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Apres Bamako et avant Karachi … Caracas !

« Un autre monde est necessaire. Avec toi, c’est possible ! » Nombreux étaient ceux qui craignaient encore, à quelques jours de l’ouverture du Forum, que celui-ci ne soit un gigantesque chaos, voire un échec en termes d’organisation et de logistique.


Tout s’est heureusement bien passé, in extremis, et l’intervention du gouvernement vénezuélien n’y est pas pour rien. Sa contribution, notamment en matière d’infrastructures et de transports, a sans doute été décisive. Pour autant, et malgré l’omniprésence d’un « merchandising » pro-Chavez ahurissant (Chavez est partout à l’extérieur des bâtiments qui abritent les travaux du Forum : affiches, pin’s, tee-shirts, casquettes à son effigie – souvent associée à celle du Che) ainsi que d’un “Festival de la démocratie révolutionnaire” qui vantait sur l’avenue Bolivar la politique sociale de Chavez, l’autonomie du Forum et de ses travaux n’a pas été remise en question. Le FSM n’a pas été récupéré par Chavez. Ne serait-ce d’ailleurs pas plutôt le FSM qui a récupéré Chavez ? (lire sur ce point l’interview de Christophe Ventura, d’ATTAC France, par Renaud Lambert, dans Le Courrier.)

Succès pour le FSM de Caracas, donc. Malgré la dispersion des quelque 2.200 activités du Forum social aux quatre coins de la ville (le métro de Caracas n’a désormais plus guère de secrets pour les participants, qui ont squatté ses rames climatisées pour rallier – à l’oeil s’il vous plait – les différents sites accueillant le FSM), le public était au(x) rendez-vous, attentif et passionné, enthousiaste et critique, à l’affût des arguments utiles à la compréhension et à la délégitimation des logiques et des institutions du capitalisme mondialisé. La dette, le FMI, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du Commerce, l’ALCA (Zone de libre-échange des Amériques), et les politiques néolibérales – privatisations, délocalisations, pillages des biens communs et des ressources naturelles, casse des services publics, détricotages sociaux, saccages écologiques, etc. – en ont pris pour leur grade. Au même titre que la guerre, les guerres – celles d’Irak, de Palestine, d’Afghanistan ou de Colombie – et les politiques impériales dont elles sont l’inacceptable et tragique expression. Ainsi, c’est d’abord contre la guerre que plusieurs dizaines de milliers de personnes ont marché dans les rues de Caracas le mardi 24 janvier, en ouverture du Forum social.

Et c’est contre la guerre que marcheront les peuples du monde, les 18 et 19 mars prochains : un rendez-vous confirmé et placé en tête des mobilisations prioritaires par l’Assemblée des mouvements sociaux, une nouvelle fois réunie à l’occasion du Forum social, avec l’assentiment unanime des participants au FSM.

Environ 100.000 personnes ont participé à ce forum. Si les Argentins, Brésiliens, Colombiens étaient présents en masse, de même que les Cubains et les… Etats-Uniens, venus témoigner à Caracas de leurs luttes et de leur détermination à combattre l’administration Bush, les Vénézuéliens (surtout des couches populaires) et leurs organisations étaient quant à eux peu représentés – et, il fut aisé de s’en rendre compte, très peu informés de la tenue du Forum. La faible participation des Asiatiques et des Africains, et, dans une moindre mesure, des européens, tendait par ailleurs à donner au FSM une allure de forum… continental.

L’enjeu principal de cette sixième édition du FSM : avancer significativement dans l’élaboration et la proposition d’alternatives concrètes. Les progrès enregistrés en ce sens à Porto Alegre, en janvier 2005, se sont vus confirmés par les travaux de cette année.

Après avoir fait la preuve de sa capacité à délégitimer aux yeux des populations de la planète le néolibéralisme et ses dogmes destructeurs, après avoir démontré que le sinistre horizon capitaliste ne constitue pas une fatalité, le mouvement altermondialiste piaffe, impatient de passer du débat à l’action, de passer à la mise en œuvre des alternatives dont il se veut l’artisan.

La tenue du Forum à Caracas aiguisait bien entendu considérablement cet appétit. Pour la première fois, le mouvement social mondial venait à la rencontre de la « Révolution bolivarienne » (en hommage à Simon Bolivar, le « libérateur » de l’Amérique latine), ce processus populaire en train de donner corps à certaines des attentes des opposants à la mondialisation néolibérale, quelles que soient les difficultés et les contradictions rencontrées dans leur mise en oeuvre : démocratie participative, réforme agraire, souveraineté sur les ressources naturelles, accès pour tous à l’éducation, à la santé, à la retraite, garantie des droits élémentaires pour les populations marginalisées – notamment les indigènes -, lutte efficace contre l’analphabétisme, promotion des médias communautaires, des services publics et du secteur coopératif, participation des travailleurs à la gestion des entreprises, nationalisations, etc.

