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L’agriculture haïtienne dans l’impasse de nouvelles négociations commerciales à l’OMC

Plusieurs accords ou mécanismes internationaux qui ont été signés ou en cours de négociations actuellement auxquels participent la République d’Haïti ont des conséquences directes et néfastes pour le secteur productif en particulier l’agriculture du pays. Depuis plusieurs années, la PAPDA réalise un travail de formation, mobilisation, sensibilisation autour de ces accords pour en jeter un regard critique et aussi proposer des alternatives capables de relancer la croissance de la production nationale et de la protéger contre les intérêts mesquins des multinationales surtout nord-américaines voulant transformer la population haïtienne en une société de consommation de masse comme le prouve la situation où le production nationale est exposée à une concurrence déloyale avec les produits importés.

En ce sens, pour faciliter le débat et alimenter les réflexions au niveau de la société haïtienne, tous secteurs confondus, la PAPDA a réalisé une étude d’impact des négociations à l’OMC dans le cadre du Cycle de Doha, dit Cycle du développement, de concert avec deux experts haïtiens, Allen Henry, Agronome et Dr. Rénald Clérismé, ancien ambassadeur d’Haïti à l’OMC. Cette étude fera l’objet de débats et de consultations à travers les 10 départements du pays pour pouvoir s’enrichir des expériences et réflexions des organisations et mouvements paysans et producteurs paysans afin de se constituer en un document de référence par rapport au plaidoyer à mener du côté du gouvernement et du parlement haïtiens dans le cadre de la redéfinition des politiques en matière de renforcement des structures productives et de la production nationale en général.

Nous publions ici l’introduction et le contexte du rapport préliminaire qui sera par la suite publié aux fins de débats et de consultations à travers le pays.


L’agriculture haïtienne dans l’impasse de nouvelles négociations commerciales à l’OMC

1. INTRODUCTION

Cette étude a été commanditée par la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer Pour un Développement Alternatif (PAPDA) dans la perspective de faire un état des négociations commerciales en cours à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et surtout de pouvoir dégager des éléments à prendre en compte et des pistes de réflexion dans un travail de plaidoyer et de recherche d’alternatives autour des questions commerciales et les implications sur le secteur agricole d’Haïti.

Dans le mandat qui nous est confié par la PAPDA, il est question que les consultants dans cette étude fassent le point sur l’état d’avancement des négociations, les enjeux du « round » de Doha après la conférence de Cancún en prévision de celle de Hong Kong . Ils auront à mettre à jour les récentes positions adoptées par l’Etat haïtien dans les différents groupes de négociations et leurs implications et conséquences probables sur le secteur agricole.

Si les objectifs poursuivis semblent être très ambitieux, il est surtout question de présenter les débats en cours au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce, les changements annoncés qui font l’objet des négociations en cours et les impacts sur la crise du secteur agricole et son aggravation. Pour y arriver, nous avons, à partir des documents bibliographiques consultés, pu présenter la réflexion en quatre grands axes. Dans le premier axe, nous avons analysé le contexte dans lequel les négociations sont lancées et menées, et dans le second nous avons présenté les choix de politiques sur lesquels les réformes économiques en Haïti se sont inspirées de 1983 à nos jours. Dans un troisième temps, nous avons eu à présenter les impacts proprement dits des réformes en perspectives qui sont susceptibles de découler de ces négociations sur le secteur agricole. Enfin, nous avons fait état des pistes d’intervention pour le redressement de la barre.

Ce travail n’a pas la prétention de cerner la problématique des réformes et la crise du secteur agricole dans toute sa complexité. Il est sans aucun doute une contribution et va se joindre à d’autres réflexions qui vont surgir au cours des débats au moment des plaidoiries.

2. LE CONTEXTE

2.1 Au niveau économique

Depuis les années 1980, le Produit Intérieur Brut (PIB) net par tête d’habitant ne cesse de décroître passant d’un rythme moyen de 2.4% /an à celui de 2.6%/an pendant les années 1990. Ce déclin, en grande partie due à la crise du secteur agricole et à l’incapacité du secteur industriel à y suppléer, est provoqué par deux grands chocs : celui du libéralisme sauvage des années 1986 qui a livré l’industrie locale et l’agriculture à la concurrence internationale et celui de l’embargo commercial imposé à Haïti à la suite du coup d’état militaire de septembre 1991 qui a renversé le gouvernement élu d’alors.

