Le séisme du 12 janvier 2010 a battu les records des catastrophes naturelles qui ont frappé Haïti depuis les dix (10) dernières années.[1] Dans les trois (3) départements géographiques touchés, le nombre de personnes affectées est estimé à trois (3) millions dont des pertes en vies humaines de l’ordre de 222 000, des blessés s’élevant à plus de 300.000, des mutilés à plus de 45,000 tandis que les traumatisés psychologiques ne sont pas encore évalués. Un gigantesque mouvement de population s’est ensuivi : déplacements de population (500,000 vers les provinces), déstabilisation du tissu social (deuil et désolation, orphelins, rupture
familiale, départ à l’étranger, perte de revenus et de richesses accumulées, litiges et contentieux potentiels), désorganise l’habitat (250,000 maisons détruites). L’ampleur des
dégâts est estimée à 56% du PIB : destruction des réseaux de services publics Ed’H, Teleco, SNEP ; destruction des infrastructures et des entreprises) et exacerbation de la fragilité du pays (dramatique affaiblissement de ses institutions et structures étatiques et un accroissement
accéléré de sa dépendance aux points de vue économique (CCI, DSNCRP, dette), financier (transferts de la diaspora, dette publique externe), alimentaire et politique (MINUSTAH).
Pour de nombreux observateurs, les événements du 12 janvier 2010 ont provoqué la destruction violente d’un système vétuste qui a montré ses limites par la manifestation d’une crise permanente, structurelle et multidimensionnelle. L’ampleur de la catastrophe ou l’intensité du séisme[2] exige que des réponses systématiques soient apportées à ce qu’il faut appeler désormais la « crise haïtienne ». C’est ainsi que l’on assiste depuis le séisme à la réactivation des discours sur la construction, la reconstruction du pays et, dans une grande
mesure également, la refondation de l’État et de la nation. De nombreux acteurs se sont ainsi prononcés sur les orientations de sortie de crise ou de reconstruction du pays : le Plan
Stratégique de Sauvetage National (PSSN), les propositions du GREH, les « Voies et Moyens » des banquiers et experts financiers qui s’en remettent encore au FMI (Pierre-Marie Boisson, F. Carl Braun, Kesner Pharel et Bernard Roy), le rapport de la Commission Politique du Sénat, le Programme de Refondation de la Nation de FHONDILAC et le Programme du Gouvernement attendu pour le 17 mars 2010 avant sa présentation à la réunion des bailleurs de fonds internationaux le 31.
La réflexion proposée ici suggère d’emblée qu’aucun projet ou programme de reconstruction n’est valide que s’il s’inscrive dans une démarche globale de rupture d’avec un ensemble
d’inégalités au fondement de ce système ancien dont l’état critique a été maintes fois révélé et aujourd’hui aggravé par l’intensité du séisme. Il s’agit de ces rapports de domination qui ont historiquement sclérosé la société haïtienne et bloqué son expression et sa marche vers la construction d’un modèle fondé sur l’humain, y compris à le considérer comme un symbiote
d’un environnement plus global. Le raisonnement interroge ainsi tous les rapports de domination liés à la propriété (rapport au bien commun, aux biens publics, aux biens sociaux, en général, y compris le pouvoir politique), à la centralisation politique et la concentration administrative (rapport à la rétention du pouvoir et des services et équipements publics, rapport urbain/rural, capitale/province), aux clivages sociaux, économiques et culturels (rapport d’exclusion et rétention des biens sociaux, de prévarication), à la destruction de
l’environnement (tout le rapport à la soumission de la nature dans cette logique d’exploitation capitaliste) et à la dépendance (rapport de domination impérialiste, y compris vis-à-vis des Institutions Internationales et de leurs ONG). En effet, ces clivages et ces inégalités ont toujours dressé de grands obstacles à la construction nationale, à la redistribution des biens sociaux et à la démocratisation de l’État. Une petite minorité de 1% de la population retient plus de 40% de la richesse nationale et met en place un système étatique de prédation et de répression contre la majorité des masses paysannes et des classes populaires urbaines avec le soutien d’une petite bourgeoisie protéiforme et des puissances impérialistes.
