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L’aide humanitaire canadienne au service des minières – Ça n’a rien à voir avec le pillage et l’extorsion

Les changements apportés à l’ACDI font partie d’une série de mesures prises par le gouvernement canadien ainsi que par les entreprises afin de faire taire l’opposition largement répandue face à l’exploitation brutale et la destruction de l’environnement dont sont synonymes les projets miniers.

Les populations touchées par ces projets accusent les grandes sociétés minières canadiennes d’assécher leurs rivières et de contaminer leurs eaux, de causer des problèmes de santé (maladie de peau, cancer, problèmes respiratoires), d’offrir de mauvaises conditions de travail et de payer peu de redevances minières aux gouvernements locaux malgré leurs profits faramineux. Cette opposition, qui prend souvent la forme de conflits violents, menace les opportunités de profits des grandes sociétés canadiennes qui sont parfois forcées d’annuler ou de reporter des projets.


En Afrique du Sud, deux mineurs en grève sont morts lors d’affrontements violents survenus près d’une usine de traitement appartenant à Forbes & Manhattan Coal, une compagnie basée à Toronto. La grève à laquelle participaient ces mineurs faisait partie du large soulèvement des mineurs en Afrique du Sud de l’automne 2012 suite au massacre de plusieurs dizaines d’entre eux à la mine de Marikana. Les mineurs réclamaient de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.

Devant plusieurs chefs d’entreprises réunis à l’Economic Club of Canada, le ministre canadien de la Coopération internationale, Julian Fantino, a décrit l’ACDI comme un «outil» pour «aider les entreprises commerciales à l’étranger». Faisant l’éloge de l’économie capitaliste, il a déclaré que le travail de cette agence canadienne «consiste principalement à aider les pays en développement à créer les conditions propices pour mettre des capitaux à la disposition des entreprises».

Officiellement, la raison d’être de l’ACDI est le financement de l’aide humanitaire et des projets de développement à long terme visant à réduire la pauvreté. Cependant, l’aide au «développement international», dans laquelle l’ACDI joue un rôle prééminent, a toujours été une arme parmi d’autres dans l’arsenal de la politique étrangère canadienne. Non seulement l’ACDI peut aider les compagnies canadiennes à s’implanter à l’étranger et à faire du profit, mais, de manière plus large, elle sert à étendre l’influence géopolitique de la bourgeoisie canadienne à travers le monde.

«L’ACDI peut contribuer à renforcer la capacité de négocier avec d’autres pays, de mettre en œuvre des accords commerciaux internationaux avec le Canada et d’autres partenaires, et aider les entreprises à profiter de ces accords. Et nous le ferons de plus en plus à l’avenir», a déclaré le ministre Fantino devant l’Economic Club.

Quand Fantino parle de créer des «conditions propices» ou d’«établir les cadres législatifs et réglementaires nécessaires» pour que les entreprises canadiennes puissent investir, cela signifie concrètement que l’ACDI doit mettre l’accent sur la promotion des privatisations et les dérèglementations et aussi dissuader les gouvernements concernés à nationaliser des parties de leurs économies. Du point de vue des entreprises canadiennes, de telles politiques sont vitales pour faire fructifier leurs bilans financiers, même si cela a des conséquences dévastatrices sur les conditions sociales de ceux qui habitent là où ces entreprises s’implantent et sur l’environnement.
Et Fantino a annoncé que l’Agence exigera dorénavant des ONG qu’elle finance d’entrer dans des partenariats avec les entreprises canadiennes à l’étranger.

«Et, bien que l’Agence ait de longs antécédents de travail avec des organisations du secteur privé, qui agissent à titre d’agents d’exécution, elle doit en fait collaborer davantage avec elles», a affirmé Fantino. Il a rajouté que les partenariats qui existent déjà entre des ONG financées par l’ACDI et des compagnies minières canadiennes devraient être des «modèles» pour de futurs projets de développement.

Le Canada occupe une place importante au niveau international dans l’industrie minière. Il est un des principaux producteurs de plusieurs minerais, comme la potasse, les minerais de fer, le nickel, le cuivre, l’uranium, l’or, les diamants et le charbon. De plus, le Canada est le siège de nombreuses entreprises d’exploration ainsi que de grandes sociétés minières telle Barrick Gold, le plus important producteur d’or dans le monde. Le Canada est aussi un joueur clé pour le financement de l’industrie minière mondiale qui y trouve le capital de risque nécessaire à ses projets d’exploration minérale.

