Après l’échec plus ou moins consommé de l’ALCA (ou ZLEA, Zone de libre-échange des Amériques), la stratégie commerciale des Etats-Unis vis-à-vis de l’Amérique latine a privilégié les accords bilatéraux – des négociations sont en cours avec l’Équateur et l’Uruguay – ou régionaux – c’est le cas de l’accord passé entre les Etats-Unis d’une part et le Costa Rica, El Salvador, le Guatemala, l’Honduras, le Nicaragua et la République dominicaine d’autre part [1]. Cet accord, signé en mai 2004 par l’ensemble des pays exception faite de la République dominicaine qui l’a signé en août 2004, a rencontré de fortes oppositions lors des débats précédant sa ratification par les parlements nationaux. Les partisans de l’accord en vantaient les mérites pour le pays tandis que ses détracteurs mettaient en avant les risques qu’un tel accord comportait. L’article, publié par l’agence de presse IPS esquisse un premier bilan quelques mois après l’entrée en vigueur de l’accord au Salvador.
Après sept mois d’application de l’accord de libre-échange avec les États-Unis, de petits agriculteurs ainsi que des économistes d’El Salvador signalent que l’accord ne profite qu’à un nombre restreint de secteurs au détriment de la majorité de la production nationale et de milliers d’emplois.
L’accord commercial conclu entre les États-Unis, la République Dominicaine et cinq autres pays d’Amérique centrale (qui a pour sigle en anglais DR-CAFTA [2]) a été défendu par le gouvernement d’El Salvador comme étant la panacée pour l’économie nationale.
Le président Antonio Saca et ses collaborateurs affirmèrent que le CAFTA était indispensable au redressement des indicateurs économiques en baisse. Cela apporterait 40 000 emplois d’un coup et favoriserait l’investissement étranger dont le taux national est l’un des plus bas de la région, le plaçant à l’avant-dernière place devant le Guatemala.
Cependant l’économiste Raúl Moreno est catégorique : l’accord, depuis son entrée en vigueur le premier mars, n’a bénéficié qu’à un groupe de grands entrepreneurs, principalement des importateurs, et a porté préjudice aux secteurs agricoles ainsi qu’aux consommateurs.
Le DR-CAFTA « est le coup de grâce pour l’agriculture d’El Salvador, dont certains secteurs comme la production du riz vont disparaître un an après l’entrée en vigueur de l’accord », ce qui impliquera la perte de la souveraineté alimentaire, a-t-il signalé à IPS.
Miguel Alemán, dirigeant de la Confédération des fédérations de la réforme agraire, nous a également fait part de ses préoccupations quant à l’avenir de l’agriculture salvadorienne. Il a déclaré que « le CAFTA, tel que nous le dénonçons, signe l’arrêt de mort de plusieurs secteurs puisqu’il a, par exemple, des répercussions négatives sur 400 000 producteurs de céréales ».
« Dans nos coopératives, nous avons dû diminuer de 20% le nombre de postes », ce qui correspond à plus de 2 000 travailleurs pour cette année, a-t-il indiqué.
Selon la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, la production agricole a augmenté de 4,3% en 2005 – le meilleur résultat des six dernières années – pour un taux de croissance global de 2,8%, chiffre le plus bas d’Amérique centrale dont le taux moyen tourne autour des 4% pendant la même période.
La Banque centrale fait mention d’un Produit intérieur brut de 17 milliards de dollars, dans un pays ayant adopté le dollar comme monnaie officielle en 2001, l’inflation moyenne est de 4,3%, le chômage touche près de 7% de la population active et le sous-emploi 35%. Enfin, plus de la moitié des 7 millions d’habitants d’El Salvador vivent dans la pauvreté.
L’accord a été signé en mai 2004 et ratifié au mois de décembre de la même année grâce aux voix de la majorité gouvernementale, du parti de droite de l’Alliance républicaine Nationaliste ainsi que des partis Démocrate-chrétien et de la Conciliation nationale. Mais, il n’est entré en vigueur qu’au mois de mars dernier après que l’Assemblée législative a adopté plusieurs réformes exigées par Washington.
Dans l’intervalle, El Salvador a dû des réformes en matière de protection des investissements étrangers et de propriété intellectuelle ainsi que dans les codes pénal et de procédure afin de lutter, en particulier, contre la reproduction illégale de CDs et de DVDs et la contrefaçon de marques de vêtements et de chaussures.
L’accord avec les États-Unis est également en vigueur au Nicaragua, au Honduras et au Guatemala. La Républicaine dominicaine, quant à elle, l’a ratifié mais ne l’a pas encore mis en application. Enfin, le parlement costaricien ne l’a pas encore approuvé.
