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Mes responsabilités de Recteur me donnent, pour la deuxième fois, au cours de ce quinquennat, l’opportunité de porter la parole dans la cité de notre bicolore, au nom de l’Université d’Etat d’Haïti, la plus grande et la plus ancienne institution d’Enseignement supérieur du pays.
J’éprouve le même sentiment de l’an dernier devant la portée magnanime de ce symbole. Notre drapeau charrie à travers le temps et les générations successives le rappel pathétique de nos souffrances, de nos luttes, et de cette décisive victoire qui a consacré notre existence de peuple libre.
Ce symbole matérialise, à jamais, le principe consensuel qui forme la fondation sur laquelle s’est érigée la naissance non seulement de cette nation, mais également celle de bien d’autres dans les Amériques.
Nous sommes, en ce 18 mai 2012, réunis ici à l’Arcahaie pour cet historique pèlerinage de célébration et de commémoration des plus hautes valeurs humaines, mises en évidence par l’action de nos ancêtres. La bravoure, la transcendance d’intérêts particuliers, la solidarité et l’union, autant de concepts que nous avons hérités et dont il faut reprendre le culte pour dynamiser nos démarches de sortie de crises et inverser le rythme de la destruction physique et morale de notre société.
L’association de la fête de l’Université à celle du drapeau fut un arrimage spécial, conçu par M. Dantès Bellegarde, ministre de l’éducation du temps de la première occupation américaine.
Et, la première fête de l’Université associée à celle du drapeau eut lieu en 1920, suite à cette décision du Ministre de l’Éducation de porter le gouvernement à publier le décret qui a consacré ce jumelage. Il fallait à l’époque entreprendre de préserver et de signifier à la jeunesse l’extraordinaire grandeur de cette valeur fondamentale sur laquelle repose notre société, la création du drapeau.
La création de notre bicolore renvoie à travers le temps le symbolisme fort de l’unité d’action révolutionnaire qui va faire triompher notre lutte pour la liberté. La naissance de notre société libre (1804) va changer la face du monde colonial et esclavagiste. Haïti, fière et généreuse va exporter ses idées et méthodes, en participant dans de nombreux pays du continent américain à la suppression de cette barbarie initiée et imposée par les colons européens.
En revisitant ce passé de gloire, on se rend compte que les adversaires, de toutes natures, se sont organisées en un efficace système de blocage, pour détourner totalement la concrétisation de notre rêve d’égalité, de fraternité et de solidarité (c’était de l’internationalisme avant la lettre). De nombreux travaux de recherches historiques ont mis en évidence ces menées perverses.
Notre pays vit aujourd’hui sous un régime spécial d’occupation étrangère qui justifie sa légitimité par notre appartenance aux Nations Unies. Une souveraineté mise à mal, avilie et bafouée. Cette occupation de fait, tant qu’elle dure, constitue un handicap sérieux à la mise en commun des idées des différents groupes de notre société. Le rôle d’arbitre lourdement armé des occupants attise nos difficultés, en raison de la durée, de puissants intérêts sous jacents à leur présence et le cortège de malheurs qu’ils engendrent. (Criminalité, propagation de maladie, jusque là inconnue chez nous).
Eu égard à la mission confiée à l’Université haïtienne d’être l’institution où le culte des valeurs de base de notre existence de peuple doit être rappelé, enseigné et célébré, il nous revient de lancer l’appel à leur récupération, l’appel au recouvrement de notre souveraineté nationale
La souveraineté est un acquis, un bien essentiel dans la mise en œuvre et la matérialisation d’actes de changements de condition sociale et culturelle, de rapports avec autrui et d’autres peuples. La société haïtienne ne peut pas avancer vers l’émergence de solutions à ses malheurs dans cette situation de dépendance aveugle.
De nos jours, même quand on parle d’interdépendance, cette interdépendance ne doit pas remettre en question les bases, les valeurs et les fondements d’une nation.
Les Universitaires haïtiens n’ont jamais cessé de produire des études sur des alternatives pour la concrétisation de nos idéaux majeurs. Une pensée existe, elle s’articule et s’harmonise. Il faut reconnaître que dans certaines circonstances, elle s’exprime de manière tonitruante. Mais elle est l’expression d’un dynamisme qui traduit sa vivacité et la nécessité d’une prise en compte de nos responsabilités citoyennes.
La souveraineté s’entend comme une ferme reprise en main par l’État-nation d’un ensemble de leviers de commande des affaires nationales, en terme :
– d’orientation générale de l’administration, de sécurité, de luttes affirmées contre les dérives
– d’une politique publique qui se réfère à des accords entre des forces institutionnelles reconnues, (groupes organisés, syndicats, associations professionnelles, cultes, etc.)
Bref, un ensemble d’initiatives courageuses capables de sortir nos institutions du carcan d’un sectarisme démobilisateur et finalement suicidaire.
Il revient à l’université de former des cadres compétents possédant le savoir et le savoir-faire pour agir, des cadres honnêtes, conscients de leur responsabilité citoyenne et du respect de la res publica en vue d’utiliser de façon efficace et avec équité les faibles ressources de ce pays.
Pour réussir la démarche de reconquête de notre souveraineté, la recherche, l’innovation et l’enseignement universitaire adapté doivent constituer les leviers de prise en main de notre avenir de peuple. Ces paramètres doivent être l’objet de considérations particulières de la part des responsables de la gestion de l’Etat.
De son côté, l’université doit chercher à générer les connaissances, et les techniques productrices de richesse pour créer une nation forte et prospère au service de tous et de la communauté dans son ensemble.
Une formation supérieure bien cadrée et bien orientée demeure un facteur important pour relancer nos pulsions patriotiques, rassembler l’expression des volontés, en vue de sortir le pays de cette impasse. Une université mobilisée pour une cause aussi noble et munie de moyens appropriés est un gage de réussite.
La marche pour la souveraineté, pour un lendemain meilleur, s’accompagne de multiples révisions de mesures de politiques imposées par les grandes institutions internationales et qui n’ont pas donné de résultats escomptés. Les réformes économiques, les privatisations, les fermetures d’entreprises, l’austérité mal orientée ont contribué à détruire le tissu social. Elles ont généré des crises et contribué à entretenir le climat d’instabilité actuelle.
Notre Université est donc interpellée. Elle attend d’être sollicitée et d’être assignée à des tâches qui relèvent de sa mission définie par notre charte constitutionnelle.
Etudiants, professeurs, serrons les rangs pour une université forte, autonome et indépendante pour la sauvegarde des valeurs culturelles, scientifiques et techniques et pour lutter contre l’archaïsme, les traditions sclérosantes et l’aliénation.