Confrontés aux ruptures en question, les différents projets de reconstruction à cette date connus laissent transpirer plusieurs stratégies : une stratégie humanitaire, des stratégies
impérialistes, une stratégie techno-souverainiste et une stratégie démocratique et populaire. Chacune d’elle renvoie à des intérêts, des acteurs disposant d’importantes ressources susceptibles d’être mobilisées mais dans un contexte de « rationalité limitée »3, et donc où aucun d’entre eux n’est parti gagnant. Certains peuvent seulement se croire donnés favoris…
Les stratégies humanitaires
Ériger l’humanitaire en système : humanitaire caritative, humanitaire d’État, humanitaire durable
La catastrophe a provoqué un élan de générosité inestimable des peuples du monde entier : la levée de fonds de l’ONU, les dons reçus par les ONG, la levée de fonds des amis et partenaires,
les dons en nature de toutes sortes, les visites de délégations venues du monde entier etc. La mobilisation mondiale est à la hauteur du nombre de victimes et des destructions matérielles.
De toute évidence, l’aide humanitaire massive est d’une absolue nécessité « dans une situation aussi apocalyptique ». De plus, Haïti était déjà en état de catastrophe « non naturelle »,
reconnaît Jean Ziegler, compte tenu de l’imposition des trois derniers plans d’ajustement structurel du FMI ayant réduit les droits de douane du pays de 50% à 3 % et privant ainsi l’État
d’une des rares ressources à sa disposition. La production agricole a été détruite dans le sillage de cette libéralisation douanière occasionnant, du coup et de plus en plus, la dépendance alimentaire du pays consacrant plus de 70% de ses revenus d’exportation à l’importation de biens alimentaires, soit 75 % de ses besoins. Des dizaines de milliers de familles paysannes se trouvent ainsi ruinées, d’où un exode rural massif vers les centres urbains et une importante migration internationale. À tout cela s’ajoute également la flambée des prix des produits de premières nécessités dans le monde entier en 2007 et qui a été à l’origine de beaucoup d’émeutes de la faim à travers le monde, y compris dans Port-au-Prince, la capitale haïtienne se trouvant aujourd’hui ravagée par le tremblement de terre.
Donc, dans un mouvement d’empathie générale appuyé sur ce que Roland Barthes appelle les « dramatis personae »[4], c’est-à-dire sur le dénuement, la misère et la pauvreté du peuple
haïtien victime, de surcroît, d’un séisme destructeur, la conscience et la générosité des peuples du monde entier n’ont pas fléchi : il faut apporter une aide d’urgence et une assistance aux sinistrés. Ainsi, le pays a reçu des centaines de milliers de tentes, de bâches, des aides en eau potable, en vivres, en médicaments, en vêtements etc. Des personnels de santé et des professionnels divers y apportent leurs aides et leurs concours. Toutes les actions sont réalisées et administrées par un système très lourd comprenant à la fois des opérateurs multilatéraux, bilatéraux et des ONG et dont la transparence et la cohérence ne sont guère les principales
caractéristiques. D’où une asymétrie par rapport aux ressources financières récoltées pour financer l’aide d’urgence. Par exemple, les appels aux donateurs lancés par les Nations Unies
ont rapporté au début du mois de mars US $ 2,380,477,713 tandis les engagements non encore honorés à cette date s’élèvent à US $ 1,251,295,431.[5] Selon des sources proches de l’Ambassade des États-Unis en Haïti, plus de US $ 750 millions auraient été dépensés dont plus de 400 millions pour seulement les troupes militaires américaines postées dans le pays depuis le 12 janvier. Quoique ces montants ne rendent pas compte de tout le flux d’argent destiné aux interventions humanitaires, leur importance indique clairement que la situation d’urgence en
Haïti tend à devenir de vrais tonneaux des danaïdes.
