Du 9 au 15 mai 2006 aura lieu, à Vienne (Autriche), le IV Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Amérique Latine et Caraïbe avec l’Union Européenne. C’est un espace de dialogue politique et de décisions importantes quant à l’avenir de la coopération entre les deux régions.
En parallèle, les mouvements sociaux des deux régions organisent leur Deuxième sommet alternatif, après celui de Guadalajara, en mai 2004, et cette fois-ci sous le thème : « Lier les Alternatives 2 ». L’objectif principal de ce sommet alternatif est de faire une analyse critique de la « coopération » qui existe entre les pays des deux régions, de fixer les responsabilités par rapport aux crises politiques, sociales et économiques et aussi proposer des alternatives face à la volonté afficher de l’Union Européenne de continuer avec sa logique de colonisation et de dépendances de nos pays à travers différents mécanismes et surtout ses entreprises transnationales.
En préparation à la participation des mouvements sociaux haïtiens au Sommet « Lier les Alternatives 2 », la PAPDA a organisé un atelier de réflexions autour de la question de la « coopération entre l’Union Européenne et la République d’Haïti » avec comme objectifs :
a) Informer et discuter avec les participants sur l’historique des relations entre la République d’Haïti et l’Union Européenne – Les axes de la coopération et les perspectives dans le cadre de la réunion d’avril en République dominicaine entre l’UE et les pays ACP (Programmation 2008-2013, 10ème FED) ;
b) Construire une position commune des mouvements sociaux et populaires haïtiens sur la question de la « coopération » entre Haïti et l’UE et les alternatives possibles ;
c) Elaborer et signer une déclaration commune des mouvements sociaux haïtiens sur les alternatives au modèle de coopération actuelle qui sera lue du haut des tribunes de l’activité centrale à Vienne.
Cet atelier à réuni une trentaine de représentants d’organisations et réseaux provenant de cinq (5) départements du pays (Ouest, Nord-ouest, Artibonite, Sud, Sud-est). L’engouement créé par un tel thème absent des grands débats au niveau national a suscité la participation d’un grand nombre d’organisations dépassant ainsi les prévisions logistiques.
DEROULEMENT DES ACTIVITES
Au cours de l’atelier, les thèmes relatifs à la « coopération » entre la République d’Haïti et l’Union Européenne ont été abordés avec le concours de trois (3) intervenants haïtiens qui ont assuré l’animation et la modération des débats et réflexions entre les participants. Ces réflexions tournaient autour de quelques réflexions critiques sur :
1. Les pratiques visant à fractionner le mouvement populaire et social haïtien à travers la logique des « Appels à proposition » qui obligent les organisations à s’occuper de plus en plus de tâches administratives au lieu de se concentrer sur le travail de construction et/ou de renforcer des structures organisationnelles de base capable de promouvoir le développement national.
2. Le cadre de la coopération : l’Accord de Partenariat Economique ACP-UE (Accord de Cotonou) interprété comme un outil de recolonisation des peuples des régions Afrique – Caraïbes – Pacifique (ACP). L’accord est un outil en plus dans le renforcement de l’application des politiques néolibérales et l’imposition aux pays pauvres d’un ensemble de mesures visant à les intégrer dans l’économie mondiale sans tenir compte de leur niveau de développement et la nécessité pour ces pays de se doter d’une stratégie nationale de développement prenant en compte les revendications fondamentales des peuples. A titre d’exemple, on peut prendre l’élimination des instruments STABEX et SYSMIN et aussi toute la lutte pour une acceptation du TSD (Traitement Spécial et Différencié) en fonction du fossé qu’il y a entre les pays de l’Union Européenne et ceux des régions Afrique – Caraïbe – Pacifique (ACP).
