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Lettre adressée au premier ministre Pierre-Louis

Dans une lettre adressée au Premier Ministre Pierre-Louis la PAPDA et les membres de la Coalition Nationale BARE APE (RNDDH, PAPDA, MODEP, SOFA, TET KOLE TI PEYIZAN AYISYEN, CHANDEL, SAKS) font part de leurs inquiétudes vis-à-vis de l’opacité constante qui entoure les négociations sur les Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne. La PAPDA vous invite de lire le contenu de la lettre qui a été également envoyé en copie au Président Préval.

Concerne : Inquiétudes des organisations haïtiennes quant à la suite des négociations des Accords de Partenariat Économique (APE)

Madame, le Premier Ministre,

La Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) et la Coalition Nationale BARE APE tiennent à vous faire part de leurs inquiétudes vis-à-vis de l’opacité constante qui entoure les négociations sur les Accords de Partenariat Economique (APE) avec l’Union Européenne.

Tout d’abord, nous tenons à souligner à votre attention le soulagement qui a été pour nous lorsque le Gouvernement haïtien avait signifié en Octobre 2008, et renouvelé en Juin 2009, son refus de signer ces accords qui ne sont autres que des outils au service du capital transnational européen. Cependant, en raison des intérêts réels de l’Union Européenne à travers ces accords, les organisations haïtiennes sont en droit de croire et de fait sont informées que des pressions sont exercées sur le pays, particulièrement sur le Gouvernement et les négociateurs haïtiens afin de les pousser à la signature des APE à la date butoir du 30 Octobre prochain. De nombreux pays africains maintiennent leur résistance et défendent de façon stratégique leurs intérêts. Cette résistance empêche l’Union Européenne d’imposer sa loi même si elle utilise différentes manœuvres pour
porter ces pays à signer de manière individuelle en les affaiblissant et les forçant à accepter l’état de fait. La CEDEAO et l’UEMOA, dans leurs dernières séances de travail ont réussi à montrer à la Commission Européenne qu’il est impossible pour eux d’accepter ses propositions et de différer le délai de signature. Ils ont réussi à imposer aussi le principe d’un programme d’appui au financement des APE (PAPED) qui devrait
être d’après les négociateurs africains un palliatif par rapport aux pertes imminentes de ce processus de libéralisation commerciale déloyale. Il est certain qu’il n’y aura pas de
signature des APE pour les régions d’Afrique au cours du mois d’Octobre comme prévu.

Madame, le Premier Ministre,

Le 27 Septembre ramène les sept (7) ans du début des négociations en vue de la signature des APE. L’Union Européenne n’a jamais pris en compte les revendications des blocs régionaux ou particulièrement des Pays Moins Avancés (PMA) dans les négociations. En témoigne son entêtement à la signature de ces accords dans les mêmes termes de départ malgré la crise économique mondiale actuelle qui attaque les bases même du
développement économique, social et culturel de tous nos pays. La libéralisation commerciale a toujours montré ses limites, sa totale incapacité à apporter les vraies réponses aux problèmes de développement dans le pays et le contexte actuel ne fera
qu’aggraver la situation si on signerait les APE tels qu’ils sont présentés actuellement. Cela ôterait au pays durant les vingt (20) prochaines années toutes ses capacités à renforcer les structures économiques et sociales pouvant permettre la redynamisation et la recapitalisation des secteurs productifs du pays et garantir la souveraineté du pays tant en matière économique, sociale, politique. Il faut tout aussi considérer le coût réel des vastes réformes très complexes imposées dans le cadre de ces APE.

