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Haïti et la crise de la dette externe envers la France

A la différence de la dette des pays latino-américains la dette haïtienne est contractée dans le cadre d’accords avec les agences multilatérales qui détiennent plus de 70% des créances sur notre pays. Essentiellement, nos décaissements au titre du service de la dette vont à la BID, à la Banque Mondiale (essentiellement à travers l’IDA), le FMI. Les engagements bilatéraux envers des pays comme la France, l’Italie, les USA, l’Espagne, Israël, etc. ne représentent que moins de 30% de notre dette totale. Rappelons qu’à l’occasion du retour à l’ordre constitutionnel la dette bilatérale d’Haïti a été réduite d’environ 60%.

La dette externe de notre pays présente quelques caractéristiques qu’il importe de souligner :

  1. Une partie importante de notre dette actuelle représente des engagements pris par le Gouvernement Haïtien pendant la longue et sombre période de la dictature des Duvalier. Cette dictature sanguinaire et obscurantiste renversée en 1986 n’a évidemment pas investi cet argent au bénéfice du Peuple haïtien. Il est prouvé que les Duvalier ont détourné des sommes considérables du Trésor public équivalant au moins à 900 millions de dollars US. Une autre partie importante de cette dette a été contractée par des régimes militaires anti-populaires et illégitimes au cours de la longue transition de l’après 1986.
  2. Au cours de la période octobre 1991 à octobre 1994 notre pays a connu une situation de guerre qui a engendré un véritable désastre du point de vue des infrastructures et de la continuité institutionnelle. Plus de 5000 personnes ont été assassinées, 300 000 déplacés internes, près de 100 000 réfugiés. Cette catastrophe nous autorise à parler d’une situation de guerre rendant légitime toute demande visant à exiger un traitement spécial du dossier de la dette externe d’Haïti.
  3. A ce jour notre pays n’est intégré à aucun mécanisme visant à soulager ce problème malgré que le fait que le service de la dette constitue un frein au développement national et que dans tous les rapports des instances internationales Haïti apparaît comme le pays le plus pauvre de notre région. En matière de comparaison au cours de l’exercice 1995 – 1996, nous avons payé 800 millions de gourdes au titre du service de la dette externe alors qu’au cours de cette même période fiscale seulement 120 millions ont été dépensés pour le secteur agricole. Le service de la dette a souvent représenté au cours des derniers exercices fiscaux le double du budget investi par l’Etat pour les services de santé publique.
  4. La situation haïtienne représente un cas limite de pauvreté massive et d’effondrement économique. L’analphabétisme dépasse les 50%, les services publics sont inexistants pour la grande majorité de la population, plus de 70% de la population économiquement active (PEA) est au chômage, 81% de la population rurale vit au-dessous du seuil de pauvreté absolue, l’espérance moyenne de vie est autour de 52 ans. Les taux de malnutrition sont élevés et la dépendance alimentaire du pays par rapport à l’extérieur atteint des dimensions alarmantes. Ce tableau place Haiti, de très loin, comme le pays le plus pauvre de l’hémisphère et exige des mesures ambitieuses et drastiques pour renverser les tendances actuelles. La dette constitue sans nul doute un mécanisme d’aggravation de la pauvreté de masse dans notre pays.
  5. La situation de la dette externe d’Haïti tend à s’aggraver très rapidement. En effet, en janvier 1995 le gouvernement haïtien a pris des engagements pour un montant de 2.5 milliards de dollars que notre pays devrait recevoir sur une période de 5 ans. Dans ce paquet, 1.5 milliards de dollars sont des prêts. Ceci a entraîné très rapidement une croissance exponentielle du poste service de la dette externe qui selon les chiffres de ces derniers mois tend à se situer autour de 5 millions de dollars chaque mois. C’est une perspective relativement alarmante dans la mesure où les exportations n’ont pas connu ces dernières années le dynamisme attendu. Bien au contraire suite aux effets du Coup d’Etat déjà évoqué, les capacités de l’appareil productif sont réduites et risquent de handicaper les possibilités de paiement de l’économie haïtienne.

Chaque année Haïti débourse près de 60 millions de dollars américains au titre du service de la dette alors que le budget alloué à la santé publique est deux fois plus petit que ce poste budgétaire. Pour l’année 1999, l’Etat haïtien a alloué un budget de 26,582 millions US$ à la Santé publique alors que seulement en Décembre 1999, il a déboursé pour le paiement de la dette externe 38 millions de dollars US$.