De plus, l’aide d’urgence, et donc le double mouvement de générosité et de solidarité mondiale enregistré, se développe sur le terrain dans l’inorganisation la plus totale entretenant
malheureusement des réseaux maffieux et de corruption à l’opposé des motivations premières des personnes et institutions ayant cherché à manifester leur solidarité. En fait, les sinistrés continuent de réclamer des tentes tandis les camps de réfugiés manquent de tout. Le gouvernement paraît ne pas maîtriser grand-chose dans toutes ces actions tandis que des ONG d’une même famille se bousculent pour offrir les mêmes services sur les mêmes sites aux mêmes populations entraînant ainsi des effets de chevauchement et le mésusage des
ressources.[6]
De toute évidence, derrière cette stratégie humanitaire s’activent de nombreux acteurs externes allant des petites associations de citoyennes et de citoyens des pays du monde entier, en passant par les grandes institutions internationales et les puissantes ONG aux États. Toutefois, la noble motivation consistant à apporter des secours est polluée par une démarche
stratégique trahissant les différents opérateurs : l’enjeu majeur est de se positionner dans le nouveau contexte redéfinissant les rapports de forces pour la défense d’intérêts divers. L’humanitaire d’État (ou la « stratégie des vautours ») apparaît dans toute sa splendeur avec cette guerre diplomatique que livre la France aux États-Unis : elle dénonce pour ainsi dire la mainmise américaine et la volonté de ces derniers de mettre Haïti sous leur tutelle. Barack Obama, dans un article qu’il signe et paru dans Newsweek, en revanche, se défend de ne pas chercher à asservir les nations mais à les aider en se référant d’ailleurs au Plan Marshall ou aux interventions au
Kosovo ou à la Bosnie.7 Mais, personne n’est dupe des dessous électoraux de toute la médiatisation de la démarche américaine en Haïti par ces temps de renouvellement d’une partie du Congrès. Le Canada qui compte 2,000 soldats dans le pays et le Brésil ne veulent pas rester en dehors du marché tandis la République Dominicaine cherche la bonne position en raison de l’importance du marché d’Haïti qui représente pour elle le 2e partenaire commercial après les États-Unis.
La stratégie humanitaire, très forte aujourd’hui vu l’incapacité de l’État à intervenir et à apporter des réponses aux différents problèmes qui surgissent ou aggravés par le séisme, est en train de se métamorphoser dangereusement. Dans un premier temps, il y a le fait que l’humanitaire s’opère dans un mouvement de substitution des structures humanitaires aux
structures étatiques (l’ONU-OCHOA-Bill Clinton, les ONG) : le gouvernement tout comme les administrations d’État n’ont aucune emprise sur ce qui se décide pour venir en aide à la
population sinistrée. Dans un second temps, et dans une relation à la durée, l’aide humanitaire se révèle contre-productive et enlève à la personne toute son autonomie si ce n’est qu’elle tue l’instinct de survie des bénéficiaires.8 Elle est également génératrice d’inflation tandis qu’elle détruit l’économie locale. Et pourtant, un nouveau concept prend place dans le paysage et marque une variation à travers ce qui a tout l’air d’une stratégie prônant une aide humanitaire durable . Ce concept s’appui sur l’idée simple que l’aide d’urgence est temporaire mais après il s’agit de continuer à assister la population qui a fait l’objet de l’aide d’urgence. L’idée de l’ aide humanitaire durable est illustrée dans les termes suivants : à quoi bon sauver quelqu’un de la noyade si c’est pour l’abandonner ensuite sur la berge ? La stratégie humanitaire en Haïti a de beaux jours devant elle puisque prévue initialement pour six (6) mois, l’arrivée de la saison des pluies et l’insuffisance de l’accompagnement qui est fournie aux sans abris va la doper et la conduire inmanquablement vers la durabilité.