Que nous apporteront, tels qu’ils nous sont proposés, les APE ? Quels profits pourront tirer de l »ouverture aux Services et investissements européens si nous voulons vraiment encourager les initiatives de création d’industries locales ? Comment renforcer les capacités de l’Etat haïtien à générer les ressources nécessaires au financement propre pour le développement du pays quand les APE nous imposent d’y renoncer ? Comment garantir des emplois durables dans le pays à partir des secteurs les plus dynamiques tel que l’Agriculture, les Petites et Moyennes entreprises de transformation, s’il nous est fait
obligation de les mettre dans une concurrence déloyale avec les grandes firmes européennes ? Quel est le paquet mis en place par l’Union Européenne pour parer aux conséquences néfastes des APE dans les pays comme le nôtre ? Tout un ensemble de questions qui nous poussent à vous faire part de nos inquiétudes. Signer ces accords signifie tout simplement hypothéquer l’avenir du pays pour des dizaines d’années encore et rendre le pays encore plus dépendant du capital transnational et tributaire des grandes
crises mondiales tel que nous le vivons actuellement.

Les organisations signataires de cette lettre sont d’autant plus inquiètes que toutes ces négociations menées par le Gouvernement haïtien se font dans la plus totale opacité. Aucune information n’a été communiquée à la population sur le cours des négociations, à part le «secteur privé » des affaires qui pousse afin que ces accords soient signés puisque ce soit disant «secteur privé » ne consent aucun investissement réel dans le pays sinon que de la sous-traitance pour des firmes étrangères. Leur position face aux APE est manifeste dans le document soumis à Monsieur Bill Clinton, comme proposition pour le « décollage national ». Quelle aberration de penser le pays en accordant la priorité au commerce extérieur ? Le pays peut-il se développer en ne faisant que de la sous-traitance de réexportation sans consentir des investissements réels connectés avec la dynamique économique et sociale du marché national?

Madame le Premier Ministre,

En sept ans de négociations, les pays ACP (Afrique – Caraïbes – Pacifique), ont fait beaucoup de concessions pour essayer de faire avancer les négociations alors qu’à l’opposé l’Union Européenne à travers la Commission reste accrochée au contenu initial sans tenir compte des réalités nationales, régionales et interrégionales. Cette attitude met en péril toute politique de développement des pays ACP et particulièrement les processus d’intégration au niveau régional. Il suffit d’analyser les difficultés auxquelles font face les pays de la Caraïbe pour s’intégrer entre eux. Ces difficultés sont singulièrement aggravées par les propositions contenues dans les APE.

Un regard rapide sur les relations entre la République Dominicaine et la République d’Haïti pourrait vous permettre d’avoir une idée de la difficulté réelle d’intégration au niveau de la région. Cette situation met ces pays devant l’impérieuse nécessité de renforcer les mécanismes d’intégration ; une possibilité que les APE vont saper pour mettre en place une stratégie de concurrence qui empêcherait à nos pays de se solidariser entre eux et de mettre en place des politiques qui renforceraient la dynamique intrarégional pour faire face aux grands défis mondiaux actuels.

Il est nécessaire et même impératif qu’Haïti définisse d’abord son plan global de développement, sa stratégie d’intégration au niveau régional avant même d’arriver à une intégration au niveau de l’économie globale telle que proposée par l’Union Européenne à
travers les APE. Comme ont le dit souvent chez nous : « On ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs ». Il est temps de poser la question du développement à long terme du pays au lieu de continuer dans la logique de gestion des « affaires courantes » ou de l’ « urgence » qui souvent empêche d’obtenir des résultats durables.

Madame, le Premier Ministre,

Depuis le début des négociations, dans toutes les régions, la résistance citoyenne s’est toujours manifestée contre ces accords qui sont de nature à empirer le maldéveloppement des pays ACP. En Haïti, nous vivons au quotidien les conséquences
néfastes de cette libéralisation commerciale à outrance qui a décapitalisé toutes les bases économiques et sociales du pays. Une partie importante de la population haïtienne, depuis 2007, a rejeté le contenu de ces accords et plaidé pour des stratégies nationales visant à redonner au pays sa souveraineté et construire les bases nécessaires à la création de richesses et de revenus pour toute la population. Nous avions fait un ensemble de propositions qui sont de nature à garantir non seulement les intérêts du pays mais aussi qui permettraient à la population d’être informée et de suivre les négociations en cours. Malheureusement, les structures de négociations n’ont pas mis en place des mécanismes de communication avec la population et les négociations restent une «affaire d’Etat » alors que c’est l’avenir de la nation entière qui est en jeu. La crise économique et financière mondiale actuelle est une opportunité capitale pour changer de cap dans les politiques économiques et trouver des alternatives nationales pour redynamiser les secteurs économiques locales.

