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Pssst! Ici, on est en démocratie

Par Franck Seguy – 05 juin 2009 – “Ici, on est en démocratie. Apprenez-le une fois pour toute! Le droit de manifester dans les rues n’existe pas!” C’est le jeudi 4 juin 2009. Cent deux années après la naissance de Jacques Roumain, l’auteur de Gouverneurs de rosée, celui-là même qui avait déclaré son communisme comme un droit que personne ne peut lui ravir.

Jeudi 4 juin 2009, des organisations du secteur populaire dont Batay Ouvriye et le Syndicat des travailleurs enseignants universaires haïtiens (Sendika Travayè Anseyan Inivèsitè Ayisyen, STAIA de son vrai nom en créole) ont appris par lettre non signée de la Minustah, via la Police nationale, qu’elles n’ont pas le droit de réaliser leur sit-in annoncé pour ce vendredi 5 juin. Visiblement, ces organisations avaient oublié qu’elles sont encore en démocratie en Haïti. C’est-à-dire que seuls les bourgeois ont et peuvent avoir des droits.


C’est depuis le mois de mai dernier qu’un bras de fer ouvert oppose le secteur ouvrier et populaire au secteur industriel et bourgeois en général, via son état et son Chef de l’état. Il s’agit de la loi sur le salaire minimum adoptée par le Parlement que le Chef de l’état bourgeois doit faire promptement promulguer au journal officiel. Et en vertu de laquelle les ouvriers recevront désormais 200 gourdes (3,77 euros) au lieu des 70 go urdes (1,32 euro) qu’on leur offre par journée de travail depuis 6 ans.

C’était en mars 2007 qu’un député, Steven Benoit, avait déposé par devant ses collègues une proposition de loi les invitant à élever le salaire de l’ouvrier haïtien à 250 gourdes. Malgré toute la dévaluation qu’a déjà subi la gourde entre temps, malgré l’inflation galoppante enregistrée sur le coût des nécessités basiques pour la reproduction de la force de travail, 26 mois après, le Parlement a quand même estimé nécessaire de revoir à la baisse les 250 gourdes. Mais voilà exactement 1 mois aujourd’hui que le vote est donné, la loi à promulguer boit encore de l’alcool sur les pupitres du bureau de Préval. Ce dernier en bon démocrate, convoque, ce vendredi même, une rencontre avec des parlementaires et ses patrons du secteur privé autour de cette loi. Pour quoi faire? Il est le seul à pouvoir le dire, car la loi lui dicte déjà ce qu’il reste à faire.

Les étudiants progressistes de l’Université d’état d’Haïti, unique université publique du pays, n’ont pas toute cette patience. Par deux fois cette semaine, ils ont manifesté pour exiger la promulgation de la nouvelle loi sur le salaire minimum. Mercredi, avec une répression d’une rare intensité, la Minustah et une brigade spécialisée de la Police nationale haïtienne avaient, en réponse, tout balayé sur leur passage. Mais il a fallu la journée du jeudi pour que les étudiants se rendent compte que la répression bourgeoise ne connait de limites que celles momentanées de la technologie et de l’industrie de l’armement elles-mêmes.

Des gaz lacrymogènes les plus toxiques dont dispose la force d’occupation et qui n’avaient pas encore été testés en Haïti ont été utilisés. Tout ceci pour empêcher que des manifestants pacifiques et mains nues ne défilent dans les rues. Le bilan est bien lourd: plusieurs arrestations dans le rang des étudiants, plusieurs personnes suffoquées et évacuées par la croix-rouge, un étudiant atteint d’une balle à la tête, un enfant mort par asfixion … L’espoir de Préval et de ses patrons bourgeois-grandons criminels c’est de réussir à intimider les étudiants jusqu’à leur faire rentrer dans leur coquille. Question d’étouffer les revendications ouvrières. C’est oublier que cette coquille n’existe plus.