Au total, qu’elle se présente sous sa forme d’urgence ou durable, l’aide humanitaire ne peut qu’enliser le pays quoique paradoxalement la population en ait grandement besoin, ne serait-ce que dans les premiers moments. Ainsi, elle devrait s’inscrire dans une stratégie d’urgence orientée vers la recapitalisation et l’augmentation de la production locale. C’est là une idée assez angélique par rapport aux enjeux extra-humanitaires portés par tous les acteurs évoqués précédemment. Ainsi, cette nouvelle expérience de l’humanitaire en Haïti se révèle un véritable cadre pratique d’expression des intérêts de groupes et d’États puissants mettant en place des points d’ancrage pour le développement de leurs stratégies d’expansion et de domination à l’extérieur de leurs frontières territoriales.
Les stratégies impérialistes
« Adapter » Haïti au capitalisme néolibéral mondialisé
L’intensité du séisme a occasionné un net regain d’intérêt de la « Communauté Internationale » et surtout des Pays dits « Amis d’Haïti » en vue de la RECONSTRUCTION : USA, France, CANADA, BRÉSIL, République Dominicaine. D’où une multiplication des initiatives (aides humanitaires) et des sommets internationaux (Montréal en janvier et mars 2010, Saint-Domingue et New York en mars) sur la reconstruction d’Haïti. La description faite par cette « Communauté Internationale » ne se démarque pas des catégories traditionnellement utilisées pour
caractériser la situation du pays : État faible, Entité Chaotique Ingouvernable, État en faillite, État corrompu, le seul PMA de l’hémisphère, le pays plus pauvres des Amériques qui, de surcroit, vient d’être ravagé par un violent séisme causant des dégâts estimés par la BID à US $ 14 milliards. Donc, devant la destruction et l’ampleur des dégâts provoqués par le séisme, l’idée de la reconstruction d’Haïti paraît fonder une intersubjectivité inédite qui s’effrite vite dans le
dédale des rivalités inter-impérialistes.
– Barack OBAMA, le Président des États-Unis a réagi dans les minutes qui suivirent le tremblement de terre : « les États-Unis vont déployer les moyens de sa puissance pour reconstruire Haïti » : déjà 20,000 marines, occupation et contrôle des voies et moyens de communication, plus particulièrement l’Aéroport International Toussaint Louverture, en vue de filtrer les arrivants et les sortants.
– Bill Clinton, l’envoyé spécial de Ban Ki-Moon et Coordonateur de l’aide humanitaire en Haïti, présente peu après également les trois temps des interventions : « aide d’urgence, remise sur pied de l’État et reconstruction »
– Edmond Mulet, nouveau représentant des Nations Unies en Haïti en remplacement de Heidi Hannabi qui a péri dans la catastrophe, enjoint que : « La MINUSTAH y est pour au moins les dix (10) prochaines années ».
– S’opposant à l’activisme exclusiviste des États-Unis depuis le séisme, le Président de la France, Nicolas SARKOZY, exhorte les haïtiens de ne pas se laisser imposer une quelconque tutelle internationale : « À ceux qui, tirant argument du dénuement actuel des Haïtiens et de leur État, caresseraient l’idée d’une tutelle internationale sur Haïti, je dis que le peuple haïtien est meurtri, le peuple haïtien est épuisé mais le peuple haïtien est debout ».[9] Il annonce des aides diverses à la reconstruction du pays. Il faut : « reconstruire les édifices publics, les écoles, les hôpitaux, formation des
cadres administratifs (40% du personnel n’a pas répondu à l’appel), décentraliser le pays ».
– Enfin, Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds Monétaire International (FMI), lui parle d’« une aide plus vaste pour la reconstruction », sur le modèle du « Plan Marshall »
Les stratégies de reconstruction qui sous-tendent ces positions reposent sur les mêmes cadres du projet néolibéral que les pays du Nord et les Institutions Financières Internationales (IFI)
cherchent à imposer au pays depuis des lustres. Les Sommets internationaux programmés tout comme le Post Disaster Needs Assessment (PDNA) lancé par le Gouvernement ne devraient pas
accoucher d’idées nouvelles pour la reconstruction d’Haïti. Ils doivent aboutir normalement aux mêmes formules contenues dans les Programmes d’Ajustements structurels (PAS) ou le
Consensus de Washington, le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI en 2004) ou sa suite logique le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la réduction de la Pauvreté
(DSNCRP, 2007-2010), les Lois Hope 1 et 2 en 2008, le Rapport Paul Collier en 2009 et les Accords de Partenariat Économique (APE) signés en 2010. L’inventaire des projets pour Haïti
pourrait aussi bien remonter à l’Initiative pour le Bassin des Caraïbes (CBI) de Ronald Reagan ou encore le Plan Américain pour Haïti savamment analysé par l’hebdomadaire haïtien HAÏTI
PROGRÈS à la fin des années 80.