3. Les Accords de Partenariat Economique (APE) : en ce sens, les participants ont manifesté leurs inquiétudes quant à la « stratégie » de négociation du gouvernement haïtien qui a choisi de donner mandat de négociation à la CARICOM avec lequel le pays était en froid durant la période cruciale des négociations. Autant dire, la CARICOM négocie au nom d’Haïti alors qu’il n’y avait pas de dialogue entre le pays et l’entité régionale. D’autre part, négocier au sein de la CARICOM veut dire qu’Haïti devrait renoncer à son statut de PMA qui lui confère un certain nombre d’avantages comme l’initiative TSA (Tout Sauf les Armes) et devrait s’aligner sur les grands ténors de la Caraïbe, en dépit du fossé qui existe entre Haïti et d’autres pays du bloc régional. Cependant, d’après l’un des intervenants, le pays ne peut pas se retirer totalement des négociations à moins qu’on décide de garder sur le long terme le statut de PMA, ce qui voudrait dire que nous resterons dans la stagnation dans le processus de développement du pays. Tenant compte de son niveau de libéralisation commerciale et financière, Haïti n’a pas grand-chose à tirer dans des négociations pour des Accords de Partenariat Economique (APE) ; ces accords ne font qu’aggraver la dépendance du pays et une mainmise des grandes transnationales européennes sur les secteurs clés de l’économie haïtienne comme transports, énergie, infrastructures sanitaires, ressources naturelles et minières, etc.
Les commentaires fusaient sur la nécessité pour Haïti d’arrêter tout type de négociation au niveau international (OMC, ZLEA, APE, etc.) et que l’Etat haïtien s’atèle à mettre en place un plan de développement national et aussi de définir une stratégie de négociation visant la défense des intérêts nationaux dans les différents espaces.
4. Aide au développement : A ce niveau, les participants croient qu’Haïti doit définir son propre modèle de développement que l’ « aide au développement » soit une ressource secondaire pour une réponse adéquate aux priorités nationales en matière de développement. Ils ont critiqué les bailleurs de fonds en particulier l’Union Européenne qui, sous prétexte de l’aide au développement propose toute une série de mesures néolibérales au pays et aussi des plans n’ayant rien à voir avec les besoins fondamentaux des couches déshéritées du pays ni consultation préalable des secteurs vitaux de la vie nationale comme le témoigne l’élaboration et la mise en œuvre du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) soldé par un échec total qui faisait fi des revendications de la majorité de la population (plus de 51%) qui vit en milieu rural et qui s’adonne à l’agriculture comme activité économique. Ainsi dans le domaine de l’aide au développement, les participants pensent qu’il ne suffit pas seulement de débloquer des fonds, mais de se questionner sur quelles politiques économiques et sociales on est en train d’appliquer et qui sont proposées par les bailleurs. Durant les 20 dernières années, les gouvernements haïtiens ont appliqué de manière littérale des politiques néolibérales inadéquates et destructrices des structures économiques et sociales du pays imposées par les institutions financières internationales en particulier le FMI, la Banque Mondiale, l’Union Européenne.
Après les débats et discussions, trois (3) ateliers ont été organisés pour permettre aux participants de réfléchir autour de deux (2) questions fondamentales :
a) Quelle analyse faites-vous de la « coopération » entre la République d’Haïti et l’Union Européenne ?
b) Quelles sont vos recommandations dans le cadre d’un changement en profondeur du cadre de coopération ?
A ces questions, durant plus d’une heure, les participants ont discuté en atelier et ont produit les résultats suivants.
Groupe I
R-1
a) Absence de d’un document stratégique intégrant les besoins fondamentaux du pays par rapport à n’importe quel cadre de coopération bilatérale ou multilatérale.
b) Imposition par l’UE de stratégie toute faite selon ses intérêts et ceux des multinationales européennes ;
c) Les priorités nationales ne sont pas prises en compte dans la définition du cadre de coopération en témoigne la stratégie de coopération du 8ème et 9ème FED.
d) Manque de coordination au sein de l’Etat haïtien et entre celui-ci et la Commission Européenne.
e) Les secteurs clés de la vie nationale (les acteurs du développement) ne sont pas impliqués dans les négociations engagées entre l’Etat haïtien et l’Union Européenne.
