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Les causes de la chute d’Aristide en 2004

Lors du Forum social des Amériques (Quito, Equateur) qui s’est tenu en juillet passé, l’agence brésilienne d’information Adital a interviewé Camille Chalmers, professeur d’économie à l’Université d’Etat de Haïti, coordinateur de la Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif. La PAPDA est la coalition créée en 1995 pour lutter contre les plans d’ajustement structurel et les politiques néo-libérales mises en place par Aristide à son retour des Etats-Unis. Chalmers rappelle dans cette interview à quel point l’histoire récente de Haïti a été marquée par la résistance et l’organisation populaire en dépit de la répression des Etats-Unis.


L’anniversaire de la chute de Jean-Bertrand Aristide. Il y a bientot un an, fin février 2004, Aristide quitte finalement Haïti suite à de nombreuses manifestation. Camille Chalmers retrace les origines de cet événement historique.

Le peuple haïtien a-t-il eu conscience de ce changement chez Aristide ?

Beaucoup de gens, y compris une grande partie du mouvement populaire, ont mis beaucoup de temps à comprendre ce qui était en train de se passer. On peut dire, par exemple, qu’Aristide, dans les quartiers populaires, a conservé une certaine popularité jusqu’en 2003. Mais, en 2002 et en 2003, trois évènements très importants vont modifier la conjoncture.

Le premier a été la signature d’un accord avec le Fonds monétaire international en avril 2003. C’était un accord très dur, réduisant drastiquement de nombreuses dépenses publiques, diminuant les investissements sociaux, particulièrement dans le secteur de l’éducation, et libéralisant le commerce du pétrole. Cela a provoqué une hausse dramatique des prix qui a eu pour conséquence une détérioration du niveau de vie ainsi qu’une aggravation incroyable du niveau de la pauvreté à cette époque. On estime qu’une grande partie de la population, y compris une large frange de la classe moyenne, est devenue très pauvre dans une situation tout à fait insoutenable.

Et le deuxième évènement ?

A partir de 2000, ils ont mis en place une sorte d’embargo dans lequel les Etats-Unis ont donné l’ordre à toutes les agences financières de boycotter Aristide en dépit du fait qu’il appliquait un programme pro-impérialiste. Ils n’avaient pas confiance en lui parce qu’il avait un passé et un discours anti-impérialistes, anti-oligarchiques. Ils avaient toujours peur qu’il utilise sa présidence pour se reconstruire un capital politique. Il était donc primordial pour les Etats-Unis de détruire la capital politique de Aristide.

Le trafic de drogues s’est également développé à cette époque ?

Oui, le trafic de drogues a joué un rôle très important. Le département d’Etat affirme que 15 pour-cent de la drogue qui arrive aux Etats-Unis passe par Haïti. En fait, les témoignages montrent qu’il existe une circulation d’argent très importante qui ne correspond pas à la quantité de commandes du secteur productif. Nous assistons, depuis quatre ans, à une croissance du secteur bancaire. Il y a de très nombreuses banques dans tout le pays, ce qui veut dire qu’il y a de l’argent, mais d’où sort-il ? On peut supposer qu’une grande partie de cet argent est liée au commerce de la drogue qui s’est intensifié et a profité grandement de la déliquescence institutionnelle du pays.

Cela a aussi été un élément de désorganisation des groupes de base, parce que, dans les quartiers populaires, des organisations de quartier, dont les dirigeants avaient joué un rôle politique important entre 1989 et 1991, ont été achetées, que ce soit directement par Aristide ou par les trafiquants de drogue. De nombreuses structures associatives des quartiers populaires ont été détruites ou perverties. Leurs anciens leaders se sont mués en une espèce de clan de gangsters qui ont reçu des armes, beaucoup d’armes, et ont mené un travail de contrôle politique au service de Aristide, de répression politique contre le peuple.

Il y a également un évènement en 2003 qui est très important…

S’agit-il du troisième évènement qui a définitivement brisé la confiance que les secteurs populaires mettaient en Aristide ?

Il s’agit de l’assassinat d’un leader de quartier populaire. C’était l’un des principaux leaders entre 1989 et 1991… Il a toujours été considéré comme un fidèle d’Aristide. C’est quelqu’un qui tenait toujours un discours très critique sur le système mais qui, après le retour de Aristide, a également commencé à pratiquer un certain banditisme. Il a été incarcéré, en 2000 me semble-t-il, et la population a attaqué la caserne et l’a libéré. Ils ont pris d’assaut la caserne à l’aide de tracteurs et de camions, ont détruit la caserne et l’ont emmené. Il a été caché au sein de la population, dans les quartiers populaires, pendant plusieurs mois. On soupçonne que lors de négociations entre Aristide et l’Organisation des Etats américain (OEA), cela ait constitué un élément important parce que l’OEA exigeait l’emprisonnement de Metayer comme signe qu’Aristide se soumettait aux principes de l’état de droit. Il a été assassiné en septembre 2003.

De nombreuses personnes, si on analyse les détails de son assassinat, disent qu’Aristide a donné l’ordre de son exécution parce qu’il constituait un élément qui lui rendait les négociations internationales plus difficiles.

Cet assassinat a provoqué l’indignation dans les quartiers populaires. C’est la première fois que ces quartiers se sont exprimés ouvertement contre Aristide. Cela a commencé par des manifestations dans les rues des gens de Raboteau, l’endroit où vivait Metayer. Ces manifestants sont restés dans les rues pratiquement jusqu’à la chute d’Aristide. Celui-ci a tout tenté : de les acheter, de les menacer jusqu’à faire tirer des coups de feu, de nombreux tirs ont eu lieu dans ce quartier populaire en octobre, mais rien n’a pu calmer leur indignation. Cela a constitué le point de rupture entre Aristide et ce qui restait de sa base populaire. Cela a eu un grand impact parce que de nombreux dirigeants de quartiers, liés à Aristide, lorsqu’ils ont appris l’assassinat de Metayer, se sont demandés si le même sort ne leur serait pas réservé. Ils se sentaient menacés. Cela a beaucoup aidé à la création d’un mouvement anti-Aristide dans les quartiers des grandes villes.