Voilà un an à peine, nous nous sommes réunis à plus de cent cinquante gouvernements et autres acteurs internationaux au siège de cette Organisation pour contribuer significativement au relèvement et à la reconstruction d’Haïti après le tremblement de terre souffert par ce pays le 12 janvier 2010. La solidarité fut absolument louable, à s’en tenir aux déclarations.
En effet, le montant promis de neuf milliards de dollars pour la reconstruction, dont cinq à verser dans les deux premières années, plus les offres supplémentaires en nature, quoiqu’insuffisantes, traduisaient une volonté de coopération indéniable. Le principe déclaré de dégager cette aide selon les priorités du gouvernement haïtien, de façon à renforcer l’autorité de l’État, impliquait le respect de la souveraineté de ce pays si touché et des prérogatives de ses autorités gouvernementales.
Il semblait donc exister une volonté universelle de prêter de l’aide à cette nation héroïque, la première à avoir brisé le joug colonial et aboli l’esclavage sur le continent américain.
Mais ce qu’il est advenu depuis n’a pas été en accord, hélas, avec l’esprit qui avait régné à cette conférence du 31 mars 2010, alors que, pourtant, nombre de ce qu’on appelle « les principaux donateurs » continuent d’assigner des ressources exorbitantes à la guerre et à l’intervention militaire.
L’aide financière et matérielle promise, qu0iqu’insuffisante au regard de l’ampleur du problème, n’a pas été déboursée. La volonté du gouvernement haïtien n’a pas été respectée, non plus que ses priorités. La reconstruction d’Haïti envers laquelle nous nous étions tous engagés reste en attente.
Dans les mois qui ont suivi le terrible séisme, Haïti a été, semble-t-il, la proie des gouvernements des pays le plus puissants et industrialisés qui distribuaient leur aide, d’une manière arbitraire et arrogante, par le biais de leurs voraces compagnies et de certaines de leurs plus riches organisations non gouvernementales.
Les fonds et les ressources continuent de se canaliser en marge des programmes et du contrôle du gouvernement haïtien, ce qui conduit au gaspillage, à la corruption et à la satisfaction d’intérêts tout à fait marginaux ou sélectifs.
Cuba fait siennes les inquiétudes que les chefs d’État ou de gouvernement de la CARICOM ont exprimées dans le communiqué de leur Réunion intersessions du 26 février dernier, quand ils ont critiqué le Fonds de récupération et la Commission intérimaire de récupération d’Haïti et leurs méthodes de travail, et ont rappelé le respect dû aux priorités du gouvernement haïtien et l’insuffisance des ressources dégagées par rapport aux ressources promises.
Cuba a axé ses efforts sur le secteur qui peut avoir le plus d’impact, la santé publique, facteur clef de la durabilité et de la stabilité sociale d’Haïti.
En pleine coordination avec l’Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA) et selon les indications et priorités du gouvernement haïtien, nous avons œuvré inlassablement pour mettre en marche un programme de relèvement du système de santé national, dont la pierre de touche est de satisfaire aux besoins sanitaires des trois quarts de la population la plus nécessiteuse, aux moindres frais.
Du 12 janvier 2010 à ce jour, le bilan est le suivant : presque deux millions de patients traités ; plus de 36 000 interventions chirurgicales ; presque 8 500 accouchements ; plus de 465 000 personnes traitées par physiothérapie.
Nous avons prêté service dans vingt-trois hôpitaux communautaires de référence, dans trente salles de physiothérapie, dans treize établissements de santé, dans deux postes chirurgicaux ophtalmologiques et au Laboratoire de santé publique. Un Programme intégral d’hygiène et d’épidémiologie se déroule dans dix départements du pays.
Le programme de coopération promu par Cuba fait fond sur 1 117 coopérants sanitaires, dont 923 sont Cubains et 194 viennent d’autres pays, mais ont été diplômés à Cuba.
