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Les « amis d’Haïti » s’inquiètent… Pourquoi ?

Depuis l’année dernière, des élections devaient avoir lieu pour le renouvellement des Collectivités territoriales et du tiers du Sénat. Des blocages de natures diverses ont soulevé des débats sans issue au sein de la classe politique traditionnelle et électoraliste. Des entraves de toutes sortes ont influencé du début jusqu’à aujourd’hui le processus visant à conduire à la réalisation de ces élections. De chaque semblant pas positif, émerge une nouvelle complication. Nous sommes maintenant à un nouveau tournant de cet épisode avec la création d’un Collège Transitoire de Gestion du Conseil Électoral Permanent, une invention abracadabrante pour plaire en même temps au pouvoir exécutif qui veut le gâteau entier et à certains membres du pouvoir législatif qui aimeraient que le jeu soit plus transparent. On pourrait dire « À malin, malin et demi ».


Cette situation a créé un profond malaise tant en Haïti que chez les pays dominateurs, dans chacun des camps pour des raisons qui leur sont propres. L’histoire mondiale nous a enseigné que les puissances impérialistes ont toujours placé leurs intérêts au-dessus de toute considération de fraternité entre les peuples notamment entre elles et ceux qu’elles appauvrissent. Cependant, pour réaliser leurs crimes de lèse-humanité, elles ont besoin de gouvernements dociles envers elles et oppressifs envers leurs peuples. C’est seulement cette clé de lecture qui nous permet de comprendre l’essence de tous les coups bas, de toutes les échauffourées entre adversaires réels pour certains et entre faux adversaires pour un nombre important de ces acteurs et actrices qui peuplent la scène politique. La majorité populaire y assiste pour le moment impassiblement.

N’y aurait- il pas une course contre la montre entre les puissances tutrices pour la mainmise sur notre or, notre cuivre et d’autres matières rares et importantes enfouies dans notre sous-sol ?

En effet, ladite communauté internationale, impatiente, est sortie de ses gonds pour passer, sans aucune réserve diplomatique, des ordres aux responsables politiques du pays. Derrière les motifs apparents de nous donner des leçons de démocratie, se cache la volonté de continuer sa domination impériale. Les États-Unis, le Canada, l’Union Européenne – notamment la France – n’entendent pas perdre leur contrôle politique sur le pays, non seulement pour les raisons géostratégiques de toujours mais aussi en raison des nouvelles donnes économiques. Leur souci immédiat est de s’entourer d’autorités irresponsables, désinvoltes, pour la perpétuation du pillage de nos ressources naturelles et de l’exploitation éhontée de nos forces de travail condamnées unilatéralement à rester toujours « à bon marché ». Car, l’on vient de dévoiler publiquement l’ampleur de la richesse de notre sous-sol qui est évaluée à des dizaines de milliards de dollars américains.

Nous pouvons nous demander pourquoi cette ruée sur nos mines souterraines aujourd’hui alors que ces multinationales n’ignoraient pas leur existence. N’y aurait- il pas une course contre la montre entre les puissances tutrices pour la mainmise sur notre or, notre cuivre et d’autres matières rares et importantes enfouies dans notre sous-sol ? Le Sénat, malgré toutes les différences politiques qui le rongent, a voté une résolution qui mérite notre appréciation. Cependant, vu l’expérience des multinationales à travers tous les continents pour contourner toutes les lois régissant l’exploitation des ressources du sol et du sous-sol, nous sommes en droit d’exprimer nos inquiétudes face à une aussi simple décision des législateurs. Ne faut-il pas imaginer des moyens plus contraignants pour arrêter cette hémorragie qui, grâce à la bénédiction des deux têtes de l’exécutif, a débuté à l’insu de la population depuis un certain temps ?

Le moment s’avère propice, d’après ces puissances extraterritoriales, pour exploiter ces mines, ceci d’après au moins trois grandes déductions :

-Il est venu le temps d’extraire ces mines qui étaient considérées comme leur réserve stratégique, car des peuples de tous les continents avec autrefois des gouvernements soumis aux puissances impérialistes commencent à se réveiller pour refuser à ces dernières un regard exclusif sur leur richesse naturelle.

