Lors de leur assemblée de printemps le week-end prochain à Washington, selon un document publié hier, le FMI et la Banque mondiale vont proposer d’associer à terme 11 pays à l’initiative sur les « pays pauvres très endettés » (PPTE) en vue d’un allégement de leur dette. Or cette annonce appelle plusieurs commentaires qui la font voir sous un jour totalement différent, tant sur la forme que sur le fond
Sur la forme, le CADTM veut rétablir certaines vérités quant au nombre de pays concernés. A l’origine, la liste des pays potentiellement éligibles à l’initiative PPTE en comportait 42. Très vite, 4 d’entre eux ont été recalés car leur dette est jugée soutenable : l’Angola, le Kenya, le Vietnam et le Yémen. Ensuite, 2 pays ont refusé d’intégrer cette initiative et ont discrètement disparu de la liste : le Laos et la Birmanie. Enfin, sur les 11 pays mis en avant cette semaine par le FMI et la Banque mondiale, 7 font déjà partie de la liste des 42 et seuls 4 sont nouveaux : Haïti, l’Erythrée, le Népal et la République kirghize [1]. Le nombre total de pays susceptibles d’obtenir un allégement de dette est donc passé de 42 il y a quelques années à 40 aujourd’hui. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser. Pis, deux autres pays étaient pressentis par le FMI et la Banque mondiale pour intégrer cette liste mais ils ont eux aussi refusé : le Sri Lanka et le Bhoutan. Cela permet d’émettre de sérieux doutes sur les fondements même de cette initiative qui, si elle était aussi généreuse qu’on le proclame dans les cercles officiels, devrait être accueillie avec enthousiasme dans tous les pays concernés.
Sur le fond, le CADTM veut avertir les citoyens des pays en question que pour eux, il n’y a aucune raison de se réjouir. Car il y a loin des annonces à la réalité. Le but officiel de l’initiative PPTE est de permettre aux pays concernés de faire face à « toutes leurs obligations présentes et futures en matière de service de la dette extérieure, sans rééchelonnement de la dette ou accumulation d’arriérés et sans affaiblir la croissance ».
Pour cela, elle prévoit d’imposer des réformes économiques néolibérales dans la droite ligne de l’ajustement structurel imposé depuis les années 1980 et qui frappe durement les populations du Sud : augmentation des frais scolaires, des frais de santé et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ; suppression des subventions aux produits de base ; privatisations ; libéralisation de l’économie et mise en concurrence déloyale des producteurs locaux avec les transnationales… Généralement, cela conduit à une dégradation importante des conditions de vie de la majorité de la population et à une forme de recolonisation. En effet, les grandes décisions se prennent dorénavant à Washington (siège de la Banque mondiale et du FMI) et au Club de Paris.
Une fois parvenu au point d’achèvement, le pays doit voir sa dette réduite de façon à permettre la poursuite régulière des remboursements. En somme, seules les créances impayables sont annulées, puisque ces pays ne parvenaient pas auparavant à rembourser la totalité de ce qu’ils devaient. Les maigres fonds dégagés peuvent servir à financer quelques dépenses sociales de façade, mais dans le même temps, l’Etat n’a pas le droit de former et de recruter davantage d’enseignants, de médecins ou d’infirmières car le FMI lui interdit d’augmenter la masse salariale de la fonction publique. Ces effets de manche sur la réduction de la pauvreté permettent de récupérer les revendications des contestataires sans remettre en cause la logique même qui a conduit ces pays au surendettement et à une pauvreté galopante. Que ce soit l’annonce du renforcement de l’initiative PPTE en juin 1999, celle de juin 2005 sur la dette multilatérale des mêmes PPTE ou celle qui se prépare à propos des nouveaux pays, le triomphalisme est de mise : selon le discours officiel, des dizaines de milliards de dollars de dette sont annulés, la pauvreté va reculer de manière impressionnante, c’est historique.
Aujourd’hui, le bilan est désastreux : moins de la moitié des PPTE ont achevé le processus qui devait s’arrêter fin 2004 et qui a dû être prolongé pour éviter un fiasco. Les belles annonces se sont dégonflées comme un ballon de baudruche : entre 1999 et 2003, la dette extérieure publique des 18 pays ayant atteint le point d’achèvement de l’initiative PPTE est passée de 68 à 73 milliards de dollars [2].
L’initiative PPTE qui était présentée comme une avancée majeure n’a pas permis d’éliminer la dette des pays les plus pauvres. Plus grave, à cause des conditionnalités qui lui sont liées, elle a renforcé leur dépendance à l’égard de l’extérieur, augmenté les inégalités, dégradé gravement la qualité des services publics. Elle se solde par un échec retentissant, que l’initiative supplémentaire de réduction de la dette prise en juin 2005 par les pays du G8 ne parvient pas à dissimuler. Dans ces conditions, la nouvelle liste du FMI et de la Banque mondiale étudiée dans quelques jours ne changera rien à l’affaire.
L’implacable mécanique qui crée dette et pauvreté est toujours en place. Pour sa part, le CADTM réclame un changement radical de logique : l’annulation totale et inconditionnelle de la dette de tous les pays en développement, l’abandon des politiques d’ajustement structurel et un financement du développement à la hauteur des besoins sociaux par une redistribution massive de la richesse sur la planète.
Notes:
[1] Les 7 autres sont la République centrafricaine, les Comores, la Côte d’Ivoire, le Liberia, la Somalie, le Soudan et le Togo. La décision concernant l’Afghanistan est en suspens, faute de statistiques fiables.
[2] Calcul du CADTM d’après Banque mondiale, Global Development Finance 2005.
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