Autant de rêves jusqu’ici seulement caressés par le mouvement « alter »… qui découvre, au Venezuela (dans un contexte également intéressant pour les luttes sociales dans d’autres pays de la région – Bolivie, Chili, Uruguay…), que certains de ces rêves sont tout bonnement en train de devenir réalité. Et, simultanément, qu’ils ne sont pas le fruit de l’obstination de quelques uns, mais de la participation du plus grand nombre, de la mobilisation d’une majorité de la population. Un puissant antidote à la résignation et au fatalisme, qui donne évidemment des idées aux militants de tous horizons réunis à Caracas, dont beaucoup repartiront avec, en poche, le (tout) petit et omniprésent livre bleu de la nouvelle constitution bolivarienne…

Les six grands themes du forum… qui prennent un relief particulier dans le contexte vénézuélien : le pouvoir politique et les luttes pour l’émancipation sociale ; la résistance des peuples face aux stratégies impérialistes ; les ressources et droits pour la vie relative aux questions environnementales ; les diversités, identités et cosmovisions en mouvement, qui aborderont la pluralité et l’interculturalité, le racisme et la reproduction de l’ordre colonial ; le travail, l’exploitation et la marchandisation de la vie (précarisation, exclusion, inégalité et pauvreté Nord-Sud) ; la communication, la culture et l’éducation comme droits pour tous.

L’assemblée des mouvements sociaux. Expression de la volonté partagée de voir la dynamique anti-néolibérale déboucher sur des actions et des alternatives concrètes, l’assemblée des mouvements sociaux s’est réunie à Caracas, comme elle le fait désormais habituellement lors des forums mondiaux et continentaux. Elle a réuni plus de 400 personnes le dimanche 29 janvier, qui ont adopté un texte commun de revendications et de propositions, ainsi qu’un agenda d’actions pour l’année 2006 (voir prochainement en francais sur le site du CADTM, www.cadtm.org). Citons notamment la mobilisation mondiale contre la guerre des 18 et 19 mars, le mobilisation contre le sommet du G8 prévu à Saint-Pétersbourg (Russie) du 15 au 18 juillet, ainsi qu’une action internationale contre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI), qui débouchera sur une occupation des locaux de ces institutions dans de nombreux pays, le même jour, en septembre prochain.

Reunion avec Hugo Chavez. Dans le prolongement des travaux de l’assemblée des mouvements sociaux, quelque 200 représentants de mouvements, campagnes, réseaux, organisations se sont réunis avec le président Chavez, le dimanche 29 janvier en fin de journée, après la clôture officielle du Forum. C’était la deuxième rencontre entre Chavez et des représentants de ces mouvements en moins d’une semaine.

Dans un premier temps, des représentants de grandes campagnes (Camille Chalmers, de Jubilé Sud, de la Plate-forme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif – PAPDA – et du CADTM pour les campagnes contre la dette) ont pu présenter au président vénézuélien leurs luttes, leurs revendications et leurs propositions. Camille Chalmers a ainsi pu avancer la proposition d’un audit de la dette du Venezuela, proposition dont Hugo Chavez a annoncé qu’elle serait étudiée de manière approfondie par son gouvernement. Le président est ensuite longuement intervenu pour insister notamment sur la nécéssaire et naturelle connexion à établir entre les luttes de la planète et le processus « bolivarien » en cours au Venezuela.

« Le Forum social fait partie de notre lutte contre le néolibéralisme, mais nous devons l’accompagner nécessairement par une stratégie visant le pouvoir », a en outre déclaré Chavez, citant en exemple l’élection le mois dernier d’Evo Morales, ancien syndicaliste et défenseur des droits des communautés indiennes à la présidence de la Bolivie. Paraphrasant Ernesto « Che » Guevara, Chavez a appelé à la création « d’une, deux, trois Bolivies en Amérique latine, dans les Caraïbes, pour contrer les politiques « néolibérales » et « sauvages » de Washington ».

Ces deux rencontres entre des mouvements sociaux et un président sont les premières du genre. Si elles ont fait grincer quelques dents et crisser quelques plumes de journalistes toujours prompts à dénigrer Hugo Chavez et/ou les opposants à la mondialisation libérale, elles n’en sont pas moins, pour nombre de participants, une étape intéressante pour le renforcement des luttes menées par le mouvement altermondialiste, dans la mesure ou le Venezuela, son gouvernement et son président rejoignent le mouvement dans son combat contre le capitalisme pour lui substituer d’autres modèles de développement, socialement justes et écologiquement soutenables. Chavez parlant lui explicitement de « socialisme du XXIe siècle ».

Une dynamique renforcée. Le processus du FSM sort indéniablement renforcé du Forum de Caracas, malgré les problèmes logistiques, la faible présence de la population vénézuélienne ou le recul que représente, par rapport à l’édition 2005 du Forum, l’éparpillement géographique des activités à Caracas. Au niveau de l’Amérique latine également, la coordination des luttes sociales a progressé, par exemple dans la lutte contre l’ALCA.

Et en 2007 ? L’année prochaine, c’est à Nairobi, au Kenya, que le Forum social mondial, « dépolycentrisé » (sic) prendra ses quartiers, pour une première édition sur le continent africain.

Sources :

CADTM.

AlterPresse.