Les ressources apportées d’une manière solidaire et généreuse par le président de la République bolivarienne du Venezuela, Hugo Chávez Frías, ont été essentielles. Nous avons aussi œuvré étroitement avec le Brésil dans le cadre d’un accord tripartite avec Haïti.
Cuba a aussi reçu le soutien de plusieurs pays pour pouvoir exécuter ce programme de santé. La Namibie, la Norvège, l’Afrique du Sud, l’Australie et l’Espagne ont apporté, de pair avec des groupes de donateurs individuels, un peu plus de 3,5 millions de dollars.
Nous sommes prêts à travailler avec tout pays ou toute organisation qui, d’une manière rigoureusement humanitaire, en respectant le gouvernement haïtien et en pleine coordination avec lui, souhaiterait participer à la reconstruction et au développement de son système de santé.
Parallèlement, les médecins cubains ont dû faire face à une grave épidémie de choléra. Ils ont établi dans ce but 67 unités qui ont soigné plus de 73 000 patients, soit le tiers des patients traités dans le pays, et dont seuls 272 sont décédés, pour un taux de mortalité de 0,37 p. 100 inférieur de cinq fois à celui des autres institutions présentes en Haïti. Le traitement de tous ces patients a exigé du dévouement et de l’esprit de sacrifice, surtout la nuit. Durant ces soixante-dix-sept derniers jours, notre personnel médical et paramédical n’a enregistré aucun décès de cholérique.
Une nouvelle expérience, les Groupes d’enquête active « Au cœur de la sous-commune », a permis d’étudier presque un million et sept cents mille de personnes vivant dans des communautés ne disposant pas de services de santé et de diagnostiquer plus de 5 300 cas de choléra à domicile.
Si je vous donne ces chiffres, avec toute la modestie de notre peuple, c’est juste pour argumenter à partir d’exemples pratiques notre conviction qu’Haïti a besoin d’une aide substantielle et désintéressée, étroitement coordonnée avec le gouvernement, à même de contribuer à son développement et de lui permettre de surmonter les immenses difficultés et les clivages socio-économiques qui empêchent la stabilité du pays et le progrès de son peuple.
Haïti n’a pas besoin de force d’occupation, pas plus qu’elle n’est et ne peut se convertir en un protectorat des Nations Unies.
Le rôle des Nations Unies est d’aider le gouvernement et le peuple haïtiens à consolider leur souveraineté et leur autodétermination. La MINUSTAH est restée dans ce pays avec un mandat tout à fait précis de promotion de la stabilité qu’il aurait fallu rigoureusement respecter. La MINUSTAH n’est pas habilitée à s’immiscer sur le plan politique dans des affaires intérieures qui ne relèvent que des Haïtiens. On ne saurait accepter qu’elle se mêle des choix électoraux ou qu’elle exerce des pressions sur les autorités souveraines dans un sens ou dans un autre. Elle n’est pas non plus habilitée à parler au nom d’Haïti.
Cuba est fermement convaincue que la situation humanitaire en Haïti est du ressort, non du Conseil de sécurité, mais de l’Assemblée générale dont il usurpe fréquemment, comme en l’occurrence, les facultés. Haïti n’est pas une question qui menace la paix et la sécurité internationales, ni qui peut se régler par des forces militaires conçues pour des opérations de maintien de la paix. Par ailleurs, les sérieuses conséquences des omissions, des abus, des deux poids deux mesures et des procédés antidémocratiques dont souffre ce Conseil sont de notoriété publique.
Les problèmes de cette nation sœur découlent pour l’essentiel de siècles de pillage colonial et néocolonial, du sous-développement, d’une des dictatures les plus longues et les plus sanglantes qu’ait connue notre région et de l’intervention étrangère.
Il faudrait, une bonne fois pour toutes, respecter le droit inaliénable du peuple haïtien à l’indépendance et à l’autodétermination.
Haïti a besoin de ressources pour se relever et se développer. Elle a besoin d’engagements humains, non d’ingérence ni de manipulation politique. Elle a besoin d’un tantinet de générosité, et non de tant d’égoïsme.
Je vous remercie.