En 1996, pour chaque dollar reçu, Haïti investit $ US 0.17 pour le poste du service de la dette. La dette externe par habitant est estimée pour la même période à plus US$ 122. Près de 14% des recettes totales d’exportations sont utilisés pour payer le service de la dette dont plus de 10% revient à la France. Il est à souligner qu’Haïti exporte de nos jours des denrées pour un montant de 370.000,00 US$.

Haïti et la dette externe envers la France

Haiti, après des guerres sanglantes qui ont vu mourir plusieurs milliers de ses enfants, a proclamé le 1er Janvier 1804 son indépendance par rapport à la métropole française. Ces guerres ont ravagé les plantations, détruit les infrastructures, éliminé l’intelligentsia et leaders pouvant oeuvrer à la construction de la nation haïtienne de l’après époque coloniale.

Durant tout le 19ème siècle, de nombreux prêts ont été consentis. Ces prêts qui devaient servir à la construction d’une nation fraîchement libérée du joug de l’esclavage et ravagée par la guerre, n’ont servi qu’à renforcer le pouvoir de domination des classes bourgeoises. C’était aussi l’époque de la conspiration internationale de la part des grandes puissances coloniales qui voient dans l’indépendance d’Haïti un mauvais exemple pour les autres colonies. Haiti était isolée du reste du monde. Elle devrait emprunter de l’argent des grandes puissances coloniales pour payer la dette de l’indépendance dont les conséquences se font sentir aujourd’hui encore.

En 1825, alors que vit au jour le jour des maux de l’après guerre et que les couches défavorisées, les petits paysans luttent pour jouir des droits pour lesquels ils ont combattu, l’Empereur Charles Quint de la France exige du gouvernement haïtien de Jean Pierre Boyer le paiement d’une somme équivalent à 150 millions de francs-or (US$ 30 millions ).

Le 17 avril 1825, le gouvernement de l’époque ayant à sa tête Jean Pierre Boyer comme chef de l’Etat a accepté, sous peine d’une nouvelle occupation française, de payer cette somme élevée qui pourrait servir à réparer les torts causés par les nombreuses années de guerre, à construire des écoles pour assurer l’éducation de plusieurs milliers d’enfants, à fournir des services de santé adéquats à la population…

Le paiement de la dette de l’indépendance est une véritable abérration, une injustice et une immoralité. Pendant 3 siècles, le pays a connu l’esclavage au profit de la métropole française. Après des guerres sanglantes, alors que nous n’avons même pas encore fini de panser nos blessures et assurer l’avenir de la jeune nation, et n’ayant pas les ressources pouvant soutenir une telle prétendue dette, Haiti entre dans ce qu’on appelle “le cycle infernal” de la dette externe en contractant des dettes élevés pour payer, sur obligation de l’ancienne métropole le prix de la leçon historique que nous lui avons infligée. Depuis lors, nous sommes condamnés à allouer une partie importante de notre budget national à payer des sommes considérables qui représentent une hémorragie de ressources rares.

Cette injustice doit être dénoncée à la face du monde et les citoyens haïtiens doivent se mobiliser pour réclamer que “justice et réparation” soient faites à la nation haïtienne qui a conquis son indépendance au prix du sacrifice du sang de plusieurs dizaines de milliers de ses fils.

Le paiement de la dette de l’indépendance représente une injustice sociale, économique faite au peuple haïtien qui a osé se battre pour la liberté, la dignité et l’égalité entre tous les hommes. La France qui est aujourd’hui l’une des plus grandes puissances industrielles de la planète doit assumer ses responsabilités et contribuer au redressement de notre pays qui subit depuis près de 2 siècles le poids de cette dette immorale et les conséquences dramatiques du cycle de l’endettement continu inauguré par l’accord du 17 avril 1825.

Le paiement de la dette externe depuis le 17 avril 1825 est à la base d’un processus de pillage des ressources de notre pays (notamment nos exportations caféières). Cette situation a occasionné la destruction de notre potentiel productif et une paupéristation dramatique des couches majoritaires de notre pays. Le travail des femmes, des hommes, des enfants d’Haïti ont contribué à l’enrichissement des colons français qui, à travers ses représentants de commerce, s’étaient rendus maîtres des Institutions financières de notre pays. Il est temps de penser à un début de réparation.

