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Agir collectivement pour le travail décent dans les zones franches : le cas d’Haïti

Le 10 novembre dernier, le CISO a convié ses membres et sympathisants à un séminaire fort intéressant
sur la question des zones franches en Haïti, en lien avec les lois HOPE et HELP mises en place en Haïti
depuis 2006. De passionnants intervenants y ont livré leur vision et leurs préoccupations quant aux
conditions de travail et de vie des travailleuses et des travailleurs, soulevant maintes questions chez les
participants. Ce séminaire a été réalisé en collaboration avec nos partenaires haïtiens : l’Institut culturel
Karl Lévêque (ICKL), la Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement alternatif (PAPDA), de
même qu’une organisation syndicale active dans les zones franches, Batay Ouvriye.


Les zones franches dans le monde : un phénomène en expansion

Les zones franches sont largement répandues sur la planète : en 2007, on en retrouvait environ 2700 et
contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est dans les Amériques qu’on en dénombre le moins. Les
zones franches sont des espaces juridiques spéciaux et sont le résultat de politiques visant à favoriser
l’établissement d’entreprises sur des territoires donnés en contrepartie de l’exemption de frais de
douane et autres privilèges fiscaux. L’obligation d’exportation n’est pas toujours présente et il est faux
de croire que les zones franches sont des lieux de dérogation aux codes nationaux du travail. Lorsque les
lois du travail ne sont pas respectées dans une zone franche, cela n’est pas légal et reflète plutôt le nonrespect
des lois du travail dans le reste du pays.

Ainsi, les enjeux liés aux zones franches dans les pays du Nord sont différents de ceux présents dans les
pays du Sud. En effet, dans les pays dits développés, c’est souvent afin de relancer son économie qu’un
État exemptera une partie de son territoire administratif du régime douanier et fiscal. À l’opposé, dans
les pays du Sud, c’est plutôt la main‐d’oeuvre à bon marché qui attirera les investisseurs, dans le contexte
d’une production destinée avant tout à l’exportation. Le pays hôte verra ainsi sa main d’oeuvre employée
à bas coûts dans des conditions de misère sans bénéficier de retombées économiques significatives.

Le cas d’Haïti : les lois HOPE et HELP

Depuis l’occupation militaire de son territoire par les États‐Unis en 1915, Haïti est peu à peu devenu un
fournisseur de main‐d’oeuvre à bon marché dans le bassin des Caraïbes. Actuellement, le salaire
minimum y est le moins élevé de la région et on a assisté dans les quarante dernières années à une
explosion du nombre de travailleuses et de travailleurs dans les usines de sous‐traitance haïtiennes. Ce
secteur, reconnu pour les mauvaises conditions de travail qu’il offre aux salariés, représente aujourd’hui
8% de l’emploi formel dans le pays. Environ 70% de la main‐d’oeuvre qui y travaille est de sexe féminin.
Le secteur de la sous‐traitance en Haïti est surtout orienté vers la production bas de gamme et il est axé
sur l’exportation. Il n’y a pas d’intégration de ce secteur avec les autres pans de la vie économique
haïtienne, donc peu de retombées significatives pour la population, autre que le salaire gagné de peine
et de misère.

Dans ce contexte, les États‐Unis ont passé depuis les années 2000 une série de lois visant à favoriser
l’exportation de produits haïtiens vers les États‐Unis : HOPE 1 (2006), HOPE 2 (2008) et HELP (2010). En
principe, ces lois doivent contribuer au respect des normes fondamentales du travail telles que définies
par l’Organisation internationale du travail (OIT). Cependant, de nombreuses organisations haïtiennes
dénoncent les évaluations superficielles menées par le programme Better Work, coordonné par le
Bureau international du travail (BIT). Et plus largement, on remet en question les autres conditionnalités
associées à ces lois, dont l’élimination des obstacles à la rentrée de capitaux et de produits américains en
Haïti, la libéralisation du secteur financier et la privatisation des entreprises publiques haïtiennes.

