Près d’un mois après la prise de fonctions du nouveau président Michel Martelly, comment se présente la situation politique en Haiti ? Deux textes soumis à AlterPresse par Marc-Arthur Fils-Aimé [1] fournissent des éléments de réponse à cette question. Suit une première analyse axée sur l’imbroglio constitutionnel qui s’installe avec le processus d’amendement controversé de la loi-mère
Le 14 mai dernier, l’Assemblée Nationale, composée des membres du Sénat et de ceux de la Chambre basse, a investi M. Michel Joseph Martelly comme le 56e président de la République. Si ce passage de pouvoir d’un président élu à un autre, sans tenir compte de la façon dont cet exercice de souveraineté populaire s’était déroulé, est rempli de symbolisme pour la démocratie représentative, il n’est pas le seul à retenir l’attention des citoyennes et des citoyens haïtiens et celle des observateurs internationaux. Parmi tant d’autres, nous jugeons que le processus de l’amendement de la Constitution mérite une réflexion sérieuse. La raison est simple, vu le rôle d’une Constitution dans la marche institutionnelle d’une nation.
En effet, dans la Constitution de 1987, en phase de révision, est censée concentré le projet républicain qui tentait de répudier non seulement la dictature presque trentenaire des Duvalier, mais toutes celles éventuellement à venir. Cette Constitution a, d’une part, raté sa vocation en s’attardant trop sur la forme surannée du duvaliérisme alors que la dictature comme méthode de gouverner est polymorphe. Celle des Duvalier n’en a été qu’une spécificité dans l’universalité. De multiples exemples à travers notre histoire de peuple ont précédé ou succédé le long règne du père et du fils présidents. D’autre part, la Constitution, étant un élément de la superstructure, n’est pas détachée de la structure qu’elle entend orienter. Qu’elle que soit la valeur démocratique de la Constitution de 1987, elle ne saurait nullement s’épanouir sur un système obsolète dominé par une oligarchie rétrograde, composée de capitalistes par leur idéologie, mais qui restreignent le développement de ce système par leurs pratiques prédatrices. La frontière dans ce cas-là entre le capitalisme et le féodalisme se révèle très ténue. C’est cette loi-mère qui est devenue en même temps l’idole et la bête malfaisante de ses principaux utilisateurs et utilisatrices. La volonté de l’amender n’a pas été soutenue seulement par le président Préval mais aussi par une large fraction de la classe politique traditionnelle. Cependant, l’ancien président n’aimerait pas le faire de n’importe quelle façon en négligeant ses propres intérêts et ceux de la fraction de classe hégémonique de son pouvoir.
Le texte officiel de la déclaration d’amendement paru dans le Moniteur, journal officiel de la République, du mardi 6 octobre 2009, n’est pas identique à celui qui a été voté lors de la dernière session de la 48e législature, selon certains parlementaires. On ne sait pas par quel compromis ou quelle compromission les nouveaux sénateurs et députés de la quarante-neuvième législature ont accepté de travailler sur cette publication officielle, écrite seulement en français, au mépris de la langue la plus parlée et la mieux comprise par toute la population haïtienne. Les Constitutionnalistes de 1987 ne se sont pas contentés de légaliser les deux langues, ils ont publié leur œuvre en créole et en français. L’amendement devrait suivre la même procédure. Ce non respect demeure déjà un accroc à un principe légalement reconnu en Haït et de ce fait, entache de nullité la déclaration d’amendement de la Constitution de 1987. En deuxième manche, l’amendement a été voté sous la pression du temps et sous la pression politique. Il est évident que les intérêts de la grande majorité ont été foulés aux pieds. Malgré tout, le texte envoyé pour publication, comme dernier geste politique officiel du président sortant René Préval, a subi une fâcheuse mutation entre le Parlement et la présidence ou entre celle-ci et les Presses nationales, l’imprimerie officielle de l’État haïtien, avec plus d’une dizaine d’articles erronés, en plus des fautes de natures diverses.
Les dirigeants de l’administration n’ont pas encore renoncé à nager en eau trouble. Il suffit que leurs intérêts immédiats et égoïstes soient pris en compte. Le nouveau président ne semble pas trop s’inquiéter de ce malheureux jumelage où chacun peut utiliser l’un ou l’autre des deux textes selon la nécessité du moment. Le président Martelly a ouvertement dit que cette crise constitutionnelle ne le regarde pas. Sa priorité reste ‘’l’école gratuite pour tous les enfants et la sortie des gens des tentes ». La tendance qui semble surgir maintenant d’un compromis entre les différents acteurs est de publier le texte amendé par le parlement avec l’autorisation du nouveau président en conservant les mêmes signatures précédentes. Et si les signataires désistent en déclarant ne pas reconnaître leur signature sur un texte différent de celui qu’ils ont consigné ?
La classe politique traditionnelle haïtienne n’a pas encore renoncé – a-t-elle la capacité d’y renoncer un jour ?- à nager dans l’indécence et dans l’irrespect du grand public. Elle s’enlise dans l’institutionnalisation de l’impunité. Personne n’est encore accusée malgré l’énormité des fautes commises en cette matière. Il semble que dès que l’on entre dans ce cercle familial, on est automatiquement couvert par cet apophtegme : ‘’Les linges sales se lavent en famille ». Peu importe la cristallisation de la crise et le tort apporté au pays.
[1] Directeur de l’Institut Culturel Karl Levêque (ICKL)