de l’heure.

Le drame haïtien est offert comme test de la capacité de cette génération à bien répondre à la question cruciale de la survie de la civilisation humaine. Il ne s’agit plus de réparation de l’ancien, ce temps est révolu, mais de remise en question, de changement de cap pour la rédemption. Le drame haïtien est l’expression extrême de celui de l’humanité, celle de l’échec d’une civilisation. Il ne doit pas être abordé comme un fait exceptionnel. Haïti est partout ou la souffrance humaine résulte d’une mauvaise vision des choses, de l’injustice, de l’exploitation de l’homme par l’homme, de la prédation des autres espèces, du gaspillage des ressources, de l’inégalité, du préjugé racial, du sexisme, de la stigmatisation culturelle, de l’intolérance religieuse etc. Concentré sur huit millions d’âmes entassées sur seulement 28 000 km2 d’île, le spectacle est frappant, bouleversant, choquant. Le miroir du monde renvoie à l’occident l’image de l’horreur sur laquelle il s’est construit et continue à se reproduire. Chaque peuple sous la coupe de ce système contient son lot plus ou moins grand d’Haïtiens. Ailleurs, des ilots de misère rappellent qu’on est partout en Haïti. Ici des ilots de gaspillage nous disent que l’occident est partout. La captation du signal du 12/20 janvier signifie de manifester la volonté de faire de cette île des caraïbes (où le monde moderne a initié sa capacité de destruction et de corruption) le symbole d’un changement de cap radical à la mesure des dégâts infligés au règne humain et à ceux dont il est solidaire et tributaire.

La situation en Haïti n’exprime pas les conséquences d’un manque de développement, mais avant tout l’échec d’une vision du monde, d’un mode de vie. Elle offre l’ultime opportunité d’indiquer une certaine appréhension du profil du monde qui vient. Plus de cinq mois après la catastrophe, les signes qui devaient indiquer une telle prise de conscience sont loin d’être encourageants. La commission intérimaire dans sa forme et son esprit, greffée sur le brigandage politique haïtien, sous la protection de la MINUSTAH ou autres forces répressives, témoigne du degré d’aveuglement face aux défis de cette fin de cycle. Il est significatif de constater qu’aucun plan concocté après le 12 janvier n’est en mesure de prévenir la répétition de la catastrophe, ni en ce qui concerne la survenance du phénomène naturel lui-même, ni en termes de réponses à ses éventuelles conséquences. Un séisme de la même amplitude surprendra aujourd’hui les autorités locales et internationales dans une débilité pire que lors du précédent. Autrement dit, le drame du 12/20 janvier met à nu la défaillance du système mondial face aux nouveaux défis planétaires, ce que Cathrina avait déjà révélé et que l’incapacité de la première puissance du monde à endiguer l’actuelle marée noire est en train de confirmer.

La double logique mercantile et militariste qui sous tend le système de réponses que l’occident capitaliste est en mesure de proposer, est en contradiction avec l’Esprit du temps. Elle ne fait que précipiter son effondrement tout en aggravant les douleurs de l’enfantement du monde nouveau. A la vérité, sous la conduite d’institutions obsolètes, nous naviguons à vue, sur un bateau fou, sans gouvernail ; les dirigeants ignorent où va le monde, ils ne savent pas où ils nous conduisent. Tous les repères sont brouillés, les données faussées, les schémas dépassés. Face à ce vide, on persiste à recourir aux vieilles recettes d’une vision technoscientifique mercantile, à jamais révolue. Plus on s’enfonce dans la même direction, plus on perd la maitrise des événements et plus on augmente le risque d’une issue apocalyptique. La véritable opportunité qu’offre cette catastrophe est moins celle de reconstruire Haïti que de repenser le monde.

Alors Mr Clinton, réparation pour la refondation ou colonisation sous prétexte de reconstruction ? L’avenir proche nous dira si le blanc a su profiter de l’apparent drame de Quisqueya pour se réparer lui-même, en vue du règne humain.

* Zo Chérubin, Sociologue
Kolektif Solidarite Idantite ak Libète (KSIL)