Cette manifestation du néolibéralisme est également à mettre en contexte avec la reconstruction du
pays : on ne peut donc passer sous silence le rôle joué par la Commission intérimaire pour la
reconstruction d’Haïti. Ainsi, la lutte pour le travail décent dans les zones franches et les usines de soustraitance
haïtiennes est aussi une lutte pour mettre fin à l’occupation militaire et récupérer la
souveraineté nationale.

Les défis de la syndicalisation pour les ouvrières et ouvriers en Haïti

Comme à bien des endroits sur le globe, un problème d’antagonisme entre les classes sociales sévit en
Haïti. La bourgeoisie, d’origine étrangère, porte un regard méprisant aux ouvrières et ouvriers locaux
auxquels elle n’attribue même pas le statut d’être humain. Il est fort ardu, dans cet environnement
répressif et autoritaire, d’amener la classe prolétaire à se regrouper pour faire valoir ses droits.

L’expérience démontre que les tentatives de syndicalisation se soldent souvent par un licenciement des
membres actifs. Comment, dans un pays où le taux de chômage frôle les 70%, convaincre les gens, et
tout particulièrement les femmes, de l’utilité de se regrouper? La ténacité et le travail rapproché sur le
terrain sont sans conteste une partie de la réponse. Les travailleuses et travailleurs des zones franches
sont graphiquement isolés et souvent peu scolarisés. Il importe donc de favoriser la création de centres
d’information et de formation décentralisés. Il faut jongler avec la mauvaise foi des employeurs, les
horaires surchargés des ouvrières et ouvriers, leurs obligations religieuses et familiales, ainsi qu’avec la
crainte omniprésente de représailles.

Yannick Étienne, du syndicat Batay Ouvriye, a identifié diverses pistes d’actions solidaires pour appuyer
les travailleuses et les travailleurs d’Haïti, soit :

• Se tenir informé sur le développement des luttes;

• Prendre contact avec des organismes locaux qui agissent sur le terrain;

• Participer à des campagnes de lettres et de dénonciation;

• Faire parvenir des lettres de protestation au Ministère du Travail et des Affaires sociales d’Haïti;

• Faire pression sur Better Work, financé notamment par le Canada, par l’entremise de Ressources
humaines et développement des compétences Canada (RHDCC);

• Inciter les compagnies canadiennes à s’assurer de conditions de travail décentes chez leurs soustraitants.

L’action syndicale internationale : une piste d’action à explorer!

Dans ce contexte, il importe de tirer la conclusion suivante : les mesures syndicales, sociales et politiques
prises pour améliorer les conditions des travailleuses et travailleurs dans les pays du Nord ne peuvent
être transposées telles quelles aux pays du Sud. Par exemple, la croissance importante de l’économie
informelle pose des défis uniques aux organisations syndicales des pays du Sud, auxquels elles seules
peuvent répondre. Le mouvement syndical international se doit donc de s’adapter à ces réalités sans
tenter de gommer les différences historiques, culturelles et économiques entre les mouvements
syndicaux du Nord et du Sud.

Dans le cas précis d’Haïti, il importe également de valoriser les alliés naturels des organisations
syndicales, c’est‐à‐dire les autres membres de la société civile et de s’attaquer aux enjeux locaux et
nationaux d’abord. En effet, la lutte pour la souveraineté nationale est importante, car c’est seulement
ainsi que le mouvement syndical haïtien pourra se positionner comme un acteur social.

Conclusion

C’est une lutte de longue haleine que mènent les mouvements sociaux et syndicaux du monde entier.
Pour qu’un jour, chaque être humain se voie reconnaître ses droits à part entière, il importe d’ouvrir le
dialogue à tous les échelons, de prendre conscience des marges idéologiques, techniques, financières et
juridiques entre les protagonistes de l’international et le peuple. Il faut, chaque fois que l’opportunité en
est donnée, répandre l’information pour mieux agir.

S’INFORMER. S’ALLIER. DÉNONCER!