-La mobilisation des masses populaires a baissé chez nous de plusieurs crans, et la misère grandissante les rend plus perméables aux offres piégées de création d’emploi. Cela n’empêche pas que des manifestations d’autonomie qui ont actuellement chez nous l’air isolé et spontané, puissent un jour revêtir un caractère plus structuré et plus organisé.

-Les politiciens traditionnels, même quand ils s’entre-déchirent pour se situer le plus près possible du Palais national, se sont, en général, alignés aveuglément sur le néolibéralisme, donc sont prêts à se soumettre aux dictats des bailleurs de fonds internationaux. Le panorama latino américain a appris aux dépens de ces derniers que cette classe dirigeante antinationale ne conservera pas indéfiniment le pouvoir. Il suffit que la gauche révolutionnaire montante sorte de sa timidité, devienne plus agressive sur les terrains de lutte politique et idéologique et s’engage davantage au sein des masses pour réorienter notre avenir.

Les États-Unis se signalent pour avoir droit à la part du lion

Sans sourciller sur les erreurs qu’elles ont commises en validant les fraudes qui ont porté le président Martelly et la grande majorité des législateurs au pouvoir, les grandes puissances occidentales continuent à s’engluer avec la même arrogance dans nos affaires internes grâce cependant à la complicité de la plupart des politiciens traditionnels, qu’ils soient perchés au pouvoir ou qu’ils rôdent autour du pouvoir. Il revenait à l’ambassadeur américain, M. Kenneth Merton, de hisser M. Martelly de la troisième place à la deuxième lors du premier tour des élections de novembre 2010 pour le déclarer gagnant du deuxième tour. Le tort n’incombe pas uniquement aux actuels dirigeants et dirigeantes. Ils ont hérité d’un système duquel ils sont incapables de se détacher puisqu’ils participent de la même famille idéologique antipopulaire. Dans bien des domaines, le président Martelly ne fait que relayer les décisions et les dispositions du président Préval dont le pouvoir n’était qu’une simple continuation de celui de ses prédécesseurs. Le président Préval n’y a ajouté que son cynisme conservateur.

C’est dans la perspective de se réserver la part du lion que l’ambassadrice des Etats-Unis, Mme Pamela White, accompagnée de la chef du cabinet de l’ex-secrétaire d’État, Mme Hillary Clinton, s’est rendue une autre fois le mercredi 6 février dernier au Parlement. Sous le sempiternel prétexte d’une visite de courtoisie, elles ont réuni sans aucun avis préalable le président du Sénat, M. Simon Dieuseul Desras et celui de la Chambre basse, M. Jean Tolbert Alexis pour exiger d’eux l’organisation des élections relatives aux Collectivités territoriales et au renouvellement du tiers du Sénat. Ces deux principaux tenants d’un pouvoir aussi puissant et prestigieux de partout dans le monde que le pouvoir législatif, ne se sont pas une seule fois demandé s’il leur aurait été possible d’exhiber un tel comportement au pays de ces diplomates. Pourtant, il existe bien dans le droit international le principe de la réciprocité en matière diplomatique ainsi que, bien sûr, le respect de la souveraineté des peuples et des nations. Le gouvernement américain, d’après les deux émissaires, dispose déjà de 15 millions de dollars pour réaliser ces élections. Celui qui délie le cordon de la bourse est automatiquement à l’anti-chambre de tous les pouvoirs. Le canadien Nigel Fisher, le représentant spécial par intérim du secrétaire général et chef de la Mission des Nations-Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINISTAH), avec le même irrespect, s’est présenté quelques jours après au Sénat de la République sans aucune invitation, ni demande de visite, pour passer des ordres à des gens que le peuple a choisis pour le représenter au sein du pouvoir législatif. Les nouveaux commandeurs, pleins de leur outrecuidance, ne s’embarrassent désormais d’aucune formule de bienséance pour étaler leur prédominance.

