Les installations d’entreprises à l’extérieur ne datent pas d’aujourd’hui. Il en existait bien auparavant. La Ligue hanséatique, déjà au XIIIème siècle, possédait des comptoirs multinationaux. Les établissements des grandes compagnies au XVIIème siècle permettent de le confirmer. Au XXème siècle, on assiste à un développement fulgurant de Firmes Multinationales (FMN).
Marie Germide OSCAR, étudiante à la Faculté des Sciences Humaines
La Firme Multinationale peut être définie comme « une entreprise qui possède et contrôle des activités productives dans plus d’un pays » . Ces activités productives sont réalisées, le plus souvent, par des entreprises plus petites couramment appelées usines de sous-traitance.
Certains auteurs font remarquer que l’installation d’usines de sous-traitance dans les pays du Tiers-Monde ont de sérieuses conséquences sur les conditions de vie des travailleurs.
Essayons d’étudier ces conséquences tout d’abord au niveau du contrat de travail des ouvriers et de l’employeur, puis au niveau des conditions de travail des ouvriers dans les usines tout en utilisant des exemples tirés de l’expérience d’Haïti en matière de sous-traitance.
LE NON RESPECT DU CONTRAT DE TRAVAIL PAR
LES EMPLOYEURS DES USINES DE SOUS-TRAITANCE
Dans l’exécution du contrat de travail, l’employeur et les travailleurs doivent respecter leurs obligations. Le premier, selon l’article 31 du code du travail, doit fournir au salarié le travail dans les conditions fixées par les règlements, verser au salarié le salaire convenu (non inférieur au salaire minimum) et respecter le travailleur. Les seconds, selon l’article 30 du code, doivent exécuter personnellement le contrat convenu et conclu, respecter les délais fixés, prendre soin des matériels, éviter tout gaspillage, observer les dispositions du règlement intérieur, faire preuve de discrétion et prohiber la concurrence. En réalité, ce sont les travailleurs qui respectent le plus leurs obligations. Bon nombre d’employeurs des usines de sous-traitance ne respectent ni les travailleurs, ni le salaire minimum en vigueur dans le pays où ces usines sont implantées et les règlements intérieurs des usines.
LE NON RESPECT DES REGLEMENTS INTERIEURS
PAR LES PATRONS D’USINES DE SOUS-TRAITANCE
Si les travailleurs respectent les règlements intérieurs des usines de sous-traitance et se montrent le plus souvent très disciplinés, les employeurs, de leur côté, ne respectent pas ces règlements, ni le code de conduite élaboré par la Firme Multinationale dont dépend leur usine. La compagnie Wal-Mart Stores Inc., dans son code de conduite, recommande à ses fournisseurs en Haïti de récompenser les employés, de leur donner un salaire et des avantages qui respectent les lois du pays … Les usines travaillant pour sa compagnie doivent fournir des équipements médicaux appropriés, avoir une porte de secours en cas d’incendie, des équipements de protection. Les endroits où les ouvriers travaillent doivent être convenablement éclairés, des toilettes propres et une salle de repos si c’est nécessaire. Ces règlements de Wal-Mart sont violés dans les usines Quality Garments et Excel Apparel, usines où il fait chaud, la lumière est sombre, il y a beaucoup de travailleurs, le désodre règne et l’on paie les ouvriers moins que le salaire minimum en vigueur.
LE NON RESPECT DU SALAIRE MINIMUM EN VIGUEUR
En Haïti, le Gouvernement de l’Ex-Président Aristide a augmenté, le 4 Mai 1995, le salaire minimum à 36 gourdes pour huit heures de temps de travail par jour. Selon un rapport de recherches publié par la National Labor Committee en 1995, la majorité des usines de sous-traitance ne respectent pas ce niveau de rémunération dans leurs usines . Le salaire reçu par les ouvriers peut être considéré comme un salaire de misère( qui ne correspond nullement au panier de consommation de base). D’après les recherches de la National Labor Committee sur 15 usines qui opèrent en Haïti, dix (10) d’entre elles paient moins que le salaire minimum de 36 gourdes. En exemple, la compagnie haïtienne, Quality Garments S. A., qui fabrique des sous-vêtements pour homme (« pijama ») Mickey Mouse et Pocahontas pour la compagnie américaine sous contrat avec Walt Disney, paie les ouvriers à 15 gourdes (ce qui veut dire 12 centimes pour chaque heure de travail). C’est une violation flagante de la loi haïtienne.
