Le Costa Rica est un petit pays d’Amérique centrale à peine grand comme la Suisse avec une population de 5 millions d’habitants. En 1948, après de violents affrontements entre deux factions de militaires, le gouvernement a décidé de dissoudre son armée et de transférer le budget militaire sur celui de l’éducation. Il est devenu depuis le plus grand pays du monde à ne pas avoir d’armée et c’est, avec Cuba, le pays d’Amérique Latine qui a le moins d’analphabètes et le plus de diplômés d’enseignement supérieur
Présentation pour expliquer le contexte:
Le Costa Rica est un petit pays d’Amérique centrale à peine grand comme la Suisse avec une population de 5 millions d’habitants. En 1948, après de violents affrontements entre deux factions de militaires, le gouvernement a décidé de dissoudre son armée et de transférer le budget militaire sur celui de l’éducation. Il est devenu depuis le plus grand pays du monde à ne pas avoir d’armée et c’est, avec Cuba, le pays d’Amérique Latine qui a le moins d’analphabètes et le plus de diplômés d’enseignement supérieur.
Cependant, le grand problème actuel du Costa Rica, c’est le million d’immigrants venant surtout du Nicaragua voisin qui ont fuit leurs pays pour vivre dans une région sans guerre. Ils sont environ un million, soit 20% de la population et servent de main d’œuvre bon marché tout en provoquant un fort sentiment de xénophobie parmi les Costaricien qui les accusent de tous les délits. Le Costa Rica, toujours sans armée, sous la pression des marchands d’armes, a surarmé ces dernières années ses policiers et ses gardes frontières. Enfin,… comble de l’ignominie… on vient d’apprendre tout récemment qu’une entreprise nord-américaine a acheté un grand terrain dans le nord du pays pour y construire une usine d’armement qui compte bien sûr tirer profit à la fois de cette main d’œuvre peu chère et de la situation pacifique du pays.
Le président récemment élu, Oscar Arias est avec Adolfo et Rigoberta Menchu, un des 3 Prix Nobel de la Paix latino-américains. Il a été nominé en 1987, sans doute pour récompenser ce tout petit pays de n’avoir pas d’armée. Cette lettre d’Adolfo lui est adressée.
Après l’échec qu’ils ont subi à Mar del Plata en 2005 pour imposer la Zone de Libre Echange à l’ensemble du continent, les Etats- Unis essayent à présent de traiter directement avec chaque pays latino-américain. Ils exercent de fortes pressions sur les gouvernements et les parlements nationaux pour qu’ils acceptent des traités bilatéraux de « libre commerce » qui sont avantageux pour eux et pour les plus riches de chaque pays.
De grandes manifestations se sont déroulées ces jours derniers à San José, la capitale et dans les villes de province contre la signature du TLC, ce traité de Libre Commerce proposé par les Etats-Unis et que le Costa Rica est très tenté de signer.
Lettre au Président du Costa Rica, Oscar Arias.
La signature du TLC (Traité de Libre Commerce) avec les Etats-Unis amènerait le Costa Rica à se transformer en colonie.
Adolfo Pérez Esquivel Prix Nobel de la Paix Président International du SERPAJ -AL (Service Paix et Justice).
Buenos Aires, le 22 octobre 2006.
Monsieur le Président de la République du Costa Rica,
Docteur Oscar Arias,
Recevez un fraternel salut de Paix et de Bien. Je vous envoie cette lettre ainsi qu’au peuple du Costa Rica et aux parlementaires de votre pays. Je le fais en tant que frère latino-américain qui aime et comprend très bien ce cher peuple du Costa Rica comme si c’était le mien, mais je l’adresse aussi à vous-même comme collègue puisque tous les deux nous avons été distingués par le Prix Nobel de la Paix. C’est là une reconnaissance internationale qui nous rend plus fort dans le service de nos deux peuples et de tous les peuples du monde afin de les conduire sur les chemins de la solidarité et de renforcer leurs droits pour qu’ils puissent construire une humanité plus juste et plus fraternelle pour tous.
