La PAPDA vous invite à lire ce texte de notre ami le Prix Nobel de la Paix argentin Adolfo Perez Esquivel qui exprime ses inquiétudes sur les conséquences écologiques catastrophiques de l’implantation d’une usine de pâte à papier.
Les relations entre l’Argentine et l’Uruguay s’enveniment actuellement à cause de l’installation en Uruguay d’une usine de pâte à papier près du fleuve qui sépare ces deux pays. Les habitants de Gualeguaychu du côté argentin protestent contre la construction de cette usine qui va gravement polluer leurs terres. Depuis quelques mois, pour se faire entendre, ils bloquent les ponts de la frontière entre l’Argentine et l’Uruguay, ce qui perturbe énormément l’économie régionale.
Au lieu de dialoguer pour essayer de régler ce conflit à l’amiable, les présidents de ces deux pays frères ont fait appel à la Cour Internationale de Justice de La Haye qui devra trancher et prendre des décisions.
Adolfo explique dans ce message que la raison profonde de ce conflit vient du fait que l’on privilégie toujours les problèmes financiers au détriment des problèmes humains.
La pâte à papier a empâté les relations
entre l’Argentine et l’Uruguay.
Adolfo Pérez Esquivel
Buenos Aires, le 10 novembre 2007.
« La Paix commence par le respect de l’autre », comme le disait si bien Benito Juarez, (Président indigène du Mexique au 19ième siècle).
Nous devons nous demander pourquoi la situation entre l’Argentine et l’Uruguay continue à se détériorer. Le problème n’est pourtant pas nouveau puisqu’il date d’une vingtaine d’années, quand les investissements pour la pâte à papier ont commencé avec la préparation de la matière première par les plantations des eucalyptus et des pins. On n’a pas fait alors d’études d’impact sur les zones peuplées de la région et on n’avait pas prévu la réaction des habitant de Gualeguaychu.
Depuis ce temps-là, les deux gouvernements de l’Argentine et de l’Uruguay n’ont pas été capables de mettre sur pied une politique commune pour résoudre ce conflit. Ils ont laissé la mésentente se développer pendant des années et ils ont laissé faire. La réaction des habitants de Gualeguaychu a provoqué de si grandes manifestations de protestation que ENSE, l’une des deux entreprises de fabrique de pâte à papier avec des capitaux suisses, s’est retirée de la zone, grâce d’ailleurs à l’intervention du gouvernement provincial de Galice en Espagne.
Les réclamations des habitants du village de Gualeguaychu se fondent sur les menaces pour leur santé et les conséquences sur les ressources naturelles et les sources de travail. Les habitants considèrent avec juste raison que leur région est à la fois touristique et agricole. Qui va assumer la responsabilité des dommages que va provoquer l’entreprise Botnia ?…
Le gouvernement uruguayen de Tabaré Vasquez a hérité de ce problème. Quand ils étaient dans l’opposition parlementaire, ils se sont opposés à l’installation de ces fabriques de papier, mais lorsqu’ils sont arrivés au gouvernement, ils ont changé d’attitude et se sont soumis aux accords déjà signés et à la pression de l’entreprise finlandaise. L’Uruguay est un peuple frère auquel nous sommes unis par des liens historiques d’amitié, et c’est vraiment lamentable que les deux présidents n’aient pas la volonté politique de dialoguer et de chercher une solution commune pour le bien commun de tous. Aujourd’hui les relations sont vraiment à leur plus bas niveau et ce ne sont pas les accusations mutuelles qui vont résoudre le problème.
L’attitude de Tabaré Vasquez d’autoriser le fonctionnement de cette usine de cellulose ne doit pas nous étonner. Elle est le résultat de la logique du marché et des fortes pressions exercées sur son gouvernement par l’entreprise Botnia et par l’opposition politique uruguayenne actuelle.
