La PAPDA vous invite à lire le rapport de Justice et Paix sur les élections Sénatoriales du 19 Avril. Le rapport fait une analyse du faible taux de participation et cherche les raisons d’un tel absentéisme. Pour Justice et Paix une des raisons importantes est la méfiance entre les citoyens et les institutions de l’État. Mais la mauvaise organisation des élections dont le rapport fait mention a contribué également au faible taux de participation. Justice et Paix fait des également plusieurs recommandations afin d’améliorer le déroulement des élections. Il faut, entres-autres, mettre en place un Conseil Électorale Permanent et lutter contre l’impunité des acteurs et commanditeurs des actes violents qui entourent à chaque fois les élections.
Observation électorale 19 avril 2009
Les acteurs les plus importants du processus électoral
sont les citoyens et citoyennes eux-mêmes.
Au mois de février, 2009, la Commission Justice et Paix a publié une note de presse pour plaider en faveur de pratiques politiques qui respectent les principes éthiques. Apres les élections du 19 avril 2009 on peut se question sur les caractéristiques de la vie politique en Haïti. Le déroulement des élections, le comportement des acteurs et les pratiques électorales nous aident à voir plus clair. La Commission a participé à l’observation électorale avec plus de 500 observateurs et observatrices dans 9 départements.
Le premier constat qui s’impose est le grand taux d’abstention. A peine 2 % des électeurs potentiels de la capitale se sont déplacés aux urnes. Le chiffre pourrait être plus élevé en province, mais il reste bas. Comment comprendre cette réalité ?
Nous avons analysé un centre de vote à Delmas. Voici nos constats : il y avait 14 BV qui pouvaient recevoir chaque 450 électeurs : cela fait 6.300 électeurs potentiels pour le centre. Lors du contage des voix, on a compte pour tout le centre 48 voix exprimées, ou 0,76 % taux de participation. Dans le cas ou tous les membres des bureaux et les mandataires avaient votés, on aurait dû compter au moins 70 votants. Des 48 votes exprimés, 17 ont votés pour « aucun candidat n’est valable » ; 35,41 % des votes valides. Qui disait en 2006 que les gens en Haïti ne se déplaçaient pas pour lâcher un « vote blanc » dans les urnes ?
Comment expliquer cette abstention ?
1.Traditionnellement, les élections qui attirent les foules sont les élections présidentielles, Mais la encore, il y a eu des élections présidentielles qui n’ont attiré que 15 % de l’électorat. La conjoncture concrète joue ; ce qui montre que les gens savent quand se déplacer ou rester chez eux.
2.Une raison avancé concerne l’absence de Lavalas, et son appel pour « fermer les portes » le jour du scrutin.
3.Plus important nous semble les menaces proférées dans les jours avant le scrutin : il y avait des menaces dans les quartiers populaires, dans les camionnettes, partout. « Si tu veux sortir écris ton nom sur le plat de vos pieds ». Le cramponnage et la peur sont des armes faciles ; ils constituent une violence psychologique importante et un empêchement à l’exercice des droits.
4.La plus grande raison, et c’est cela de nombreuses personnes nous ont fait savoir le jour du scrutin, est la méfiance entre les citoyens et les institutions de l’Etat. La population ne croit pas à leur utilité pour améliorer ses conditions de vie. Le Sénat ne contribue pas à l’amélioration de la vie des gens : même la loi sur le salaire minimum n’a pas encore passé le vote au sénat. Les gens identifient le Sénat à la corruption et les scandales. Ceci pourrait expliquer le grand pourcentage dans le centra analysé des votes « aucun candidat valable ». Pour la même raison de nombreuses personnes se sont abstenues de participer.
