Force est de reconnaître que le Fonds monétaire international (FMI) est très efficace. Malheureusement, ce n’est pas en terme de réduction de la dette et de lutte contre la pauvreté, comme il le proclame, mais en terme de coup d’éclat médiatique et de manipulation sémantique.
Le FMI vient d’annoncer qu’il va annuler la dette de 20 pays pauvres à son égard au début de l’année 2006.
Aux yeux d’une opinion qui a du mal à décrypter les messages volontairement confus des grands argentiers du monde, la démarche est habile : elle veut signifier que le problème de la dette est en passe d’être réglé. En fait, le but cherché est double : avoir bonne presse après les fortes turbulences dues à son rôle très discutable dans les crises financières récentes, mais aussi tenter de désamorcer la contestation croissante sur le thème de la dette des pays en développement. Cependant, plusieurs éléments laissent particulièrement perplexes.
Primo, c’est exactement la quatrième fois cette année que les médias se font l’écho de la même décision impliquant le FMI : d’abord en juin à Londres lorsque la décision a été prise par les Ministres des Finances du G7, puis en juillet à Gleneagles lors du G8 lui-même, ensuite en septembre lorsque le FMI, après de fortes réticences de la part des petits pays riches comme la Belgique ou la Suisse, a entériné l’accord du G8 le concernant, et enfin en décembre au moment où il a dévoilé les modalités de cette opération.
Deuzio, 18 des 20 pays concernés par l’annonce du G8 sont exactement les pays dits « pauvres et très endettés » (PPTE) qui ont réussi à achever un véritable parcours du combattant néolibéral, notamment une réduction drastique de leurs budgets sociaux, des privatisations massives, une libéralisation radicale de leur économie, pour le plus grand profit des sociétés multinationales et des investisseurs internationaux. Mais ce sont autant de coups très durs portés aux conditions de vie des populations pauvres. Autrement dit, ces pays ont déjà payé très cher le droit d’être ainsi éligibles. Afin de faire accepter ses remèdes frelatés, le docteur FMI fait mine de prescrire des stratégies de réduction de la pauvreté. Cet imposteur se construit un alibi (de maigres sommes saupoudrées sur de rares projets sociaux) tout en cachant les graves effets secondaires : par exemple, dans des pays où plus de 40 % du budget sert à rembourser la dette, il interdit aux gouvernements de recruter et de former suffisamment d’enseignants, d’aides-soignants, de médecins, etc., au nom de sacro-saints principes comme la réduction de la fonction publique et l’équilibre budgétaire. Il s’applique soigneusement à ne jamais remettre en cause de telles postures idéologiques, ce qui est à l’opposé d’une démarche scientifique honnête.
Tertio, le FMI a fait semblant de comprendre de travers l’accord du G8 et il l’a interprété à son avantage. Alors que le G8 avait annoncé une annulation de la dette des pays concernés envers le FMI dès lors qu’ils faisaient partie de la liste des 18, le FMI y a rajouté des conditionnalités qui lui permettent de rester un acteur central du dispositif, de surcroît à la fois juge et partie. En effet, il va commencer par procéder à un examen des politiques économiques des pays bénéficiaires avant de leur accorder l’allégement de dette prévu. Il veut par là s’assurer que depuis qu’ils figurent sur la fameuse liste, la politique qu’ils appliquent est toujours conforme aux recettes éculées de ses experts néolibéraux. Bien entendu, les deux pays non PPTE de la liste, le Cambodge et le Tadjikistan, se sont déjà pliés eux aussi aux exigences du FMI.
Enfin, le FMI disserte sur le montant total de l’annulation qu’il va supporter à terme : 4,8 milliards de dollars, qu’il va trouver simplement en utilisant les bénéfices réalisés sur une transaction en or remontant à 1999. Pourtant, c’est bien maigre face à la dette extérieure publique de tous les pays en développement, qui s’élève à 1 600 milliards de dollars. De plus, le FMI pourrait faire bien davantage car il est le troisième détenteur d’or du monde, son stock valant plus de 44 milliards de dollars au cours du marché alors qu’il est inscrit dans ses comptes pour un montant 5 fois moindre.
En réfléchissant bien, et pour utiliser un vocabulaire très en vogue, le FMI n’a pas usurpé l’appellation de « terroriste financier ». D’une part, il agit comme un tireur embusqué qui dégaine des politiques et en contemple les dégâts, du haut d’un hôtel cinq étoiles, partout où elles sont appliquées en rafale. D’autre part, il a tout du tueur à gages forcené, qui prend des populations entières en otage, les privant de leur souveraineté et de leur dignité. Le plus raisonnable est sans aucun doute de le mettre hors d’état de nuire. L’abolition du FMI et son remplacement, dans le domaine monétaire international, par une institution multilatérale qui agirait enfin pour le respect des droits humains fondamentaux sont des pistes à étudier sérieusement.
(*) Damien Millet est président du CADTM France (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde), auteur de L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005 ; Eric Toussaint est président du CADTM Belgique, auteur de La Finance contre les peuples, CADTM/Syllepse, 2004.