L’industrie minière canadienne occupe une place de plus en plus importante dans les investissements directs canadiens à l’étranger. De 2001 à 2011, la part des investissements directs canadiens à l’étranger visant le secteur minier est passée de 11,8 pour cent à 18,8 pour cent. De 2006 à 2011, la valeur totale de ces investissements a presque doublé, passant de 23,8 milliards à 45,3 milliards de dollars.

Ces investissements ont rapporté d’énormes profits à la bourgeoisie canadienne. GoldCorp, une importante société aurifère canadienne, a enregistré un bénéfice de 498 millions de dollars pour le troisième trimestre de 2012. Barrick Gold a enregistré un bénéfice de 618 millions de dollars pour le même trimestre, malgré une baisse de 55 pour cent de son bénéfice. L’ancien PDG de Barrick, Aaron Regent, a gagné 9,2 millions de dollars en 2011. Selon une étude du Centre canadien de politiques alternatives, sur les 100 PDG les mieux payés au Canada, 19 œuvrent dans le secteur minier.

Le tournant de plus en plus marqué de l’ACDI vers des collaborations ouvertes avec les grandes multinationales canadiennes a suscité de vives réactions chez plusieurs intervenants qui travaillent dans le domaine de la coopération internationale.

Stephen Brown, un enseignant en développement international à l’Université d’Ottawa a dit que les projets de développement qui impliquent les sociétés minières reviennent à une subvention déguisée pour ces sociétés. «C’est de l’argent qui est utilisé pour obtenir et maintenir l’accord des communautés afin que les compagnies minières puissent continuer de faire leurs opérations», a dit Brown. «Cela doit faire partie des calculs financiers [des entreprises] et non du budget de l’ACDI.»

Les dernières annonces du ministre ainsi que des coupes de 319 millions de dollars sur les trois prochaines années auxquelles fait face l’ACDI laisseront encore moins de marge de manœuvre aux ONG financées par l’ACDI pour se consacrer à autre chose que des partenariats avec la grande entreprise canadienne.

Répondant aux vives réactions à son discours sur les changements apportés à l’ACDI, Fantino a déclaré : «Ça n’a rien à voir avec le pillage et l’extorsion». Vraiment ?
Selon le Groupe de recherche de l’Université McGill sur l’activité minière du Canada en Amérique latine (en anglais, MICLA), il y a environ 200 mines canadiennes en activité à tout moment en Amérique latine. Depuis la fin des années 1990, ce groupe a recensé 85 sites miniers où un conflit est survenu entre la population locale et l’entreprise minière.

Un exemple typique est celui de la mine San Martin au Honduras. La compagnie canadienne GoldCorp a exploité cette mine d’or pendant près de 10 ans avant de la fermer en 2008. Lorsque la mine a ouvert, la compagnie a pu faire accepter le projet aux cultivateurs locaux en promettant emplois et nouvelles maisons pour ceux qui habitaient là où l’extraction de l’or devait se faire.

Rodolfo Arteaga, un ancien travailleur de la mine qui avait vendu son cheptel pour y travailler, a affirmé : «Pendant des années, j’ai bu de l’eau contaminée par les métaux lourds. Des tests ont révélé que j’avais des niveaux élevés de plomb et d’arsenic dans le sang.» Le docteur Juan Alemendarez, ancien doyen de la faculté des sciences médicales de l’Université nationale autonome du Honduras, tient une clinique dans la Vallée de Siria, là où se trouve la mine San Martin, maintenant abandonnée. Il rapporte que la proportion de patients qui vont consulter pour des maladies de peau est passée de 10 pour cent à 70 pour cent en quelques années. Il ajoute : «Les gens nous consultent aussi pour des pertes de cheveux, des démangeaisons, des irritations aux yeux. Et ça, c’est parce qu’ils ont bu et se sont lavés avec cette eau contaminée par la mine.»

Le Groupe de recherche de McGill rapporte qu’en 2009, les carcasses de 24 bovins ont été retrouvées près des pâturages entourant la mine, empoisonnés par l’eau contaminée. De plus, au moins 15 des 18 cours d’eau fournissant l’eau potable aux différents villages ont été asséchés.

