En Haïti aussi, les mouvements sociaux et populaires se mobilisent encore une fois cette année dans le cadre du 27 septembre : journée mondiale de mobilisation contre les Accords de Partenariat Economique (APE), et ça marche. Cela se fait dans un contexte où le gouvernement haïtien a finalement décidé de ne pas signer l’accord de libéralisation commerciale. Cette décision du gouvernement peut être considérée comme une victoire, résultat de la grande mobilisation lancée et menée par la Coalition Nationale BARE APE. Une victoire peut-être temporaire, vu les fortes pressions exercées par les acteurs comme le CARIFORUM et l’Union Européenne sur le gouvernement haïtien, mais très importante pour donner encore plus de force à la mobilisation.
Sur les 16 pays qui forment le CARIFORUM (le groupe Caraïbes), seulement 2 pays ont refusé de signer l’accord commercial lors de la XIVe Réunion des chefs d’Etat du CARIFORUM réalisée à la Barbade, le 10 septembre 2008 : il s’agit de la République d’Haïti et la Guyane. Il faut rappeler que quelque jours avant la réunion, le Président de la Guyane avait appelé ses homologues à rejeter en bloc l’Accord de Partenariat Economique (APE), estimant qu’il est préjudiciable au processus d’intégration régionale et au renforcement des structures nationales de production et d’investissement.
La décision du gouvernement haïtien de ne pas signer les APE repose sur les éléments suivants:
– les préférences régionales, en particulier dans ces relations d’échange avec la République dominicaine. Les négociations en cours ne permettent pas de favoriser les entreprises et industries nationales et sont de nature à décapitaliser les efforts déjà constatés dans certains secteurs. Nous pensons qu’il faut surtout donner la priorité à la « préférence nationale ».
– la question de l’aide au développement. Les APE ne prévoient aucune augmentation ni une nouvelle orientation de ce qu’on appelle « aide au développement ». S’il est vrai que l’aide au développement n’a jamais impulsé un processus réel de développement dans les pays pauvres, il va sans dire que les APE viendraient compliquer la situation. Non seulement les pays ACP vont faire face à une libéralisation déloyale et très désavantageuse qui occasionneront des pertes énormes de ressources par la libéralisation de secteurs clés de leurs économies mais aussi par le fait que l’UE se montre très intransigeante estimant que « l’aide » accordée dans le FED (Fonds Européen de Développement) est déjà suffisant. Les prévisions du FED pour Haïti pour la période 2008-2013 s’estiment à 304,6 millions d’euros alors que les pertes par rapport à cette libéralisation d’échange pour la même période avoisineraient 500 à 600 millions d’euros, soit presque le double du FED pour Haïti. Il est de ce fait nécessaire de se demander « Qui aide qui ? ».
– l’accès au marché : « Les négociations des APE comportent un volet offre d’accès au marché qui détermine le degré et l’ampleur de la libéralisation des échanges. La formulation de cette proposition d’offre d’accès au marché implique la détermination des produits devant être, soit exclus de la libéralisation, soit pour lesquels l’ouverture totale ou partielle du marché devra être repoussée à une date ultérieure. L’objectif de la détermination de la liste nationale de ces produits est d’éviter de mettre en péril certains pans de notre appareil productif et de permettre de bâtir une stratégie crédible de défense et de sauvegarde des intérêts vitaux du pays ». Le Gouvernement haïtien a fait part aux autres pays du CARIFORUM des anomalies qui existent au niveau de la région eu égard aux tarifs. Haïti, dans la zone Caraïbe dispose du tarif moyen le plus bas, soit 2,9% alors que la moyenne pour toute la zone oscille entre 15 et 25%, ce qui fait d’Haïti, le pays le plus libéral de notre hémisphère. Les APE exigent encore plus de libéralisation, ce qui contribuera forcément à déstructurer et décapitaliser une économie déjà en proie à de graves difficultés. Les offres faites par le gouvernement après avoir bénéficié d’un moratoire de six (6) lors de la signature du document en Décembre 2007 et la liste des produits sensibles définis et publiés montrent que nous sommes loin d’un accord qui favoriserait le renforcement des capacités locales et nationales pour entrer dans ce jeu de concurrence sauvage qu’il propose.
Au regard du contexte actuel que vit le pays, il va sans dire que ces raisons sont importantes mais pas suffisantes tenant compte de la nécessité pour le pays de redynamiser les secteurs productifs surtout en ce qui a trait aux secteurs « Services » et « industrie agricole ». Le gouvernement haïtien n’est pas allé contre les APE, mais de préférence vers l’amélioration du contenu. Alors, que, de par leurs objectifs, l’idéologie néolibérale qui les sous-tend, et les mécanismes mis en place, les APE sont contre toute logique productive et aussi contre la structuration des secteurs économiques vitaux pour les pays comme Haïti. Il nous faut changer de paradigme de la coopération et de l’intégration pour pouvoir créer de nouvelles dynamiques nationales et régionales.