Dès le début des négociations pour le DR-CAFTA, les gouvernements de la région ont dû faire face à une forte opposition de secteurs sociaux convaincus que l’Amérique centrale ne peut pas rivaliser avec les États-Unis.
La ratification de l’accord au Salvador a eu lieu à une heure indue alors que des centaines d’opposants réclamaient un débat national en la matière et que les leaders parlementaires admettaient ne pas connaître à ce moment le contenu de l’accord.
Les vendeurs de l’économie informelle permettent, selon les chiffres officiels, de faire survivre près de 40% de la population. Ces derniers mois, ils se sont affrontés en batailles rangées avec la Police nationale civile qui, en application de l’accord, réalise des opérations de saisie des produits contrefaits dans le centre de San Salvador [3].
« Beaucoup de gens partent aux États-Unis car près de 133 000 hectares de terre ne sont plus exploités à cause du CAFTA, nous n’avons plus accès aux prêts et les coûts de production sont élevés », explique Alemán dont la confédération agraire compte 12 000 membres associés dans 131 coopératives productrices de céréales, de bétail et de café.
On estime à environ 700 par jour le nombre de Salvadoriens qui abandonnent le pays à la recherche de meilleurs offres d’emploi. Ils partent principalement vers les États-Unis où la plupart essaie d’entrer sans les papiers nécessaires.
Des statistiques officielles indiquent que près de 2,5 millions de Salvadoriens vivent à l’étranger dont 2,3 aux États-Unis. L’argent qu’ils envoient régulièrement à leurs familles permet de soutenir cette fragile économie.
Moreno rappelle que le secteur rural constitue l’un des principaux facteurs de déséquilibre avec les États-Unis puisque celui-ci bénéficie d’un programme d’aide gouvernementale dont les subventions couvrent jusqu’à 80% de la production. Ceci permet de baisser considérablement les prix.
« Si à cela nous ajoutons le fait qu’ils [les États-Unis] ne paient plus de taxes douanières pour faire entrer leurs produits au Salvador, la situation pour les producteurs nationaux se complique encore », ajoute-t-il.
Les producteurs locaux qui n’ont que de petites parcelles de terre ne reçoivent aucune subvention et ne peuvent pas non plus compter sur des prêts ni sur des aides technologiques.
C’est pourquoi, face à la concurrence déloyale que représente l’entrée massive de produits états-uniens, les petits agriculteurs nationaux savent leur futur très incertain.
Alemán indique, à titre d’exemple, que « le sac d’engrais, l’année dernière, nous coûtait 18 dollars et maintenant il a atteint 23 dollars. Le quintal de maïs criollo [4] nous le vendions 11 ou 12 dollars alors que cette saison nous le vendons seulement 8,50 dollars ».
« Avec le CAFTA, le maïs produit aux États-Unis est vendu au Salvador 6,40 dollars. Alors, qui va nous acheter le nôtre ? », se demande le petit producteur. « L’année dernière, je cultivais un peu moins d’un hectare de maïs pour la consommation de ma famille, mais maintenant je vais arrêter car ce n’est plus rentable », ajouta-t-il.
« En cinq ans, nous serons complètement en faillite, confrontés à une crise de production et nous ne pourrons plus assurer l’alimentation du pays », a prévenu le syndicaliste.
Le Ministère du Commerce états-unien rapporte que le Salvador a exporté entre janvier et juin 2005 l’équivalent de 984 millions de dollars alors que, cette année, avec l’entrée en vigueur de l’accord, les ventes durant la même période ne s’élèvent qu’à 798 millions de dollars.
En revanche, les achats salvadoriens qui ont atteint 956 millions de dollars durant les six premiers mois de l’année 2005, ont atteint cette année 1, 67 milliard de dollars durant la même période.
Le DR-CAFTA a prévu que soient importées la première année au Salvador 35 000 tonnes de maïs blanc, 350 000 de maïs jaune, 10 de lait et près de 65 000 de riz, entre autres, produits qui la plupart étaient déjà vendus dans le pays avant l’accord.
Puis les quotas augmenteront de 1 à 10% par an jusqu’à la fin des deux décennies planifiées par l’accord.
Selon une étude réalisée par Moreno, les importations de maïs blanc, de sorgho et de riz complet, du fait de l’accord, entraineraient la suppression de 92 471 emplois pendant la première année d’application du traité, chiffre qui augmenterait en moyenne de 1 557 emplois chaque année.
Toutes ces données laissent présager un futur difficile pour El Salvador malgré les propos enthousiastes du gouvernement lors de l’entrée en vigueur du traité.