5.La mauvaise organisation des élections est un autre motif. Voici nos constats à travers le pays :
a.Les listes électorales ne sont toujours pas valables. Même avec cette participation minimale, plusieurs citoyens ont du rebrousser chemin, parce leurs noms étaient introuvables. L’ONI (Office Nationale de l’Identification) partage la responsabilité. Une bonne information et une bonne administration sont des caractéristiques d’un Etat qui respecte ses citoyens.
b.Les listes électorales partielles n’étaient pas affichées depuis d’avance pour permettre aux citoyens de connaitre leur BV. Les ordinateurs et téléphones ne sont pas les moyens indiqués par la loi ; d’ailleurs plus d’un n’a pas d’accès à ces moyens.
c.Le CEP a opéré de nombreux changements de dernière minute sans en informer la population de manière suffisante. Cela prouve la nécessité d’un CEP – permanent qui fait se construire une expérience et tradition électorale pour sortir du provisoire où on répète les mêmes erreurs. Ceci demande par contre la mise en œuvre de la décentralisation.
d.La mesure d’interdiction de circulation pour le transport public rendait impossible à de nombreux citoyens de se rendre à leur centre de votre, qui parfois est é3loigné.
6.La population n’avait pas d’information sur les candidats faute de campagne électorale et de débat public sur les problèmes qui intéressent les gens. Tout cela est motif de découragement, parce l’élection n’apportera pas de changement nécessaire ; les candidats n’ont pas de message adapté à la conjoncture.
a.Le CEP continue ã confondre des spots publicitaires avec une vraie campagne d’éducation civique qui aide les gens à voir les enjeux et le sens de l’Etat et de ses institutions.
b.Les partis politiques apparaissent dépourvus de programme présenté lors des débats publics.
D’autres points attirent l’attention :
– Le CEP a pris beaucoup de retard pour organiser bien les élections. Trop de choses sont centralisées à Port-au-Prince, comme les badges pour observateurs. La composition des BV provoquait résistance parce les gens étaient étranges au milieu. Leur formation était une activité de dernière minute, parfois le samedi avant le scrutin. Les problèmes éventuels ne pouvaient plus être résolus de manière satisfaisante. Rien n’était prévu pour les membres des BV : une collation, une entente claire, du transport pour rentrer chez eux.
– Les actes de violence perpétrés le jour du 19 avril démontrent clairement qu’on est loin d’une bonne compréhension de ce que « politique » signifie pour un pays. Le jour du scrutin on constate qu’il n’y a pas eu de désarmement. Même des autorités de l’Etat se donnent à la violence pour renforcer leur position ou celle de leur parti politique.
° Dans le Plateau Central, des députés, sénateurs et candidats se sont impliqués dans la violence et le fraude, à part des partisans des partis politiques comme UCADDE et Lespwa.
° Dans l’Artibonite, des députés et candidats sont mêlés dans la violence et le fraude, tout comme des partisans des partis politiques comme AAA, Lespwa et indépendants.
° Dans le département de la Grand’ Anse, on signale des autorités locales et députés mêlés a des actes d’intimidations sur les votants.
° Dans le Sud Est, un sénateur aurait fait pression sur des électeurs.
° Dans le Nord, des partisans de Modelh, Lespwa (en voiture de l’Etat) et de Fusion étaient impliqués dans des (tentatives de) bourrages d’urnes.
° Le comportement de certaines autorités également est source de confusion.
> La Constitution du pays indique « le devoir de voter sans contrainte » (article 52-1). Comment comprendre cela, alors que le Président de la République déclare « qu’il n’y a pas d’obligation de vote » ?
> Comment comprendre que seulement deux jours avant le scrutin on pose la question du financement de la campagne électorale des partis politiques comme prévu par la loi ?
> Comment comprendre que députés et sénateurs et même partis politiques ne se distancient pas de la violence perpétrée par leurs partisans, même quand il s’agit de violence psychologique ?
Quand est-ce que l’immunité des autorités ne sera plus confondue avec impunité ? Quand est-ce on commencera à appliquer des sanctions comme exigé par la loi contre les fauteurs de troubles, ceux qui empêchent l’exercice des droits, ceux qui profèrent des menaces et de la violence ? Quand est-ce qu’on va prendre des sanctions contre députés, senateurs et candidats qui sont mêlés dans des actes de violence lors du scrutin ?