Il s’est produit la réduction de la part du secteur agricole au PIB qui est passée au cours de la période allant de 1995 à 2002 de 45,6% à 29,25%, et celle de l’industrie manufacturière qui a vu sa contribution diminuée de 8,4 à 7,6%. Alors que parallèlement, les contributions des secteurs tertiaires étaient de 33,2% à 45,82%. Les programmes d’aide alimentaire de l’USAID ont touché un nombre plus grand de personnes, il est passé de 350,000 à 1,3 millions personnes assistées. Les données fournies par l’étude de la firme Turbo Consult sur l’impact des Accords de Partenariat Economiques (APE) avancent que la crise du secteur d’assemblage a pris un sacré coup avec l’embargo, perdant près de 30 mille emplois. Bon nombre d’entreprises, environ 20% des usines d’assemblage ont fermé leurs portes, en raison de la baisse de la demande internationale pour aller s’installer dans des pays voisins.

La balance commerciale s’est détériorée grandement et a atteint un niveau critique. Les exportations totales, en raison d’une reprise légère et éphémère de la sous-traitance, ont doublé, passant en 1995 de 116 millions de dollars à 327 millions de dollars en 2000, et parallèlement les importations, représentant plus de 60% des flux commerciaux, ont été quintuplées.

Le déficit budgétaire est passé de 986,1 millions de gourdes (67 Millions $US) à 2541,8 millions de gourdes (120 millions $US) soit une augmentation de 1,571%. Il a été financé avant 1999 par l’aide externe, par la Banque Centrale et par les transferts de la diaspora haïtienne qui, au cours de la période 1999-2000, a atteint selon les dernières estimations les 600 millions de dollars US/an, dépassant largement les exportations nationales.

La dette extérieure s’est amplifiée, elle est passée de 320 millions de dollars en 1980 soit 22% du PIB pour atteindre en 1986 plus de 670 millions de dollars, et aujourd’hui, elle tourne autour de 1,4 milliard de dollars représentant plus de 30% du PIB.

Il faut souligner que toute cette période considérée est marquée par l’application à outrance par le gouvernement haïtien des politiques d’ajustement structurel et un suivi à la lettre des recommandations faites par les institutions financières internationales comme la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International (FMI).

2.2 Au Niveau social

Comme nous venons de le voir à travers les indicateurs macroéconomiques, le pays n’a pu générer de richesses au cours des 20 dernières années et il en résulte une dégradation considérable de la situation socioéconomique de la population caractérisée par le faible niveau de revenu de la population et sa répartition.

Selon les dernières statistiques présentées par la Banque Mondiale, la pauvreté a pris une dimension de plus en plus inquiétante ces dernières années et s’est accentuée davantage en milieu rural où l’on estime actuellement que 80 % de la population rurale vit en dessous du seuil de pauvreté absolue. Le niveau d’analphabétisme est très élevé en Haïti, il tourne autour de 52%. Moins de 50% des Femmes ont accès à l’éducation et de l’autre côté pour les Hommes ce pourcentage est de moins de 40%. Le coût élevé de l’éducation est la contrainte majeure occasionnant la non scolarisation de près de 25% des enfants scolarisables. Il est important de relater qu’on est loin de transformer cette réalité compte tenu du faible investissement public dans le secteur de l’éducation : autour de 1,2% du PIB. La répartition inégale des ressources contribue à cet état de fait car 4 % de la population détient 66% de la richesse nationale alors que 70 % de la population a accès à seulement 20 % des richesses nationales.

