Traiter du Droit à la Santé, pour nous les féministes réfère à un ensemble de facteurs liés au bien-être physique, psychologique et social tant au niveau personnel que collectif. Ce droit revêt d’une reconnaissance nationale, car la Constitution haïtienne le lie directement au droit à la vie, article 19 « L’Etat a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine ». De surcroît, l’article 23 établit l’obligation de garantir à la population entière les ressources nécessaires pour recouvrer leur santé grâce à un service de soins médicaux appropriés.
En effet, le Droit à la Santé constitue un droit universel relevant des Droits humains comme déterminé dans la Déclaration universelle des Droits humains (DUDH) qui, dans son article 25 insiste sur « la reconnaissance du droit pour tous à un niveau de vie convenable, garanties pour la santé et le bien-être compris. Il reconnaît la relation qui existe entre santé et bien-être ainsi que le lien qui existe avec d’autres droits, tels que le droit à la nourriture et le droit au logement, aussi bien qu’aux services médicaux et sociaux. Il adopte une vision large du droit à la santé comme droit humain, même si la santé n’est qu’une composante d’un niveau de vie convenable ».
Le Droit à la Santé est également entériné au niveau du PIDESC, qui dans son article 12, identifie des mesures que l’État doit prendre pour «assurer le plein exercice de ce droit ». Ce, sans mentionner les différentes conventions, traités faisant obligation aux Etats de promouvoir et garantir le droit à la Santé. Notamment le CEDAW et le Programme d’action de Beijing, la Convention Belem Do Para, le Programme d’action de Caire et les Principales mesures adoptées pour la poursuite de son application.
A la SOFA, nous basant sur les principes du droit, les différents normes et principes liés au Droit à la Santé, nous référant à son caractère indivisible et interdépendant, nous nous positionnons au départ dans une dynamique de lutte en faveur d’une politique de santé publique émanant d’une vision holistique de la santé qui inclut des paramètres individuels et des facteurs sociaux. Et sachant que la santé est aussi liée aux rapports sociaux qui produisent des conditions de vie favorables ou non à la santé, notre lutte vise la reconnaissance, par les pouvoirs publics et la société, du droit universel à la santé, se caractérisant par: l’accès égal pour Toutes/Tous en matière de proximité des services et de leur qualité.
Il demeure certain qu’en Haïti malgré les multiples programmes et moyens dont bénéficie l’Etat haïtien, le constat est préoccupant quant à l’accès équitable de la population aux services de soins et autres services sociaux liés à la santé. L’EMMUS V, confirme que 50% des institutions de services de santé sont des dispensaires (souvent non dotés de ressources adéquates), c’est le secteur privé qui se révèle le plus important pourvoyeur de soins. Ainsi, l’accès de la population aux soins médicaux est fortement conditionné par la capacité de chaque individu à payer. Par exemple, 82% des femmes font face à des obstacles majeurs pour accéder aux soins; 76% ont évoqué entre autres, le manque d’argent pour les traitements. (EMMUS V)
Les politiques économiques néolibérales en application depuis plus de 30 ans prônant le sous-financement des services publics et des organisations à but non lucratif intervenant en santé transforment les citoyens-nes, les personnes malades en client-e-s, en consommateurs. Ce au détriment de leurs droits.
Nous estimons que la Santé est un bien collectif qui concerne l’Etat et la population, en ce sens, elle doit être gérée de manière participative. La participation: Conformément à la Déclaration d’Alma-Ata, « les personnes ont le droit et le devoir de participer individuellement et collectivement à la planification et à la mise en œuvre de leurs propres soins médicaux » / OMS 1978. De même, l’OMS dans le préambule de sa constitution, stipule « Les soins de santé primaires ne sont pas seulement exigés, mais promus, à travers l’éducation à la santé, la participation de la communauté comme des individus « au planning, à l’organisation, au fonctionnement et au contrôle du système»
Santé des Femmes
Les rapports sociaux inégalitaires ont de nombreux impacts et produisent des inégalités. La mondialisation, l’imposition du néolibéralisme engendrant la marchandisation des biens et services, renforcent les inégalités sociales et ont donc un impact sur la santé. Ceci est incontestable dans le cas des femmes assujetties à des rapports sociaux de sexe inégalitaires. Car les normes sociales et les perceptions associées au fait d’être femme aujourd’hui encore, demeurent fortement déterminées par les valeurs patriarcales. Les femmes sont au nombre des catégories sociales, en moins bonne santé. Alors qu’elles restent souvent celles qui dispensent les soins, elles sont celles qui sont les plus privées de bonnes conditions de santé. Donc, de ce droit humain fondamental. Cet état de fait, relève du capitalisme dominant faisant souvent de la politique, du social et de l’économique des mécanismes d’exclusion des femmes.