Le capitalisme haïtien dans sa version néolibérale, mais beaucoup plus néocoloniale – puisqu’il n’a jamais été libérale – s’attaque à toutes âmes qui vivent. Depuis le mois d’avril, les étudiants de la Faculté de Médecine de Pharmacie (FMP) croisent le fer avec leur décanat. Certaines données essentielles demeurent floues pour l’observateur externe. On sait néanmoins qu’il s’agirait de quelques mesures rétrogrades annoncées sous couvert de “reforme”, mais dont le véritable but est celui de rouvrir la faculté aux fils de bourgeois, de préférence les mûlatres qui l’auraient abandonnée depuis qu’elle est devenue accessible aux filles et fils de paysans. Ce qui correspond un peu à la philosophie traditionnelle des futurs médecins haïtiens qui généralement ne se conçoivent pas comme des étudiants comme tous les autres. N’en parlons pas de se mêler au gros peuple.

Toutefois, leurs revendications n’ont pas manqué d’énerver les autorités qui, pour traiter avec eux, dépêchent quotidiennement sur les lieux des agents d’unités spécialisées de la Police nationale et de la Minustah. Jusqu’à présent, l’usage de gaz lacrimogènes ultratoxiques – et leurs armes de guerres, quand il le faut – est la seule formule de négociations que la Minustah utilise jusqu’ici. Mais, si les étudiants des facultés de sciences sociales et humaines manifestent en solidarité avec les ouvriers qui subissent l’humiliation des patrons d’usines de sous-traitance, lesquels ouvriers n’ont pas le temps eux-mêmes de gagner les rues, les étudiants de la FMP ne semblent pas encore discerner les liens qui unissent leurs revendications à la condition ouvrière. Sans doute, ils n’ont pas encore compris que le même capitalisme néocolonial qui refuse un salaire de misère aux ouvriers est le même qui cherche à revoir à la baisse leur formation médicale pour en faire des médecins allégés et au rabais.

Ces deux situations sont relatées ici pour dire qu’en Haïti, les marrons de la liberté (ceux qui avaient combattu l’armée de Napoléon venue rétablir l’esclavage en 1802), s’ils sont déclarés morts, ne sont pas tout-à-fait enterrés. Et que le soleil luit encore sur leur tradition de luttes.

En avril 2008, c’était pour protester contre le prix intenable du panier de la ménagère – et du menager pourquoi pas? – que les affamés et leurs alliés avaient gagné les rues. Leurs manifs en cascade avaient fait rapidement tomber le gouvernement d’alors. Il est d’une importance fondamentale de comprendre que l’ennemi, ce n’est ni le gouvernement ni le chef de l’état. Eux ne sont que des exécutifs et exécutants du grand comité qui gère les affaires privées de toute la classe des vrais ennemis: les bourgeois-grandons. Il y a ici une erreur à ne pas reproduire en convergeant les énergies contres les exécutants oubliant l’ennemi principal que sont les grandons-bourgeois.

En élevant le salaire minimum à 200 gourdes (4,76 dollars), le Parlement ne fait qu’inviter les bourgeois-grandons à mieux exploiter les ouvriers. En revendicant ce salaire, les organisations ouvrières et leurs alliés ne font pas mieux que d’ajouter leur consentement à ce cadre d’exploitation en le légitimant. En le refusant, les bourgeois-grandons envoient un message clair: ils ne changeront pas leur situation et statut de courtiers du capital étranger pour celui de capitalistes autonomes qu’on veut leur imposer.

Dans le froid cynisme des bourgeois-grandons, il y a une leçon à apprendre. Un pas à franchir. Une opportunité à saisir. Que les organisations du secteur populaire et progressiste ne devraient pas rater d’attraper au vol. Car, le résultat c’est la construction du communisme et de la libre individualité pour laquelle Dessalines et nos ancêtres avaient fait 1804.

Franck Seguy
05 juin 2009