La commémoration du 17 avril 2000 voudrait provoquer un sursaut moral du Gouvernement et du Parlement français qui, dans un esprit de solidarité, de coopération, de justice et de réparation, devraient enclencher un processus visant avant la fin de l’année 2000 :

– L’annulation de la dette bilatérale France – Haiti qui est de l’ordre de plus de 50 millions de dollars US.
– L’engagement politique de la France auprès du G8, du FMI et de la Banque Mondiale pour demander l’annulation de la dette multilatérale de notre pays.
– L’annulation de la dette bilatérale contractée par notre pays auprès des États européens en particulier l’Italie et l’Espagne.
– L’engagement du Gouvernement français pour appuyer, de façon significative, tant au niveau bilatéral que dans le cadre de la coopération de l’Union Européenne des programmes qui s’inscrivent dans une logique de reconstruction nationale et de création des infrastructures et des conditions institutionnelles susceptibles d’impulser un processus de développement durable dans notre pays.

La dette externe d’Haïti représente aujourd’hui un montant dépassant le milliard de dollars. L’encours total de la dette est estimée par la Banque centrale (revue de Janvier 2000) à 1.234,0 milliards de dollars américains. Elle a connu une croissance exponentielle depuis la décennie des années 1980. Plus récemment, elle est passée de 810 millions de dollars en 1991 à plus du milliard actuellement. Le service de la dette est passe de 3,4 millions de dollars US mensuellement en juillet 99 à 4 millions en août 1999. Notons qu’en juin 99 l’Etat haitien a déboursé 4,95 millions de dollars pour ce poste budgétaire. Ce qui sous-tend une augmentation du service de la dette pour Haïti.

La dette d’Haïti en faveur de la France était estimée en Juin 1999 à 47.1 millions de dollars US soit plus de 5% du montant total de la dette bilatérale d’Haïti. Il va sans dire que la France constitue l’un des plus grands créanciers d’Haïti et cette situation a eu sans nul doute comme point de départ la Dette de l’indépendance.

Il faut souligner que les structures étatiques haïtiennes sont caractérisées par la corruption généralisée. Elles sont marquées par le pillage des deniers publics par des fonctionnaires oeuvrant en toute impunité. Nous luttons pour un changement des structures étatiques en vue de freiner le pillage systématique des biens de l’Etat et l’utilisation à des fins purement personnelles des fonds débloqués pour des projets de développement en vue de réduire le niveau de l’extrême pauvreté qui sévit en Haïti. La participation de la société civile dans la gestion de la chose publique s’avère nécessaire dans la lutte pour freiner la corruption.

Nous insistons sur la responsabilité des bailleurs de fonds internationaux qui, en dépit du fait que nous avons connu des gouvernements illégitimes, anti-populaires et dictatoriaux, ont débloqué des fonds à leur profits, des prêts qui n’ont évidemment pas été utilisés pour réduire le niveau de pauvreté extrême dans le pays et la reconstruction de la nation déchirée par la longue période de la dictature des Duvalier.

Non seulement nous luttons pour l’annulation de la dette externe d’Haïti, mais aussi cette annulation doit conduire à l’investissement des fonds non-remboursés dans des projets à caractères sociaux capables de réduire, dans une période bien déterminée, le niveau de la pauvreté et la participation de la société civile dans la gestion de la chose publique.

Nous luttons aussi pour changer les pratiques d’usure en Haïti qui constituent un élément d’auppauvrissement et de maintenance du statu quo dans la paysannerie et les petites bourses n’ont pour l’instant aucune alternative que de livrer au système d’usure. Il faut souligner que les taux de remboursement dans les pratiques actuellement dépassent parfois les 300%.

Nous insistons sur la nécissité de la recherche d’une alternative de crédit au secteur agricole et les petites et moyennes entreprises, véritable moteur de l’économie haïtienne.

Organisations membres de la Coalition Nationale Jubilé 2000-Haïti

– Christian Aid

– Christian Reformed World Relief Committee (CRWRC)

– Commission Episcopale Nationale Justice et Paix

– Conférence Haïtienne des Religieuses (CHR)

– Coordination Organisations de Développement – Eglise Méthodiste d’Haïti (COD-EMH)

– Fédération Luthérienne Mondiale (FLM)

– Fonds Haïtien pour le Développement Economique et Social (FONHADES)

– Institut de Technologie et d’Animation (ITECA)

– Komite Leve Kanpe (KLK)

– Oxfam GB – Haïti

– Kanpay Anti-Dèt, Anti-Neyoliberal pou yon Altènativ Nasyonal (KANPANN)

– Plate-forme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA)

OUI A LA VIE – NON A LA DETTE

Vive la mondialisation des résistances sociales
et la solidarité entre les peuples!

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