Ce qui explique d’ailleurs que les femmes sont peu présentes dans les postes décisionnels au niveau du système de santé. Alors qu’elles soient en première ligne dans les soins, en Haïti, on les retrouve généralement, gardes-malades, auxiliaires, infirmières. Mais très peu médecins, médecins en chef, directrices médicales.
Il s’agit donc d’un modèle de construction hiérarchisée selon les genres et sur des pratiques qui restent ancrées aux valeurs patriarcales. A ce niveau là, ces valeurs portent atteinte à la santé des femmes par des situations de violences et de pratiques rétrogrades, fondamentalistes dû à l’absence de perspectives féministes, d’analyse de genre dans les politiques et les pratiques de santé.
On ne saurait parler du Droit à la santé sans attirer l’attention sur les problèmes de santé spécifiques aux femmes.
En effet, mise à part des problèmes de Santé auxquelles, font face les femmes en tant que membre de la population, doivent être considérés d’autres problèmes d’ordre médical liés à leur constitution biologique comme les cancers du col / utérin, les cancers du sein, la mortalité maternelle etc. « Le cancer du col de l’utérus et est le deuxième cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde, la quasi-totalité des étant lés au papillomavirus humain (HPV) transmis sexuellement. Près de 90% des cas surviennent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, en raison du manque d’accès aux services de dépistage et de traitement. / Le cancer du sein est le plus meurtrier chez les femmes âgées de 20 à 59 ans ». – OMS Juin 2014. Quand est-il chez nous où il n’existe pas de politique d’informations et de plan de dépistage, de prévention de ces maladies ?
Il est important de noter que, les conséquences des conditions sociaux économiques produisent des effets nuisibles à la santé des femmes, par exemple: Les violences basées sur le sexe (physiques, psychologiques et sexuelles) portant atteinte à l’intégrité physique et morale des femmes; la sous-alimentation, les conditions précaires et environnementaux, le harcèlement sexuel et moral en milieu de travail ; la pauvreté -paupérisation des femmes. Tout ceci produit des impacts défavorables à leur santé mentale et physique. A leur bien-être.
Santé Sexuelle et Reproductive (SSR)
La Santé sexuelle et reproductive concerne différents aspects de la santé des femmes : santé maternelle et infantile, prévention et prise en charge des grossesses non désirées (ex. planification familiale), lutte contre les infections sexuellement transmissibles, prévention de la transmission mère-enfant du VIH…
Au cours des vingt dernières années, les luttes sociales à travers le monde, la présence militante des féministes dans des grands espaces de débat, ont porté les gouvernements et institutions internationales à prendre conscience de la nécessité d’inscrire la santé sexuelle et reproductive dans leurs priorités d’actions. Plusieurs textes adoptés par de nombreux pays témoignent de cet engagement et fournissent un cadre stratégique pour la mise en place de projets en SSR. A titre d’exemple les mesures adoptées dans le cadre du Programme d’action de la conférence international sur la population et le développement / Caire septembre 1994 et New York, juillet 1999. Cette conférence définit la santé en matière de reproduction comme, « le bien-être général, tant physique que mental et social de la personne humaine, pour tout ce qui concerne l’appareil génital, ses fonctions et son fonctionnement et non pas seulement l’absence de maladies ou d’infirmités […] (1) » Conférence de Caire 1994.
Cependant, ces engagements sont très souvent restés sans suivi et les réalités des pays sont nettement différents quand on constate : les faiblesses dans ce domaine ex : Situation de mortalité maternelle, l’accès restreint aux contraceptifs, les facteurs culturels empêchant les femmes à négocier leurs relations sexuelles ou non, la problématique de l’avortement, les grossesses précoces/non désirées, l’insuffisance de renseignements fiables concernant la santé génésique, le VIH / SIDA etc…
Il convient dans notre démarche, d’insister sur les droits sexuels : la liberté, l’égalité, la dignité, le respect de la vie privée, l’autonomie et l’intégrité physique et morale. Malgré trop longtemps ignorés, les droits sexuels constituent des droits humains universels. Ils ont été élaborés en regard de ces derniers. De même que tous les êtres humains sont égaux et ont droit à une protection devant la loi contre toutes formes d’atteintes à leur intégrité sexuelle, tout le monde peut prétendre au respect de ses droits sexuels.