Au titre de l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), Haïti a consolidé certaines mesures frappant les services d’éducation. Les mesures frappant la fourniture des autres types de services y compris celle des services de santé n’ont pas été consolidées. Autant dire que le Gouvernement n’a même pas cherché à protéger sa population contre la montée des prix des médicaments. Dans les grands débats qui ont conduit à la déclaration sur les ADPIC et la santé publique à la conférence ministérielle de Doha, Haïti n’a jamais pris une position officielle. Aucune position officielle appuyant les pays qui luttaient pour obtenir la liberté de donner priorité aux médicaments génériques. Quand en octobre 2003, l’organisation « Médecins sans frontières » a condamné ouvertement la politique protectionniste des U.S.A en faisant remarquer que « si la ZLEA crée un système qui bloque l’utilisation de médicaments à moindre coût, ce sera la catastrophe pour toute la population des Amériques, parce que l’écart de prix peut faire la différence entre la vie et la mort », Haïti n’a pas apporté son appui à une telle prise de position. Il est temps que nos dirigeants comprennent l’enjeu de l’aspect stratégique des services sociaux de base pour le développement national. A cela s’ajoute un fort pourcentage de la population n’ayant pas accès à l’eau potable et qui a un niveau de chômage élevé estimé à 55%. Sur les 45% d’emplois existants, la grande majorité est assurée par les 700 mille exploitations agricoles.

Tout ceci explique le positionnement d’Haïti, le seul pays de la région figurant sur la liste des Pays Moins Avancés (PMA), au 146e rang parmi les 165 nations classées sur la base de l’Indice de Développement Humain (IDH).

2.3 Au niveau politique

La crise politique que nous vivons actuellement a des expressions qui remontent à la chute du régime dictatorial des Duvalier. Elle a comme trait fondamental l’irruption des masses populaires sur la scène politique, tout a fait déterminées à lutter contre le système politico-institutionnel axé sur la démocratie libérale, pluraliste mais élitiste. Elle est aussi caractérisée par un extrême affaiblissement du régime politique et le recours aux forces et pratiques impérialistes dans la gestion de la chose publique.

L’intense agitation populaire résultant de l’action politique des masses en 1986 a permis à des forces sociales, jusque-là marginalisées dans la vie politique, de constituer un véritable mouvement populaire. Leur irruption est marquée par un combat sur tous les fronts. Le secteur paysan, absent de la scène politique depuis l’occupation américaine de 1915, va devenir un acteur politique clé menant un rude combat contre une politique agraire discriminatoire et contre un néolibéralisme ouvrant une concurrence déloyale à la production nationale et aux producteurs nationaux.

La lutte menée tant par le secteur ouvrier, plus organisé ayant subi de fortes répressions des forces répressives des régimes dictatoriaux des Duvalier contre la privatisation des entreprises publiques et contre les zones franches, et celle des femmes pour la construction d’une société plus juste entre les fils et filles de ce pays n’aura pas été négligeable.

Face à cette intense agitation, la réaction de la classe dominante fut terrible et a pris différentes formes. La minorité dominante allait encore recourir à la répression contre les masses dans les années 86 – 90, 90 et 94 en vue de les évincer de la scène politique. Celle-ci a pris des formes des plus variées : tueries et massacres, vols et viols, tortures et disparitions perpétrées par l’armée et par des forces paramilitaires (FRHAP, Attaché, Police, Base, Rat). La paysannerie et les habitants des quartiers populaires en ont payé le tribut le plus lourd.

Le niveau d’instabilité politique que nous avons connu au cours des 20 dernières années marqué par trois coups d’Etat militaire, la succession d’élections contestées et de gouvernements de transition illégitimes est le reflet de l’affaiblissement du pouvoir politique. Si la crise a aussi duré, elle est due à l’incapacité des classes dominantes à faire face aux mouvements de protestation déclenchés et à l’incapacité du secteur progressiste à donner une réponse aux revendications des masses haïtiennes. Il en résulte un recours aux forces impérialistes à deux reprises tout d’abord en 1994 pour le rétablissement d’un gouvernement populiste considéré à l’époque comme une alternative de stabilité face à la détermination des masses populaires, puis en 2004 comme garant de la stabilité face au pouvoir narco-populiste instauré par le régime d’Aristide, ayant à son solde une masse de pauvres issus des milieux défavorisés acquis à leur cause en raison de leur désespoir et surtout du niveau d’exclusion dont ils sont victimes.