Tous ces documents et accords ont en commun d’opérer des choix qui orientent l’économie du pays vers le développement de zones franches et du tourisme, la libéralisation du commerce
extérieur, le dépouillement de l’État des prérogatives de régulation et de redistribution des richesses : la gouvernance, la décentralisation et la participation du secteur privé aux processus de décision font partie des fondamentaux de ce projet néolibéral.
La vision impérialiste est portée par un ensemble d’acteurs puissants tissant des liens très forts derrière un projet de modernisation reposant sur les formules et recettes du plan économique néolibéral. Il s’agit en effet d’un vieux projet des Etats-Unis qui remonte déjà aux années 80. Malheureusement, il n’a pas pu prendre pied en raison d’une importante et constante
contestation populaire et démocratique. Toutefois, ce projet a connu des évolutions importantes depuis cette période : vague de libéralisation en 1983, en 1986, en 1996 et en 2003, MINUSTAH et cadre de coopération intérimaire (2004), lois Hope 1 et 2 (2007-2008), stratégie pour la réduction de la pauvreté (2007-2010), plan Paul Collier(2009) et occupation militaire pour la reconstruction en 2010.
Porteuses de cette vision également, la bourgeoisie haïtienne et une classe politique désespérée cherchant à accéder au pouvoir par le truchement d’une alliance avec l’impérialisme. Le plan de sauvetage national est l’illustration la plus éloquente de ce projet : il « appelle à une mobilisation intensive de la nation, de la diaspora, des bailleurs de fonds
internationaux et des pays amis d’Haïti (…), la construction du pays représente un défi et pour le peuple haïtien et pour l’international ». D’autres voix nationales paraissent relayer des déclarations faites par un ensemble d’acteurs internationaux et se prononcent en faveur d’un vaste plan de reconstruction sur le modèle du Plan Marshall adopté par les États-Unis en 1947 au bénéfice de l’Europe occidentale ravagée par la Seconde guerre Mondiale (1939-1945). D’autres encore appellent de leurs vœux la mise sous tutelle du pays puisque l’État et les gouvernements se sont effondrés le 12 janvier (Michèle Pierre-Louis dans une interview accordé à Le Figaro, Dumas M. Siméus fait à Ban Ki-Moon des RECOMMENDATIONS FOR A NEW
‘’GOVERNANCE » STRUCTURE TO REBUILD HAITI).
Le projet de reconstruction concerne également la reconstruction physique, donc des infrastructures de masse telles que les routes, les centrales électriques, les systèmes
d’adduction d’eau potable, les édifices publics, les écoles, les hôpitaux etc., ce qui constitue un véritable marché pour les promoteurs immobiliers et les firmes d’ingénieries. Il est évident que ce marché constitue le butin de guerre pour les américains qui manifestent leur volonté de tout accaparer au grand dam de la France (et des autres impérialismes canadien ou brésilien) qui essaie de se positionner sur la reconstruction de l’État, plus particulièrement dans son relogement, la formation de ses cadres, sa décentralisation et le déplacement des populations vers le Grand Nord (Gonaïves et Cap-Haïtien).
