Le Cercle d’Etude en Littérature Gramscienne (Sèk Gramsci en créole) a organisé, le jeudi 12 janvier dernier dans les rues de Port-au-Prince, un spectacle ambulant de théâtre populaire pour rendre hommage à la mémoire du professeur Jn Anil Louis-Juste, assassiné à la meme date en 2010.
Partie de la faculté des Sciences Humaines (avenue Christophe), la troupe a donné des prestations à des points précis : Angle des rues La fleur du Chêne et Capois (le lieu du crime), Mémorial du 12 janvier 2010 au cimetière de Port-au-Prince (rue Mgr Guilloux), la Faculté des Sciences, l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti, la faculté d’Ethnologie, Carrefour ti four, Angle des rues Roy et Christophe.
Dans un récital de textes poétiques engagés, de chansons populaires, des « chante pwent » (chants allusifs), les artistes, accompagnés de plus d’une centaine de participants ont dénoncé le processus de reconstruction, l’ « occupation » du pays, et l’attitude du pouvoir en place.
Pour Bern Louissaint, acteur de la troupe culturelle gramscienne, « c’est une dette et un engagement envers la mémoire du professeur » qui justifie la marche-théâtre à « un moment où le peuple est tombé aveuglément dans les pièges de l’illusion populiste » marqué aussi par « une guerre, une chasse contre les intellectuels critiques dans le pays ».
« Par cet initiative nous voulons signifier que les appauvris d’Haïti demandent justice. Justice pour Jn Anil Louis-Juste. Justice pour toutes les victimes de l’Etat grandon-bourgeois, pour utiliser un concept forgé par le professeur pour qualifier l’Etat haïtien », précise Jean-Baptiste.
« Sèk Gramsci » est une organisation d’étudiants et d’étudiantes basée à la Faculté des Sciences Humaines. Elle est plutôt connue pour ses prestations de théâtre populaire.
Le théâtre populaire est une forme de résistance prenant parfois la l’allure de manifestation, née dans les milieux défavorisés. C’est un theatre qui porte la marque des revendications sociales, économiques et politiques des classes populaires, et dans le lequel le spectateur est aussi un acteur.
La scène : la rue ; la pièce : les revendications du peuple
Vêtus de toges noires, certains, visages grimés en blanc, ils ont parcouru plusieurs rues de la capitale en criant « justice pour Anil ! Justice pour les victimes du 12 janvier ! », dénonçant le pouvoir en place et son « populisme masquant un autoritarisme à peine voilé »
« Certes la terre a tremblé. Mais c’est l’Etat bourgeois qui a tué nos trois cents mille compatriotes », crie un diseur de la troupe.
Les mots n’ont pas été des plus tendres pour dénoncer les maux apportés, selon eux, par Bill Clinton, co-président de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haiti (CIRH), la mission de maintien de la paix des Nations Unies et la présidence de Michel Martelly.
« Palais national laboratoire du suicide. Remacoutisation de la présidence. Présidence des criminels, résidence des criminels », scandent les acteurs devant l’école normale près du palais national.
Enervé par ces propos, un policier de l’Unité de Sécurité Générale du Palais National menace le journaliste d’AlterPresse photographiant les restes du palais. « Je peux démolir ton appareil si tu continues », lâche-t-il.
« Liberté de presse ? Tu parles », lance un étudiant.
Des acteurs de la bibliothèque Justin Lhérisson de Carrefour et de la troupe « Planch sou do » ont apporté leur collaboration dans ce spectacle de rue.
Au champ de mars, la troupe a profité pour jouer une scène parodiant le bouillon populaire et la distribution des motocyclettes réalisés par le président de la République pendant les fêtes de fin d’année 2011.
« Un avion ou un bateau s’il vous plait Son Excellence », crie un acteur à un autre lui répondant « tu ne pourras acheter le carburant ».
Rappelant qu’il a accompagné le « visionnaire », « l’internationaliste » Louis-Juste, le coordonnateur de la Faculté des Sciences Humaines, Hancy Pierre, est très critique envers la justice haïtienne.
« Que la justice soit muette sur la mort d’un citoyen ayant pointé du doigt les questions fondamentales de la société d’exploitation telles la souveraineté nationale, l’émancipation des travailleurs, c’est compréhensible », estime t-il.
Sur Jn Anil Louis-Juste
Intellectuel militant, dessalinien révolutionnaire, Ingénieur-agronome, docteur de l’Université Fédérale de Pernambouc (Brésil), le professeur a publié plusieurs ouvrages sur la question paysanne, l’éducation haïtienne, la société civile, entre autres.
Il a forgé plusieurs concepts très utilisés dans la littérature de la gauche haïtienne : « grandon-bourgeois, servo-capitalisme haïtien, Internationale Communautaire, prince auto-dominé. Il a plaidé pour « une école écologique de citoyenneté pleine ».
Jusqu’en 2004, il a été l’un des plus prolifiques contributeurs d’AlterPresse à la rubrique Alterforo.
A la faculté des Sciences Humaines, il a donné son temps pour encadrer et accompagner un grand nombre d’étudiants et d’étudiantes dans leurs travaux de recherches.
Seulement au cours de l’année 2009, plus d’une cinquantaine d’étudiants et d’étudiantes ont travaillé sous sa direction.
Comme militant de gauche, il a contribué à la mise en place de plusieurs associations dont le Mouvman Demokratik Popilè (MODEP), le Cercle d’Etudes en Littérature Gramscienne (Sèk Gramsci), du Sendika Travayè Anseyan Inivèsitè (STAIA), de l’Asosyasyon Kominikatè ak Kominikatèz Popilè (AKP) et de l’Asosyasyon Inivèsitè ak Inivèsitèz Desalinyèn (ASID) dans laquelle il a milité activement jusqu’à son assassinat.
Jn Anil Louis-Juste a été assassiné le 12 janvier 2010 à la rue Capois par des hommes armés à moto alors qu’il venait de dispenser un cours d’animation sociale à la Faculté des Sciences Humaines où il travaillait comme professeur depuis 1999.
Source: Alterpresse