L’une des raisons pour lesquelles Haïti n’a aucune raison de signer les APE et qui n’est pas mentionnée dans les rapports officiels est que le pays est classé dans la catégorie PMA (Pays Moins Avancés) et de ce fait il a déjà un accès libre et non-réciproque sur le marché européen sur la base de l’initiative « Tout Sauf les Armes (TSA)» ; alors que les APE exigent un régime commercial réciproque. Cependant, nous croyons que le gouvernement haïtien ne peut en aucune façon considérer que le pays devra demeurer dans ce groupe en ne définissant et appliquant des politiques publiques visant à émanciper le pays et qu’il joue son rôle proactif dans le processus d’intégration et d’échanges commerciaux tant au niveau régional qu’international.
Le camp du refus doit grossir !
Le 15 Octobre prochain représente une date cruciale pour la région des Caraïbes dans les négociations des Accords de Partenariat Economique. Sous haute pression exercée par l’Union Européenne, le Secrétariat du CARIFORUM (CARICOM + la République dominicaine), après avoir constaté l’échec de la réunion du 10 septembre, a écrit au Commissaire européen, Peter Mandelson, pour lui proposer une nouvelle date à laquelle il tentera de convaincre les pays qui résistent jusqu’à maintenant à signer l’accord tel qu’il est imposé par l’UE. Face à la détermination des gouvernements de la Guyane et d’Haïti et tenant compte de la nécessité pour les pays de la région de sauvegarder leur souveraineté dans la définition des politiques publiques internes, d’autres pays de la Caraïbe doivent se joindre au camp du refus pour pouvoir renforcer les mécanismes d’intégration régionale et redynamiser les économies nationales. C’est un mouvement très important qui demande aussi que les mouvements de citoyens, les mouvements sociaux déjà engagés dans la bataille et tous les autres qui hésitent encore de faire pression sur les gouvernements des pays ACP afin de refuser de jouer au jeu de l’UE qui n’est autre que d’arriver à controler les politiques publiques en matière sociale, économique et commerciale.
Nous voulons saluer particulièrement toute la lutte menée par nos partenaires et les peuples africains qui ont porté leurs gouvernements à être réceptifs par rapport aux demandes incessantes de sauvegarde de leur souveraineté face à une Union Européenne (UE) qui veulent encore imposer la logique coloniale : « Tout par et pour la métropole » .
Une autre Haïti est possible sans les Accords de Partenariat Economique (APE)
Les mouvements sociaux et populaires de ces pays doivent continuer leur campagne d’information, de sensibilisation, de mobilisation, de plaidoyer et de recherches d’alternatives viables pour pouvoir forcer les gouvernements à définir des politiques nationales de développement avec une large participation de tous les secteurs vitaux. Ces plans doivent fixer des objectifs clairs et précis et aussi montrer les raisons fondamentales de la participation du pays dans les négociations internationales et quels seront les enjeux fondamentaux pour la réalisation des objectifs fixés.
La libéralisation commerciale a montré ses limites et son incapacité à adresser les besoins réels de développement des pays du Sud. Seul un processus défini depuis l’intérieur est capable d’insuffler une nouvelle vitalité aux secteurs dynamiques au niveau national. Ainsi, tous les secteurs de la vie nationale ont besoin de montrer leur capacité à se rallier derrière un objectif commun qui est de lutter contre les APE et mettre le gouvernement, l’Etat haïtien devant ses responsabilités d’élaborer des politiques nationales en fonction des revendications fondamentales de la population haïtienne.
La Coalition Nationale « Bare APE », composée d’une dizaine d’organisations haïtiennes, réalise depuis début 2007 jusqu’à aujourd’hui encore, de façon très intense, des activités d’information, de sensibilisation, de mobilisation auprès de divers secteurs de la population haïtienne contre la signature des APE. Notre travail de plaidoyer direct auprès du gouvernement haïtien, des structures de l’Union Européenne et de la CARICOM a en quelque sorte joué son rôle dans ce refus du gouvernement de signer les APE. En dépit de ce nouveau contexte, la lutte est loin de parvenir à son terme et nous avons l’œil bien rivé sur la prochaine réunion du CARIFORUM qui nous inspire de nouvelles initiatives afin de mobiliser la population et faire pression sur le gouvernement haïtien pour renforcer sa position du refus. D’autres activités de plaidoyer et de sensibilisation sont prévues dans les semaines à venir afin de porter les autorités haïtiennes à confirmer leur refus de signer de tels accords qui n’ont rien à voir avec la nécessité de développer le pays ni à court, moyen et long terme.
Et notre mobilisation continue dans la solidarité jusqu’à la victoire finale.
Port-au-Prince, le 01 Octobre 2008
Organisations membres de la Coalition haïtienne : PAPDA – RNDDH – MODEP – CHANDEL – TÈT KOLE TI PEYIZAN AYISYEN – SOFA – RAJES – SAKS – KOPWONÒ
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Note analyse sur les négociations des APE