Le gouvernement uruguayen parle de défense de la souveraineté nationale et dit qu’il n’a pas à demander la permission à l’Argentine. Sur ces principes énoncés, je suis entièrement d’accord avec lui. La souveraineté est un droit pour chaque peuple. Néanmoins, les faits nous démontrent qu’en réalité il ne défend pas les intérêts du peuple, mais ceux d’une entreprise multinationale de capitaux finlandais. Cette entreprise se situe au-dessus des Etats et le gouvernement uruguayen se croit obligé de respecter des traîtés léonins déjà signés, sous peine de sanctions s’il ne respecte pas les accords. Certes, c’est là une réalité qu’on ne peut ignorer ; cependant, pour régler ce conflit, il suffirait de réviser ces contrats déjà signés.
Récemment, Tabaré a mis les pieds dans le plat et a envoyé promener le représentant du Roi d’Espagne. Il l’a fait en plein milieu du Sommet Ibéro-américain à Santiago du Chili.
Les gouvernements argentins, qui ont précédé celui du président Kirchner, connaissaient très bien les conséquences que provoquerait l’installation de cette fabrique de pâte à papier à Fray Bento en Uruguay et ils n’ont pourtant rien fait pour l’empêcher ou, au moins, pour demander son déplacement à un autre endroit. Mais, le gouvernement actuel a aussi laissé faire, tout en regardant d’un autre côté, jusqu’à ce qu’éclate le conflit d’aujourd’hui, tout simplement parce qu’il n’existe pas de politique claire et concrète en ce qui concerne la préservation du milieu ambiant.
Dans notre pays, il existe déjà 11 entreprises, dont des fabriques de pâte à papier, hautement polluantes et qui provoquent des dommages irréversibles à l’environnement, soit dans les grandes villes, soit à l’intérieur même du pays. La pollution des rivières et bien d’autres problèmes liés à l’écologie sont sans cesse en augmentation comme, par exemple, la destruction des forêts naturelles, l’extension de la monoculture du soja, les plantations d’eucalyptus et de pins. Tout cela provoque la désertification des terres. En fait, la politique appliquée en Argentine est semblable à celle de l’Uruguay.
Je veux à nouveau insister pour redire que l’axe central de ce problème, c’est de toujours privilégier le capital financier par rapport au capital humain. La préoccupation actuelle des gouvernements provient de la réaction des peuples qui réclament des solutions politiques aux problèmes de prévention et de régulation de l’environnement. Ces mêmes peuples disent non aux destructions et aux dommages qu’ils doivent subir à cause des entreprises transnationales et nationales, comme par exemple à Gualeguaychu, mais aussi à Esquel à cause des entreprises minières.
On doit aussi prendre en compte les réclamations des mouvements sociaux et des assemblées populaires en ce qui concerne l’eau. C’est là un problème de plus en plus préoccupant dans le monde à cause des indices élevés de pollution et du gaspillage de cet élément vital.
Actuellement , le conflit de la fabrique de pâte à papier de Fray Bento est porté devant la Cour Internationale de Justice de La Haye. C ‘est elle qui devra rendre un jugement dans cette affaire.
Les problèmes de pollution ne se limitent pas à celui deGualeguayachu. Nos pays sont actuellement en situation de risque élevé et ils ont besoin de règles et de lois qui fixent des limites au saccage et à la destruction des richesses de nos peuples. C’est un état d’alerte dont j’espère les gouvernement ont bien conscience. Bien au-delà de la conjoncture actuelle prise en compte par les media, on a besoin de mettre en place des politiques à moyen et à long terme, car c’est de ces politiques que dépendent le présent et le futur de la région.
Les gouvernants parlent tous de dialogue, mais en fait ils sont autistes et ils n’écoutent qu’eux-mêmes. Pour dialoguer, on a besoin au minimum de deux personnes de bon sens , mais le bon sens est le moins commun des sens.
Adolfo Pérez Esquivel – Buenos Aires, le 10 novembre 2007.