Immédiatement après l’ingérence de ces personnalités étrangères, les deux chambres haute et basse se sont accordées sur une formule pour former une commission ayant pour tâche de choisir les trois autres personnes pour compléter les neuf membres du Collège Transitoire de Gestion du Conseil Électoral Permanent. Le blocage qui portait sur le nombre de députés et de sénateurs éligibles à cette fin s’est fissuré suite à un compromis vite trouvé. C’était, en réalité, pour ouvrir une porte et pour la refermer immédiatement, car les neuf députés et les huit sénateurs choisis n’arrivent pas à s’entendre sur la façon de faire fonctionner cette délégation bicamérale.

S’agirait-il d’une contradiction de notre part en parlant de l’obéissance et de la résistance d’une même équipe face aux mêmes contraintes extraterritoriales ? Comment y voir clair dans cet imbroglio qui semble se corser davantage ?

En politique, l’intérieur reste en définitive déterminant en dernière instance

La dénonciation du sénateur Jean William, l’un des membres de la nouvelle commission bicamérale, a mis à nu l’existence d’au moins deux camps dont l’un défend la position du chef de l’État en cherchant à protéger ses propres ambitions en vue des prochaines joutes électorales, et l’autre compte offrir, avec une certaine naïveté certes, à la nation des élections plus ou moins crédibles. En dépit de toute leur incongruité, les diplomates ne parviennent pas à étouffer les divergences entre les différents acteurs et actrices sur le terrain malgré leur soumission, car en matière politique, les intérêts personnels jouent en général un poids considérable et c’est le national qui obtient le dernier mot. D’après la loi de la dialectique, l’intérieur reste en définitive déterminant sur l’extérieur en dernière instance. Pour forcer cette loi, l’international adopte des mesures drastiques lorsque ses besoins égoïstes se font vraiment sentir. Est- ce aujourd’hui le cas ? Non. Ces divergences ne relèvent que d’une simple contradiction secondaire entre les locaux et les internationaux. En plusieurs occasions, par exemple, l’ex président sanguinaire François Duvalier a tenu tête aux présidents américains Dwight D. Eisenhower et John F. Kennedy dans l’objectif de se protéger et protéger sa dictature en sachant bien que les divergences secondaires n’étoufferont pas les convergences politiques et idéologiques. C’est la même logique qui retient les deux parties aujourd’hui sur la voie à suivre pour la réalisation et la qualité des prochaines élections.

Les résultats définitifs dépendent de l investissement populaire

Les difficultés qui entravent la marche ascensionnelle de la nation haïtienne ne sont pas d’ordre conjoncturel comme plus d’un ont l’habitude de le dire. Elles ont emprunté des formes différentes, si nous voulons nous situer historiquement en février 1986 avec le départ physique du duvaliérisme, pour en conserver le fond structurel. Avec l’occupation déclarée, la situation a empiré et a atteint le stade d’une aporie qui durera longtemps même après que l’on aura trouvé des solutions pour l’organisation des prochaines élections. Ces dernières n’étant que la pointe de l’iceberg, les solutions artificielles et superficielles resteront passagères tant et aussi longtemps que les masses populaires ne s’investiront pas consciemment dans la lutte active pour mettre fin à toutes les manœuvres politiciennes qui se tissent en leur nom. L’urgence de la construction du « Camp du Peuple », « Kan Pèp La » se fait sentir avec plus de force. Le secteur progressiste et révolutionnaire doit reprendre sa militance des années fascistes de 1957 à 1986 auprès des masses rurales et urbaines pour les aider à rehausser leur conscience politique. Il s’avère nécessaire de combattre la folle idée de se croiser les bras en attendant l’ère libératrice puisque pour bon nombre de personnes, le pays ne peut plus aller plus bas. Cette ère ne s’instaurera jamais toute seule si l’on veut croire en cette pensée de John Milton : « Sous le plus profond des abîmes, il y a un abîme plus profond encore ». [1]

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[1] John Milton : ‘’Le paradis perdu ». Citation tirée de La Nouvelle Gazette Rhénane de K. Marx et de F. Engels. Tome2 P.181