Le Costa Rica a donné au monde un témoignage de pays libre et souverain et de défenseur des droits humains quand il a dissous son armée en 1948 et renforcé la participation citoyenne. Ce sont là des valeurs qui doivent être préservées et fortifiées.
Cependant, on reste très préoccupé par la situation actuelle où il est question pour le pays de signer le TLC avec les Etats-Unis d’Amérique du Nord. Tous les législateurs savent que ces accords de « libre commerce » ne préservent absolument pas l’indépendance du pays, et vous-même, Monsieur le Président, vous savez très bien que ce sont les grandes puissances qui imposent toujours les prix du marché et conditionnent ainsi la vie et le développement des peuples.
Il faut se souvenir et garder présent à l’esprit les subventions agricoles que les Etats-Unis accordent à leur producteurs. Cela crée des inadéquations et des inégalités énormes, et les bénéfices réalisés par quelques-uns se font toujours sur le dos du peuple qui souffrira davantage de la faim et de la misère.
Certes, il est nécessaire de créer des espaces de participation et de commercialisation avec les Etats-Unis, ces liens sont importants et nécessaires, mais cela doit se faire sans perdre la souveraineté nationale et tout en sauvegardant les droits du peuple.
La signature du TLC avec les Etats-Unis amènerait le Costa Rica à se transformer en colonie nord-américaine et à ajouter une étoile de plus à leur drapeau.
L’échec que les Etats-Unis ont subi (à Mar del Plata en Argentine) à la fin de l’année 2005, lorsqu’ils ont essayé d’imposer la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques) au niveau continental, est une démonstration claire et évidente que certains peuples ne trébuchent pas et peuvent résister à de fortes pressions en ayant le courage de défendre leurs droits.
Malheureusement, d’autres gouvernements ont trébuché et ont hypothéqué la vie de leurs peuples en trahissant leur liberté et leur autonomie. Ils ont privilégié le capital financier par rapport au capital humain et ont ainsi soumis leurs peuples à la dépendance.
Face à ces défis, il convient de se demander ce que désire le peuple du Costa Rica.
Est-ce que l’on a effectué une consultation populaire pour que le peuple puisse décider démocratiquement de son présent et de son avenir ?…
Permettez-moi de vous dire, Monsieur le Président, que je suis certain que la grande majorité du peuple du Costa Rica ne veut pas se transformer en colonie et perdre ainsi ses droits souverains, son identité et ses valeurs.
Nous nous trouvons face à de grands défis dans nos pays et dans le monde. La dynamique et la vie des peuples se transforment en permanence et il est dès à présent nécessaire de rechercher les chemins de l’intégration avec les autres peuples latino-américains.
Chacun doit garder sa propre voix et rechercher les possibilités de croissance et de développement intégral grâce à l’éducation, à la santé, à l’habitat et au travail dans un Etat libre et souverain qui respecte les droits humains dans leur intégralité et dans le cadre d’une construction démocratique.
Les législateurs doivent rester conscients pour pouvoir garder les vraies valeurs et pour défendre les droits du peuple et ne pas trébucher sous les pressions en acceptant l’inacceptable. C’est le peuple qui les jugera sur leurs actes.
Un autre thème très préoccupant dans votre pays, c’est la militarisation croissante des forces de police et l’augmentation de la répression. Il ne faut pas oublier que la fonction policière est importante et précieuse dans toutes les sociétés mais, qu’à l’origine, les forces de police ont été créées pour prévenir les délits et assurer la sécurité de tous, mais aussi pour accompagner les citoyens et les citoyennes en faisant respecter les droits des personnes et du peuple.
Monsieur le Président, veuillez accepter ces quelques mots comme l’apport solidaire d’un frère qui désire ce qu’il y a de meilleur pour le peuple du Costa Rica et pour tous les peuples du continent latino-américain que nous préférons appeler : « ABYA YALA », le « Continent de la terre féconde ».
Fraternellement,
Adolfo Pérez Esquivel