LE NON RESPECT DES TRAVAILLEURS
Les employeurs n’ont aucun respect pour les ouvriers. Le fait de ne pas respecter leurs obligations, d’insulter les travailleurs (En Haïti, le Superviseur de l’usine Chancerelles S. A. a affirmé qu’il a l’habitude d’injurier les ouvriers), d’augmenter la durée de travail quand bon leur semble (le cas des usines Quality Garments S.A., Alpha Sewing, etc, implantées en Haïti) et la quantité de travail (le cas des usines de sous traitance Excel Apparel Exports, Alpha Sewing, NS Mart Manufacturing Co, etc), l’exploitation et le harcèlement sexuel des ouvrières (selon la National Labor Committee, une enquête menée par un antropologue de l’Université de Colombia dans un bidonville de Port-au-Prince révèle que 17% des ouvrières des usines de sous-traitance, si elles veulent garder leur emploi, sont obligées d’accepter de partager le lit de leurs patrons), l’utilisation de matériels (machines à coudre) désuets (vieux de plus de dix, vingt ans) par les usines (le cas des usines Quality Garments S.A., Charles Handal, etc) sont des exemples probants .
On s’interroge alors sur les conséquences de l’implantation d’usines de sous-traitance sur les conditions de travail des ouvriers.
LES CONSIQUENCES DE L’INSTALLATION D’USINES DE SOUS-TRAITANCE SUR LES CONDITIONS DE TRAVAIL
Les conditions de travail des ouvriers dans les usines de sous traitance sont infra-humaines. Les employeurs de ces usines font ce qui est contraire à la durée de travail prévue par le code du travail, aux droits d’expression et d’association garantis par la constitution, aux normes hygiéniques et de sécurité instituées par la législation en vigueur dans le pays où ils ont implanté leurs entreprises. Henri Rouillé D’ORFEUIL a révélé cette situation d’exploitation, dans son livre intitulé « Le Tiers Monde » en ces termes : « Haïti accueille des dizaines de petites entreprises qui, aux portes du marché américain, exploitent une main-d’oeuvre courageuse et peu revendicatrice ».
L’AUGMENTATION DU TEMPS ET DE LA QUANTITE DE TRAVAIL
Selon le décret de l’Ex-Président Aristide sur le salaire minimum en Mai 1995, les entreprises industrielles, commerciales et agricoles devraient payer un salaire minimum de trente-six (36) gourdes. Quelque soit l’endroit où l’employé travaille, le prix payé pour une unité de production (pièce, douzaine, poids, mètre, etc) doit lui permettre de faire au moins le salaire minimum pour une durée de travail de huit (8) heures par jour. Les patrons des usines de sous-traitance, en Haïti, font fi de ce décret. Non seulement, ils ne paient pas le salaire minimum au travailleur, mais encore ils vont jusqu’à augmenter le temps de travail (le cas des usines Quality Garments S. A., Alpha Sewing, etc). Certains d’entre eux font travailler les ouvriers même le Dimanche. D’autres, au contraire, pour empêcher aux travailleurs d’avoir le salaire minimum, augmentent la quantité de pièces à faire (id-est la production) pour pouvoir gagner ce salaire ( le cas des usines de sous-traitance Excel Apparel Exports, Alpha Sewing, NS Mart Manufacturing Co, etc) .