C’est dans cette perspective que s’est inscrit notre lutte pour la dépénalisation de l’avortement. Haïti est parmi les sept (7) pays de la région où l’Interruption Volontaire de la Grossesse (IVG) est strictement pénalisée. Tandis que c’est une pratique répandue en Haïti. Ce, en milieu rural qu’urbain. Plus d’une femme sur 2 (54%) ne veut plus d’enfants quand elle estime atteindre la taille de sa famille relate l’EMMUS V-2012. Cette enquête fait état également de 4% de femmes de 15-49 ans déclarant avoir eu recours à l’avortement au moins une fois dans leur vie. Les femmes de tout âge et statut matrimonial différent pratiquent l’avortement. Et pire les avortements, réalisés dans des conditions insécurisées, constituent la 3ième cause de mortalité maternelle.- 109/100.000, pour un taux de 630/100.000 naissances vivantes.
Chaque année, quelque 287,000 femmes meurent de complications de la grossesse et de l’accouchement, dont 99% dans les pays en développement. La quasi-totalité des décès pourrait pourtant être évitée par des moyens simples. Les complications liées à des avortements réalisées dans de mauvaises conditions sont la cause de 13 % de ces décès. 80% des 19 millions de femmes qui subissent des avortements insalubres tous les ans souffrent de maladie, de lésions ou d’incapacité (Fédération internationale pour le planning familial). 215 millions de femmes qui préféreraient différer ou éviter une grossesse n’ont toujours pas accès à une contraception sûre et efficace.
En conclusion
Quand nous parlons de Droit à la Santé comme démontré au fil de mon intervention, nous percevons la santé comme une affaire de société et pas seulement de médecine. Son amélioration réelle passe par la prise en compte des déterminants sociaux et de la justice sociale basée sur l’approche de genre. En ce sens, quand nous adressons la santé, il s’agit de promouvoir l’adoption d’une définition de la Santé prenant en compte les facteurs déterminants pour le bien-être des personnes. Une politique pouvant garantir la jouissance d’un ensemble de droits et de politiques de protection sociale, tels:
• Le droit à la vie : Droit à la sécurité et à l’intégrité physique – Droit au respect de la vie privée -Droit à l’autonomie – Droit à la liberté- ;
• Les Droits économiques, sociaux et culturels tels : Droit à la santé ; Droit à l’éducation ;
Droit à un environnement sain – Droit à la nourriture – Droit à un logement adéquat – Droit au travail et accès aux droits du travail ; Droit à l’information ;
De manière spécifique, l’adoption d’une politique conforme à la constitution du pays et aux engagements de l’Etat avec des stratégies et résultats périodiques afin de doter le pays d’un cadre et des ressources adéquates, en ce sens nous recommandons : La reprise par les Ministères Condition Féminine et aux Droits des Femmes, la Santé publique, des processus initiés aux fins de l’adoption d’ une loi cadre contre les violences faites aux femmes et celle portant sur la dépénalisation de l’avortement. D’identifier les ressources et les stratégies permettant aux femmes qui le désirent d’avoir accès à des services adéquats pour accoucher dans de bonnes conditions, et de garantir l’avortement dans des conditions sécuritaires- Avortement sans risques et légal. De définir des plans de lutte en prévention des cancers et autres maladies frappant les femmes et la population, de combattre les violences liées au sexe.
La mobilisation et la participation demeurent les clés de réussite de toute politique réelle de santé publique. Elle passe nécessairement par :
Inclusion : implication des femmes et autres secteurs de la population dans l’adoption, le suivi des politiques publiques locales qui concernent le respect du droit à la santé;
Surveillance : défendre la non-participation à des programmes de réforme qui promeuvent le démantèlement de la structure de la santé publique.
Promotion de processus juridique et législative : reconnaissance législative du droit à la santé. Conduite d’actions de plaidoyer visant l’harmonisation de la législation haïtienne avec cette vision de la Santé et en regards aux engagements nationaux, régionaux, internationaux pris par l’Etat.
Opposition à la réduction du rôle de l’État: Dans le contexte de la globalisation économique mondiale et de « l’ouverture des marchés », une grande pression s’exerce en vue de réduire le champ de l’autorité de l’État et donc de ses obligations. Ces tendances sont visibles tant dans le domaine législatif qu’exécutif et affectent particulièrement les femmes.
Mobilisation en vue de la mise en place systématique du droit à la santé: constitution d’espace de débat ; mobilisation communautaire, populaire ; construction d’alliances solidaires au niveau national, régional et international.
Quand à la stratégie globale pour la Santé pour Tous – Toutes- d’ici l’an 2000, décrétée par l’OMS – Genève 1981 ; en Haïti, malgré les quelques initiatives constatées, nous pouvons donc nous demander, où nous serons dans l’atteinte de ces résultats? Car les pas franchis à date sont peu significatifs par rapport à la réalité de notre pays, l’ampleur des problèmes de santé et face aux choix politiques adoptés.
Merci.
OlgaB.MF
Olga Benoit – SOFA
Chargée de programme
Axe : Lutte contre la Violence faite aux Femmes