Justice et Paix a plaidé pour les valeurs et considérations éthiques dans la politique et les élections. Les élections est en première lieu une question citoyenne. Avec les élections on cherche à résoudre la question du pouvoir et la responsabilité dans le pays : à qui confier la responsabilité pour gérer le pays pendant un temps et mandat limité ? C’est pourquoi il y a des règles à respecter. Refuser les règles équivaut à se situer hors jeu.
Justice et Paix refuse d’accepter que des personnes qui ont un mandat populaire en main se servent de ce pouvoir pour écarter le peuple. L’immunité dont jouissent certaines autorités ne devrait pas servir pour encourager l’impunité dans le pays.
Élection est une question de respect pour l’éthique et de respect pour le peuple. Lors des élections, le premier acteur est le citoyen ou la citoyenne. Le pays lui appartient. Il n’est la propriété des politiciens et des autorités ; le pays ne doit jamais devenir leur bien. C’est pourquoi les élections doivent être correctes, sans violence, transparentes et accompagnées des informations nécessaires.
Nos recommandations
Aux partis politiques
– Qu’ils prennent sérieusement en main l’éducation civique de leurs membres afin qu’ils respectent les principes démocratiques élémentaires, qu’ils pratiquent la tolérance et comprennent le sens d’une élection.
– Qu’ils désavouent publiquement leurs participants qui se donnent à la violence ou qui se servent de moyens non démocratiques et qui se servent de son nom.
– Qu’ils élaborent des programmes sérieux qui expriment une vision pour le pays et qui donnent une réponse aux problèmes et préoccupations des gens.
A l’ONI (Office Nationale d’Identification)
– Qu’elle organise une banque de données des citoyens et citoyennes dans le pays d’une façon systématique, permanente et correcte.
– Qu’elle informe clairement la population sur les démarches à entreprendre pour corriger les erreurs, introduire les changements lors de changement de résidence, etc.
– Comme service public, il faut que ses services soient facilement accessibles, présents à travers le pays, être gratuits et corrects.
Au Pouvoir Exécutif
– Qu’il entreprenne sans tarder le processus pour mettre sur pied un CEP – permanent, comme demandé par la Constitution ; dans le but de permettre l’organisation des élections à temps, correctes, à moindre coût, tirant profit des expériences acquises, aux échéances prévues, sans qu’on soit obligé de répéter les mêmes erreurs.
Au CEP
– Qu’il corrige immédiatement les erreurs dans l’organisation des élections.
– Qu’il donne des informations correctes sur les centres de vote.
– Qu’il crée les moyens pour que la population puisse être au courant de leur location, avec les moyens prévus par la loi.
– Qu’il organise les élections aux échéances prévues par la loi ; qu’il se sert des ressources locales dans l’organisation des élections.
– Qu’il organise une campagne d’éducation civique qui explique le rôle des institutions de l’Etat et l’importance des élections.
– Qu’il applique la loi électorale à l’encontre des autorités de l’Etat qui sont mêlées dans des pratiques de fraude et de violence.
– Qu’il applique la loi électorale à l’encontre de tout candidat mêlé dans des pratiques de fraude et d’intimidation.
– Qu’il arrête à considérer le processus électoral comme quelque chose qui regarde la Pouvoir Exécutif et les partis politiques seulement. Le CEP comme organisme indépendant de l’Etat doit être au service du pays.
Aux chambres des députés et sénateurs
– Qu’elles sanctionnent les membres du Grand Corps qui sont mêlés dans des pratiques de fraude électorale et de violence lors du scrutin du 19 avril 2009. Il s’agit de l’honneur du Grand Corps.
Pour la Commission Justice et Paix Nationale
P. Jean Hanssens, Directeur national
Jocelyne Colas, Secrétaire Exécutive
Note : La Commission continue à travailler sur un rapport détaillé de ses observations lors du scrutin du 19 avril 2009.