Les développements au Honduras reflètent ce qui se passe dans de nombreux autres pays d’Amérique Latine, d’Afrique et du monde entier, incluant au Canada. Tandis que la «prospérité économique» prétendument apportée par la mine est souvent mise de l’avant par la compagnie et les gouvernements des pays concernés pour faire accepter le projet minier à la population, l’impact sur l’agriculture et le bétail du manque d’eau et de l’empoisonnement de l’environnement forcent les habitants de la région minière à quitter leur région ou sinon à y laisser leur santé.
Les activités minières comme celles de GoldCorp ou d’autres compagnies minières au Honduras ont suscité une forte opposition parmi la population face à de futurs ou actuels projets miniers.

Aussi, le gouvernement Harper estime qu’en jumelant les ONG financées par l’ACDI avec les entreprises canadiennes, ces dernières pourront améliorer leur image et leur capacité à faire face à l’opposition qu’elles suscitent.
Pierre Gratton, le président de l’Association minière du Canada, a accueilli l’annonce du ministre. Il admet que les compagnies minières ont fait des «erreurs» dans le cadre de leurs projets de «responsabilité sociale des entreprises» et que les changements apportés par le ministre à l’ACDI permettront aux ONG de mieux aider les entreprises à remplir leurs «responsabilités sociales».
Un passage d’un article du 17 décembre du quotidien montréalais The Gazette montre bien ce que signifie vraiment cette «responsabilité sociale des entreprises» et comment les ONG peuvent aider à lui donner de la crédibilité.

«Telle est la contribution de Barrick à la construction de logement à Vallenar et Copiapó, en partenariat avec une ONG qui s’appelle Un Techo Para Chile (Un toit pour le Chili). C’est en grande partie en raison des activités minières, et de sa soif pour l’eau pendant les dernières décennies, que le bassin de Copiapó s’est asséché. (Produire une once d’or requiert en moyenne 6000 litres d’eau.)

Les fermiers qui ne sont plus capables de cultiver des raisins ou des mangues dans leurs villages affluent vers les villes à la recherche d’emploi dans le secteur minier, mettant de la pression sur les ressources immobilières et créant des bidonvilles. Mais maintenant que l’ONG a fait un partenariat avec Barrick, ça pourrait les rendre moins critiques de la compagnie et des activités minières en général.»

Pour Daviken Studnicki-Gizbert, un professeur d’histoire à l’Université McGill et aussi coordonnateur du MICLA, ce que les minières appellent «responsabilité sociale» est plutôt de la gestion de relations publiques. «Ça donne une aura de “nous nous soucions de vous” et de respectabilité à l’industrie sur des questions sociales et environnementales. Mais, la compagnie ne s’assoit jamais pour dire : “Voulez-vous une mine ici ? Ce n’est pas de la consultation. C’est de la performance.”

En plus des changements annoncés aux opérations de l’ACDI, le gouvernement Harper a pris d’autres mesures pour venir à la rescousse des sociétés minières canadiennes. En 2009, il a créé un bureau des plaintes pour les personnes à l’étranger qui sont affectées par les opérations des compagnies minières canadiennes et qui se nomme “Bureau du conseiller en responsabilité sociale des entreprises de l’industrie extractive”.

Doté d’un budget annuel de 650.000 dollars, cet organisme est destiné à aider les entreprises à l’étranger à implanter leur programme de “responsabilité sociale” et à régler des conflits qui surviennent. Jusqu’à maintenant, deux des trois dossiers ouverts suite à des plaintes étaient liés à des conflits impliquant des compagnies minières canadiennes en Amérique latine. Les deux dossiers ont dû être fermés, car les compagnies visées n’ont pas voulu coopérer.

L’automne dernier, le gouvernement Harper a annoncé l’allocation de 25 millions de dollars à même le budget de l’ACDI, pour la création de l’Institut canadien international pour les industries extractives et le développement. Le but de cet institut sera prétendument de renforcer “la capacité technique des gouvernements des pays en développement de mieux gérer et gouverner les industries extractives et d’en profiter”.
Le Canada peut bien être une puissance impérialiste de second rang, mais à l’instar de ses rivaux et alliés plus puissants, elle défend impitoyablement ses intérêts et s’organise pour que les gouvernements étrangers coopèrent avec elle.

Les changements apportés à l’ACDI sont liés à d’autres importants changements dans la politique étrangère canadienne, incluant une vaste expansion du militarisme canadien lors des deux dernières décennies. Ces changements reflètent une compétition mondiale de plus en plus féroce et l’exemple de l’industrie minière montre que les éltites canadiennes n’hésitent pas à employer tous les moyens à sa disposition pour défendre ses intérêts prédateurs.

Louis Girard