Lettre de Saint-Vincent au président dominicain : La souveraineté ne peut être invoquée lorsque les principes de droits humains sont foulés aux pieds
Le premier ministre de St-Vincent et GrenadinesLe premier ministre de St-Vincent et Grenadines
Photo: Acento.com.do
A l’initiative du gouvernement de Saint-Vincent et Grenadines, le Conseil permanent de l’Organisation des Etats Américains (OEA) a inscrit à l’ordre du jour de sa session ordinaire du 29 octobre 2013, un point sur la sentence de la Cour Constitutionnelle dénationalisant des Dominicains pour la plupart, d’ascendance haïtienne. Une semaine plus tôt, le Premier ministre de l’archipel caribéen avait adressé une lettre au président Danilo Médina. Dans cette correspondance, le premier ministre avait souligné à l’attention du chef d’Etat dominicain : «La feuille de vigne de la souveraineté ne peut être invoquée lorsque les principes consacrés et universels de la citoyenneté et de la dignité humaine sont foulés aux pieds».
Il avait également rappelé l’impact négatif de la sentence sur les relations régionales alors que la République Dominicaine se trouve dans un processus d’adhésion à la CARICOM.
Ci-joint l’intégralité de la lettre:
Le gouvernement et le peuple de Saint Vincent et Grenadines sont profondément consternés du récent jugement du Tribunal Constitutionnel dominicain, niant la citoyenneté à des personnes d’ascendance haïtienne nées en République Dominicaine. Cette décision du Tribunal, en fait, laisse sans patrie un nombre élevé de personnes d’ascendance haïtienne.
A coup sûr, cette décision de la Cour est inacceptable dans n’importe quelle société civilisée. C’est une offense à toutes les normes internationales établies, aux principes élémentaires d’humanité, et elle menace de faire de la République Dominicaine un Etat-paria au niveau régional et mondial.
Cette décision porte atteinte aux engagements internationaux de droits humains inscrits dans les diverses conventions et traités internationaux et hémisphériques auxquels la République Dominicaine est un Etat-partie.
Comme vous le savez sans doute, la sentence du Tribunal est en train d’être amplement interprétée au niveau international comme l’expression d’une mentalité anti-haïtienne voire raciste étant donné que la plupart des personnes privées de leur citoyenneté de naissance sont noires de peau.
Par conséquent, il incombe au gouvernement et au peuple dominicains d’examiner avec méfiance la décision du Tribunal Constitutionnel et de s’engager sans tarder et de manière pratique à l’application des mesures correctives nécessaires, en conformité avec les obligations internationales.
Sous votre leadership et celui de votre distingué prédécesseur, la République Dominicaine a effectué des avancées louables pour rehausser l’image du pays au sein de la communauté régionale et internationale et pour effacer le souvenir de certains errements du passé.
Votre république est un membre important du CARIFORUM et se trouve dans un processus d’adhésion à la CARICOM, dont Haïti est déjà membre à part entière. L’impact négatif réel et improductif sur ces relations régionales et d’autres sautent aux yeux.
Le Secrétaire Général de la CARICOM s’est exprimé avec sagesse et publiquement contre la décision de la Cour constitutionnelle. De même l’ont fait d’éminentes personnalités issues des Etats-membres de la CARICOM dont Monsieur P.J. Patterson, ex-premier ministre de la Jamaïque et fidèle ami d’Haïti et de la République Dominicaine.
D’aucuns dans votre pays pourraient bien considérer tout cela comme une ingérence indue dans les affaires internes de la République Dominicaine. A l’évidence, il n’en est rien ! La feuille de vigne de la souveraineté ne peut être invoquée lorsque les principes consacrés et universels de la citoyenneté et de la dignité humaine sont foulés aux pieds.
Ces principes dépassent les limites territoriales d’un Etat : ils sont essentiels pour l’humanité. En outre, votre pays est lié par des obligations internationales.
Je regrette que les circonstances m’aient obligé à écrire avec vigueur sur ce dossier. Je vous assure que mon langage est sobre et n’exprime pas pleinement mon indignation personnelle.
Meilleurs souhaits à vous, à votre famille, votre gouvernement et votre communauté.
Avec mes sentiments de toujours à votre endroit et envers le peuple dominicain
(Source : Trinidad Express Newspapers, 21/10/13)
Traduit par le GARR