Source: CADTM par Pauline Imbach, Sophie Perchellet
A l’occasion de la cérémonie du 14 juillet 2010 et pour célébrer le cinquantenaire des indépendances africaines, les autorités françaises ont convié plusieurs chefs d’Etat africains à une grande « réunion de famille » : 12 dirigeants des 14 anciennes colonies françaises étaient présents |1| . Le CADTM se joint à d’autres organisations |2| pour dénoncer le leurre des indépendances et exiger que la France reconnaisse enfin ses responsabilités historiques et actuelles dans l’appauvrissement des populations africaines. Les contingents des « frères d’armes » ont ouvert le défilé et la cavalerie française a pris la suite des opérations. Durant cette macabre mascarade, le public a ovationné les chefs d’Etat et leurs contingents militaires pourtant responsables de violences et de répressions vis-à-vis des populations. Tout comme la célébration du bicentenaire de l’indépendance d’Haïti en 2004, le cinquantenaire de l’indépendance des pays africains laisse un goût amer. Dans les années 60, après des décennies de luttes, les indépendances voient le jour, mais ce n’est que la partie visible de la colonisation qui disparaît. Elle perdure bel et bien à travers différents mécanismes permettant toujours plus de pillage et d’exploitation.
« Y a bon président ! »
Depuis les indépendances, des hommes « de confiance » sont installés au pouvoir et protégés par la métropole néocoloniale et son réseau d’influence, alors que les leaders africains qui prônaient la mise en place de politiques progressistes basées sur la souveraineté des peuples ont été assassinés |3| . Ainsi, des potentats soutenus par les chefs d’Etat français successifs, dirigent leurs pays d’une main de fer depuis plusieurs décennies (Sassou NGuesso au Congo, le clan Bongo au Gabon, Idriss Deby au Tchad, Étienne Gnassingbé Eyadema puis son fils Faure Gnassingbé au Togo, Paul Biya au Cameroun). En bonne tradition françafricaine, cette politique se perpétue comme le montre le récent coup d’Etat d’Abdel Aziz en Mauritanie |4|. La France n’en finit donc pas d’étaler sa complicité avec des dictateurs qui ruinent délibérément différents pays d’Afrique. Ces derniers n’hésitent d’ailleurs pas à investir leur fortune colossale en France sans être inquiétés par la justice française |5| . L’ONG Transparency International estimait en 2006 le montant des détournements de fonds en Afrique à 140 millions de dollars.
Main basse sur les ressources !
La colonisation a été un jack-pot économique basé sur le pillage des ressources naturelles. La France n’a jamais eu l’intention de renoncer à son pré carré et à l’exploitation des ressources de ses anciennes colonies. Avec la complicité des Institutions financières internationales (IFI), du Club de Paris et des multinationales (Total, Areva, Bouygues …), elle a mis en place une série de mécanismes permettant une « coopéraption » sans merci pour les peuples africains.
La dette, ou comment institutionnaliser le pillage
La dette est un mécanisme pervers de transfert des richesses. De 1960 à 1980 la dette extérieure des pays africains a augmenté de manière exponentielle. Proche de zéro en 1960, elle atteignait 10 milliards de dollars en 1970 et 89 milliards de dollars en 1980. Le service de la dette (somme du capital et des intérêts remboursés) est alors passé d’1 milliards de dollars en 1970 à 11 milliards en 1980 |6| . En 2008, le stock de la dette extérieure de l’Afrique Subsaharienne atteignait 190 milliards de dollars. Ainsi, au titre du service de la dette, plus de 18 milliards de dollars ont été transférés aux créanciers pour la seule année 2008 |7| Une grande partie de cette dette, déjà mainte fois remboursée |8|, est selon le droit international une dette odieuse (c’est-à-dire contractée par un régime non démocratique, en toute connaissance de cause des créanciers et sans bénéfice pour la population). Cette dette doit donc être déclarée nulle selon le droit international !
Au nom de l’amitié franco-africaine …
Les politiques paternalistes, menées au nom du sacro-saint « lien d’amitié » entre la France et l’Afrique, masquent à peine la volonté de domination française. Les gouvernements français successifs, courroies de transmission des intérêts des multinationales, utilisent l’aide publique au développement (APD) pour légitimer leur domination politique et économique sur le continent. Les montants promis (0,7% du RNB) ne sont jamais atteints, et pourtant gonflés par des dépenses qui ne représentent aucun flux financier vers le pays récipiendaire (allégement de dette, frais de scolarité des étudiants étrangers, frais de répression des réfugiés et des migrants…). De plus, l’aide publique est bien souvent conditionnée à l’achat de biens et services auprès d’entreprises françaises, malgré l’interdiction de cette pratique par l’OCDE.
Indépendances … Tcha tcha tcha
La France a donc célébré le néocolonialisme en faisant défiler, comble du cynisme, les criminels de guerre comme les milices Cobra qui ont sauvé le régime du dictateur Sassou Nguesso en 1997 au Congo-Brazzaville ou encore les troupes tchadiennes, composées de milliers d’enfants-soldats. En ce 14 juillet, jour qui symbolise la révolution française et la chute de l’« Ancien Régime », la France légitime les élites et les bourreaux … A l’heure où la dette menace les pays dits « développés », il est grand temps de renforcer les liens de solidarité entre les peuples et de s’inspirer des luttes libératrices de chacun. Corruption et corrupteurs, pillage et surexploitation des ressources, dette et plans d’austérité ne sont pas une malédiction africaine mais bien le poumon du système capitaliste, furieusement entretenus par les nantis de ce monde.
Notes
|1| Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo, Gabon, Mali, Mauritanie, Niger, République centrafricaine, Sénégal, Tchad, Togo. Les présidents de Côte d’Ivoire et de Madagascar ne sont pas présents.
|2| http://survie.org/activites/campagn…
|3| Patrice Lumumba en 1961, Sylvanus Olympio en 1963, Thomas Sankara en 1987…
|4| http://survie.org/billets-d-afrique…
|5| http://survie.org/IMG/pdf_Brochure_…
|6| L’Afrique sans dette. CADTM. Damien Millet.
|7| D’après le GDF 2009 de la Banque Mondiale !
|8| Les « pays en voie de développement » ont remboursé l’équivalent de 106 fois ce qu’ils devaient en 1970, mais entre temps leur dette a été multipliée par 52.