En ce sens, Madame, le Premier Ministre, les organisations signataires se font le devoir de rappeler à votre Gouvernement et en particulier aux négociateurs haïtiens les propositions suivantes que nous avions faites dans des documents qui vous ont été remis au courant de l’année 2008.

Le Gouvernement haïtien devrait :

1. s’engager au plus vite dans un processus de définition d’une stratégie nationale de relèvement et de développement dans le cadre d’une large et réelle participation de tous les secteurs de la vie nationale. C’est seulement sur la base de cette stratégie que nous serons en mesure de définir une voie d’intégration régionale au niveau de la Caraïbe et des éléments cohérents dans le cadre de nos échanges avec l’extérieur.

2. étudier sérieusement les potentialités de notre économie en relation aux besoins des pays de la région. Profiter de ces opportunités exigera une mobilisation intelligente des producteurs concernés.

3. refuser de signer les APE et réclamer un moratoire d’au moins trois (3) ans permettant de développer un processus de consultations inclusif, transparent et véritablement participatif pour jeter d’abord les bases de l’intégration régionale.
4. solliciter que l’on tienne compte de notre situation particulière (un pays miné par une longue crise systémique) et invoquer la notion de traitement spécial et différencié tant au
niveau de nos relations avec les pays de la Caraïbe que dans le cadre de ses relations avec d’autres régions.

5. intensifier ses rapports avec les blocs de pays proposant une vision alternative d’intégration – comme dans le cadre de l’ALBA – basée sur le respect de notre culture et de notre histoire et qui se construit sur la base des avantages coopératifs.

6. évaluer définitivement les 20 dernières années dominées par des politiques néolibérales et mettre en place des politiques différentes basées sur une vision d’éradication de la pauvreté, de combat contre la polarisation des richesses et l’exclusion, sur une volonté manifeste de relèvement de la petite économie paysanne et l’édification d’un régime d’accumulation priorisant les besoins du marché interne et l’articulation cohérente des
secteurs productifs.

7. profiter du Tarif extérieur commun (TEC) en application au sein de la CARICOM en vue de protéger sélectivement les filières de production à forte potentialité (tubercules, café, cacao, pêche, artisanat d’art, artisanat utilitaire, production culturelle, céréales, élevage, produits laitiers, production et
transformation de fruits, télétravail, matériaux de construction, tourisme écologique et culturel…etc)

8. discuter des listes d’exclusion avec tous les secteurs du pays et tenir compte de nos potentialités à moyen terme. Le délai imparti pour la signature avant la fin de l’année ne permet pas de travailler sérieusement sur la liste des produits exclus de la libéralisation et nous pensons qu’il faut sortir de ce dogme de libéralisation progressive, l’échéance des 20 ans ne constitue pas, selon nous, une assurance suffisante.

9. La question de la défense de la production nationale et de la souveraineté alimentaire doit constituer une boussole incontournable au sein des processus de négociation de tout accord de partenariat.

10. refuser de libéraliser les achats gouvernementaux qui constituent un levier de protection et de recapitalisation des petites et moyennes entreprises nationales.

11. protéger les services sociaux en les préservant de tout processus de marchandisation pour garantir l’accessibilité et l’universalité de ces biens et services publics à toute la population haïtienne.

12. Le Gouvernement haïtien devrait se battre pour conserver les leviers permettant de subventionner la production agricole et les niches fragiles des industries locales de transformation.

Port-au-Prince, le 28 septembre 2009

Pierre ESPERANCE – RNDDH

Camille CHALMERS – PAPDA

Nixon BOUMBA – MODEP

Osnel JEAN-BAPTISTE – TET KOLE

Derinx PETIT-JEAN – Chandel

Sony ESTEUS – SAKS

Cc : Son Excellence René PREVAL
Président de la République d’Haïti

Lettre au Premier Ministre