R-2
a) Le mouvement social haïtien doit se renforcer pour participer dans la redéfinition d’un cadre de coopération entre la République d’Haïti et les bailleurs bilatéraux et multilatéraux et aussi influencer toutes le négociations visant changer de manière significative les relations entre le pays et d’autres partenaires internationaux.
b) Il faut que ce mouvement élabore un document contenant les revendications fondamentales des couches majoritaires du pays et se mobilise afin de mettre l’Etat haïtien par devant ses responsabilités et aussi de chercher un modèle de partenariat qui répondrait aux besoins de ce plan.
c) La participation de tous les secteurs de la vie nationale doit être effective dans tous les espaces de définition de politiques économiques et sociales pour faciliter la prise en compte des revendications des couches majoritaires déshéritées.
d) Il faut que le « cadre de coopération » actuel soit redéfini en fonction des nouvelles dynamiques politiques, économiques et sociales que vit le pays et aussi en relation avec les priorités nationales en matière de développement durable.
Groupe II
R-1
a) Le cadre actuel de la coopération entre la République d’Haïti et l’Union Européenne est la continuité du système esclavagiste que le pays a connu durant plus de trois siècles (du 15e au 19e siècle) où se renforce de plus en plus la domination de la métropole (UE) et la subordination du pays en appliquant les politiques néolibérales. Ajouter à cela, l’absence d’un plan stratégique de développement national.
b) Les mécanismes mis en place par l’UE en Haïti empêche aux organisations de se renforcer et de s’adonner à accompagner le mouvement social et populaire tant qu’elles sont obligées au jour le jour de gérer de petits détails administratifs, pour ceux qui bénéficient du financement de l’UE dans le cadre de ces « Appels à proposition ». C’est une stratégie d’affaiblissement des organisations et aussi de détournement de leur travail capital à la base.
c) La « coopération » avec l’Union Européenne se fait dans une opacité totale. Aucune information n’est diffusée par l’Etat haïtien sur les Accords signés et les populations ne sont pas impliquées dans la définition des termes de ces accords en fonction de leurs besoins.
d) L’Exécutif haïtien s’atèle à signer des accords sans l’aval ou l’implication du Parlement haïtien ; ce qui empêche tout contrôle véritable de la mise en œuvre de ces dits accords.
e) L’appui total et inconditionnel de l’Union Européenne au Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) prouve la volonté de ces bailleurs de renforcer le « marché de l’aide internationale » et d’empêcher au pays de se doter d’un cadre stratégique de développement sur le long terme. Nous dénonçons cette attitude de la part de l’Union Européenne.
f) Nous dénonçons aussi la stratégie de l’Union Européenne de réaliser des infrastructures et investissements binationaux (République d’Haïti – République Dominicaine) particulièrement sa participation dans le financement de la mise en place, au profit et par des compagnies dominicaines, de zones franches industrielles sur la frontière entre les deux (2) pays : projets qui vont à l’encontre des intérêts et revendications de la classe paysanne haïtienne (51% de la population).
R-2
a) Il faut la mise en place d’un espace de dialogue tripartite impliquant l’Etat haïtien, l’Union Européenne et la population haïtienne à travers ses structures ;
b) Le mouvement social haïtien (les organisations) doivent se renforcer pour pouvoir jouer leur rôle et porter bien haut le flambeau des revendications de la population haïtienne ;
c) Mener une campagne de plaidoyer visant à porter l’Etat à répondre aux revendications fondamentales de la population haïtienne et défendre les intérêts de la nation vis-à-vis de tous les bailleurs internationaux en particulier l’Union Européenne ;
d) Mise en place de campagne d’information/formation autour de l’UE et ses différents mécanismes pour permettre à la population de bien comprendre le cadre de coopération en cours et les perspectives.
e) Mise en place d’une structure revendicative avec la participation de tous les secteurs pour servir d’avant-garde des revendications populaires et aussi influencer la coopération bilatérale et multilatérale entre Haïti et d’autres partenaires.