Par ailleurs, le projet de reconstruction que veulent mettre en œuvre la « Communauté Internationale », et surtout les États-Unis, comporte un volet géostratégique identique à celui
du containment du Plan Marshall. En effet, l’approche militariste du Pentagone participe d’une démarche stratégique globale d’endiguement du socialisme cubain et du chavisme. Ainsi, le débarquement des marines s’inscrit dans cette dynamique de remilitarisation de la région latino-américaine pour terroriser les peuples en effervescence dans la foulée de l’Alba, du Banco del Sur, du PetroCaribe etc. Haïti, en fait, traine cette tradition de contestation radicale portée par la gauche et qui a toujours fait obstacle aux projets impérialistes. Cette fois-ci, les Etats-Unis ont bien compris qu’il faut mettre le paquet pour parvenir à leurs fins : « les Etats-Unis vont déployer les moyens de leur puissance pour reconstruire Haïti », a déclaré Obama dans les heures qui ont suivi la catastrophe. Et parmi les premières mesures qu’il a prises, il y a l’annonce de l’envoie d’une expédition militaire de 20.000 marines qui sont venus s’ajouter aux 7,000 militaires de la MINUSTAH (2,000 autres sont annoncés par Edmond Mulet) tandis que l’Union européenne se prépare à envoyer 11,000.
De plus, les États-Unis plus particulièrement semblent tirer les enseignements de leurs échecs répétés en Haïti dans leurs tentatives de modeler le pays sur la base de leurs intérêts
économiques et géostratégiques. Ainsi, ils ont bien pris le soin d’associer la tactique militaire à l’adhésion d’une frange de la classe politique : Dumas M. Siméus (candidat à l’élection
présidentielle de 2005 débouté par le Conseil Electoral pour cause de nationalité américaine) recommande que les Nations Unies en coopération avec la communauté internationale, les
haïtiens réformistes et les haïtiens de la diaspora, étendent leur rôle chaque jour et sur le long terme dans la gestion du pays. Il suggère que l’actuel gouvernement doit être remplacé
immédiatement par un système de gouvernance internationale établi au moins pour les 10 prochaines années. S’inscrit dans la même logique le plan stratégique de sauvetage national
dont la rédaction et le pilotage sont coordonnés par un ensemble de personnalités issues des principaux partis politiques recensés dans le pays. On y trouve des représentants de l’OPL, des représentants de la FUSION des Socio-Démocrates Haïtiens, d’anciens ministres du pouvoir LAVALAS, des membres du Mouvement pour l’Instauration de la Démocratie en Haïti (MIDH) etc. À rappeler aussi que le coordonnateur général n’est autre que Rudolph Henri Boulos, ancien Sénateur département du Nord-Est exclu du Grand Corps en raison de sa nationalité
américaine.
La stratégie techno-souverainiste
Reconstruire Haïti sur des bases modernes et à partir d’un projet national porté par des haïtiens Les tenants de cette stratégie s’appuient sur l’idée de l’effondrement physique d’un
certain nombre de structures dans le pays, y compris étatiques, et l’incapacité du gouvernement en place à apporter les réponses qu’il faut à la tragédie engendrée par le séisme.
Cette stratégie repose sur le constat que le séisme a causé l’effondrement de la continuité et la légitimité du gouvernement, l’effondrement de la souveraineté de l’Etat et l’effondrement de l’avenir indépendant d’Haïti. Il s’agit donc de reconstruire tout cela : « des communautés locales et une nation intégrative, des réseaux de communication sociale et des centres de culture, des institutions politiques et la souveraineté fragilisée de l’État, en plus des infrastructures et structures ». Cette nouvelle société devra être construite par « le peuple haïtien unifié, soutenu par la solidarité internationale ».
Cette vision à l’origine de laquelle se trouvent des intellectuels haïtiens-québécois est relayée
par la Fondation Haïtienne pour le Développement Intégral Latino-Américain et Caribéen
(FONHDILAC). En effet, ces acteurs proposent une vision d’un pays « moderne, administrativement et économiquement décentralisée, politiquement stable et bien intégrée
dans le concert des nations, qui serait l’exception de la Caraïbe au triple point de vue politique, économique et culturel et où il ferait bon vivre ».
La stratégie démocratique populaire
Construire un pays nouveau fondé sur la démocratisation des décisions, la juste répartition des biens sociaux et la protection de l’environnement. Cette stratégie met en cause le mode d’organisation de l’économie du pays et ses externalités sociales et humaines (inégalités), politiques (appauvrissement/affaiblissement de l’État) et environnementales (destruction et gaspillage des ressources naturelles).