LE NON RESPECT DES DROITS D’EXPRESSION
ET D’ASSOCIATION DANS LES USINES
Dans certaines usines de sous traitance, il est formellement interdit aux ouvriers de parler entre eux, voire de former une association et de protester contre une décision arbitraire de l’employeur. L’Excel Apparel Exports, usine de sous-traitance d’Haïti, interdit le droit aux travailleurs de parler. Une autre usine, l’Alpha Sewing a révoqué un ouvrier en mars 1995 parce qu’il refusait de travailler un Dimanche. Quand il était retourné à l’usine pour réclamer la somme qui lui est dûe, le Patron a appelé les Policiers des Nations-Unies pour leur dire qu’il y a un voleur à l’usine. Une fois arrivés sur les lieux, ces policiers ont arrêté et menotté l’ouvrier. Ce dernier a été relâché suite à des protestations d’autres ouvriers. Le lendemain, le patron commence à révoquer des ouvriers, par deux, par trois, par quatre, en un mot, tous ceux qui protestaient contre l’arrestation .
LES PROBLEMES HYGIENIQUES ET DE SECURITE DANS LES USINES
Les normes hygiéniques et de sécurité ne sont pas respectées dans les usines de sous traitance. Celles-ci n’ont presque pas de services médicaux pour les ouvriers. Prenons deux exemples d’usine de sous-traitance, situées en Haïti : Quality Garments S.A. et Alpha Sewing. La première (au local de la SONAPI) est remplie de travailleurs, il y fait très chaud, et l’air est rempli de poussières des restes de vêtements et de sous-vêtements. De ce fait, les travailleurs ne peuvent pas respirer normalement. Il n’y a pas un entrepôt pour les matériels. Ceux-ci sont disseminés à travers les coins et recoins de l’usine. La seconde usine fabrique des gants industriels. Pour les fabriquer, les ouvriers manipulent des produits chimiques avec leurs mains (sans gants de protection). Ce qui occasionne l’enlèvement des peaux de certains d’entre eux. De plus, la poussière en provenance de la fabrication de certains de ces gants (gants Vinyl-Coated Super Comfort Seams-Rite) a provoqué chez les ouvriers des problèmes respiratoires .
CONCLUSION
L’analyse des principales conséquences de l’installation d’usines de sous-traitance, en Haïti, montre clairement que l’ouvrier haïtien ne peut et ne pourra en aucun cas arriver, avec son maigre salaire, à satisfaire les besoins les plus élémentaires de sa famille (alimentation, logement, éducation, soins santé, etc).
Eu égard aux problèmes d’emploi que confrontent les pays du Tiers-Monde, les employeurs d’usines de sous-traitance embauchent un nombre excessif de travailleurs pour des salaires misérables. Ils profitent de la faiblesse de la législation sociale et l’absence de politique de protection des travailleurs pour négliger les risques de travail. On a vu des ouvriers travailler dans des situations déplorables : insalubrité, manque d’éclairage, matériels défectueux et démodés, nuisances sonores, absence de services médicaux dans les usines, manipulation de produits chimiques sans vêtements de protection et absence d’information du salarié sur les dangers qu’ils courent en utilisant ces matériels, etc. Celles-ci entraînent le plus souvent des accidents de travail, la maladie et même la mort.
Face à cet état de fait, il apparaît opportun et urgent aux Pouvoirs Publics et à toutes les composantes de la nation haïtienne d’oeuvrer pour une meilleure législation sociale et un bon système de sécurité sociale. Ceux-ci doivent viser un parfait équilibre politique, économique et social entre les diverses couches de la population et permettre d’améliorer les conditions d’existence des couches les plus défavorisées et les plus vulnérables de la population, de protéger les citoyens contre les risques sociaux et d’édifier une société de bien-être où règnent la justice et l’équité.
BIBLIOGRAPHIE
1.- JEAN-BAPTISTE, Chenet : Cours de Législation sociale, Interventions 1-6, FASCH, Port-au-Prince, 1998.
2.- VERHOOGEN, Eric : Lèzetazini nan Peyi Dayiti, Kijan pou Rich sou 11 Santim Lè, National Labor Committee, New York, 1995.
3.- BRASSEUL, Jacques : Introduction à l’économie du développement, Id. Armand Colin, Paris, 1993, pp146-152.
4.- D’ORFEUIL, Henri Rouillé : Le Tiers monde, Id. La Découverte, Paris, 1993, p. 65.