Groupe III
R-1
a) Existence d’intérêts divergents entre la République d’Haïti et l’Union Européenne (UE) qui veut toujours dicter ses propres règles dans le cadre des accords en cours de négociation
b) Les priorités en matière de la coopération sont prédéfinies par l’UE qui détermine quel type de projets à financer, où, quand et comment les mettre en œuvre ? Ce qui laisse très peu de chance au pays de décider en fonction de priorités nationales. « Coopération unilatérale » et hypocrite.
c) Il n’existe pas vraiment un dialogue entre Haïti et l’UE qui créé des outils de pression et de diktat de leur volonté au pays brandissant ses enveloppes et aussi les menaces de sanctions sous prétexte de bonne gouvernance et de respect des droits humains.
d) La coopération est construite de sorte que les fonds alloués au titre de l’ « aide au développement » revienne au pays donateur ou bailleurs à travers un ensemble de mécanismes comme les achats gouvernementaux, l’envoi d’experts internationaux, le pillage de ressources naturelles, minières et autres.
e) Les mécanismes d’implication et de soutien aux organisations (Acteurs Non-Etatiques) ne sont que des mesures pour les affaiblir et les confiner dans des tâches administratives en lieu et place du travail d’accompagnement et de renforcement des bases.
f) L’analyse du cadre de la coopération montre que ce n’est qu’une pérennisation des pratiques coloniales cachées sous le label (concept) « coopération » pour forcer le pays « partenaire » d’appliquer les politiques néolibérales et d’être de plus en plus dépendant de l’UE.
R-2
a) Il est nécessaire que le pays se situe dans le cadre de cette « coopération » et que les forces progressistes du pays fassent le contrepoids des politiques de l’UE en matière d’imposition de ses diktats en incitant la mise en place d’un plan stratégique de développement du pays ;
b) Il faut lancer un processus de renforcement des organisations ayant bénéficié de l’appui de l’UE et celles susceptibles de l’être en terme de formation, information.
c) Il faut établir des mécanismes visant à assurer la transparence dans les relations entre l’Etat haïtien et l’UE, entre l’UE et les organisations bénéficiaires d’appui financier sur des enveloppes particulières. Ainsi, la recommandation serait la mise en place d’une structure de dialogue impliquant tous les « partenaires » de la « coopération ».
d) Il est important de comprendre le manque de dialogue et l’inexistence d’une vision stratégique de développement du pays favorise le jeu d’intérêts des partenaires internationaux. Ainsi, il est nécessaire de s’atteler à réunir tous les secteurs nationaux pour se doter de ce plan qui nous servira de guide dans toutes les négociations et partenariat international.
Recommandations spéciales :
a) Le mouvement social haïtien devrait réaliser un sit-in par devant le Ministère des Affaires Etrangères avant le 4ème Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Amérique Latine et Caraïbe et leurs homologues de l’Union Européenne, du 10 au 13 mai 2006 à Vienne. Ce sit-in servirait de mise en garde pour le gouvernement haïtien eu égard à leur relation avec l’UE.
b) Rédaction d’une lettre ouverte qui serait envoyée au Gouvernement haïtien pour fixer la position du mouvement social haïtien quant aux relations entre la République d’Haïti et l’Union Européenne, contenant aussi les recommandations quant à la nécessité de redéfinir le cadre de la « coopération » en fonction des nouvelles donnes politiques, économiques et sociales.
L’atelier est terminé sur une note de satisfaction générale avec la proposition du côté des participations pour que la PAPDA organise, de façon périodique, un atelier d’informations/formation sur l’Union Européenne vu qu’il y a très peu d’informations qui circule sur le sujet, ce qui empêche aux organisations haïtiennes de comprendre la logique des interventions de l’UE.