Pour la stratégie démocratique et populaire, il ne s’agit pas de reconstruire ces mêmes rapports obsolètes mais de construire un autre pays sur des bases justes et égalitaires. La voie socialiste, démocratique et populaire est celle qui est proposée dans le cadre de cette construction alternative. Dès lors, le point de départ de cette construction réside dans la démocratisation des décisions pour permettre à toutes les citoyennes et tous les citoyens d’exprimer leurs revendications et leurs aspirations dans un pays nouveau libéré de toute domination et des injustices de toutes sortes. Cette stratégie s’ouvre et s’appuie clairement sur la solidarité des peuples du monde entier dans un mouvement global de mutualisation des ressources et des expériences ou encore d’enrichissement réciproque. Elle s’oppose ainsi à l’approche mercantile
des rapports économiques fondés sur la libre concurrence, la marchandisation universelle, l’expansionnisme (colonisation et mondialisation, pillage des ressources) au fondement du
capitalisme.
Cette alternative est portée et débattue dans des milieux d’universitaires, d’organisations de base (populaires urbaines, paysannes, de femmes, de jeunes) et d’organisations cadres
d’éducation populaire, de droits humains et de développement alternatif.
Notes
[1] En 2004, le passage de l’ouragan Jeanne a jeté le pays dans une grande désolation avec un bilan de plus 80,000
victimes dont 3,000 morts : la ville des Gonaïves était totalement submergée également. En 2008, le pays est de
nouveau touché par quatre (4) cyclones successifs causant 800,000 victimes dont près d’un millier de pertes en vie
humaine, ravageant la ville de Cabaret tandis que celle des Gonaïves est de nouveau totalement submergée par les
eaux. Les dégâts sont estimés à des centaines de millions de dollars : infrastructures routières détruites et champs
ravagés.
[2] Trois (3) millions de personnes affectées : pertes en vies humaines (+220,000 selon les estimations), blessés
(+300.000), de mutilés (+4,000) et de traumatisés (ND), ampleur des dégâts (56% du PIB : destruction des réseaux
de services publics Ed’H, Teleco, SNEP ; destruction des infrastructures et des entreprises), déplacements de
population (500,000 vers les provinces), déstabilisation du tissu social (deuil et désolation, orphelins, rupture
familiale, départ à l’étranger, perte de revenus et de richesses accumulées, litiges et contentieux potentiels),
désorganise l’habitat (225,000 maisons détruites) et exacerbation de la fragilité du pays (dramatique
affaiblissement de ses institutions et structures étatiques et un accroissement accéléré de sa dépendance aux
points de vue économique (CCI, DSNCRP, dette), financier (transferts de la diaspora, dette publique externe),
alimentaire et politique (MINUSTAH).
[3] Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’acteur et le système. La logique de l’action collective, Paris, Seuil, 1977.
[4] Roland Barthes, « Structure du fait divers », In Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, pp. 184-197.
[5] Source : http://ocha.unog.ch/fts/reports/daily/ocha_R10_E15797_asof___1003111210.pdf, 11 mars 2010, 10:21
AM heure d’Haïti.
[6] Pour une évaluation globale de l’action/système humanitaire : http://www.humanrights-geneva.info/spip.php?article7379
[7] Barak Obama, “Why Haiti Matters… What America must do now – and why”, http://www.newsweek.com/id/231131, 11 mars 2010, 2:35 PM.
[8] Au colloque «Reconstruire Haïti» – Le Premier Ministre d’Haïti, Jean-Max Bellerive, dit craindre que l’aide
humanitaire ne devienne une habitude.
http://www.ledevoir.com/international/actualites-internationales/284495/colloque-reconstruire-haiti-jean-
max-bellerive-craint-que-l-aide-humanitaire-ne-devienne-une-habitude
[9] Sources : Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/international/2010/02/17/01003-20100217ARTFIG00745-sarkozy-aux-
haitiens-de-construire-un-projet-national-.php, 11 mars 2010, 3:11 PM.