Quelques semaines après le seïsme du 12 janvier 2010, le Ministère de l’Agriculture des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) a produit un document dénommé « Programme Spécial d’Urgence et d’Appui à la Production Alimentaire ». Diverses organisations paysannes et le Programme de Plaidoyer pour la Souveraineté Alimentaire (PPSA) de la PAPDA dénoncent le fait que ce document ne rompt nullement avec les politiques néolibérales.
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Ces politiques ont frappé les communautés rurales au coeur, provoquant alors la massification de l’exode rurale et la bidonvillisation accélérée. Ces politiques ont affaibli les capacités d’intervention de l’État haïtien qui n’a pas su mettre en place des politiques économiques, sociales et des mécanismes de contrôle et d’encadrement de la population. Les effets de ces politiques ont transformé un phénomène naturel en catastrophe.
Le Document De Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP), publié en 2007, constitue le cadre de référence des politiques publiques de l’État haïtien. L’agriculture y est abordée comme un vecteur de croissance et un secteur prioritaire. Mais on constate que le document renferme le politiques néolibérales et donne la priorité aux intérêts internationaux sur les intérêts locaux dans le domaine de l’agriculture. Le Programme Spécial d’Urgence s’inscrit dans la même logique.
Le noeud des contradictions et la limite du programme du MARNDR
Quand le document requiert l’utilisation des produits locaux dans l’humanitaire, il s’agit d’un point positif, mais en même temps il faut faire attention car la disponibilité des stocks provenant de l’agriculture locale n’est pas le fruit du hasard sinon la conséquence de toute une politique qui devrait exister bien avant : appui à la production, formation, stockage, transformation, etc. Sur le terrain on constate que dans l’humanitaire également, le souci d’intérêt et de profit du capitalisme n’en finit pas.
Il est tout à fait intéressant de voir la question des intrants comme une exigence pour la production, au sens de fournir les engrais et autres aux paysans à un prix subventionné, cette idée est dégagée dans le programme du ministère. Mais ceci devait être bémolisé dans la mesure où, d’une part, considérant par exemple l’importation des engrais comme un marché juteux pour les transnationales qui vont absorber une grande partie du budget, car nous ne produisons les engrais sur place, la question se complique.
Près de 24 millions de dollars américains sont orientés vers l’achat des intrants dans un jeu de dépendance qui fait les frais des transnationales et des intermédiaires locaux. De pareilles situations n’ont rien à voir avec une agriculture souveraine et paysanne axée sur la capitalisation des appauvris. Il s’agit plutôt d’un mécanisme de dépendance. Le Programme d’urgence du Ministère ne rompt pas avec le néolibéralisme, sinon il l’entretient et le développe dans un contexte de crise.
De plus, le budget total du programme est de 587 926 799 dollars américains ; l’ Etat haïtien dispose seulement de 4 500 000, donc il faut rechercher 583 426 799 dollars américain. En d’autres termes on a 0,008%. Sans trop de commentaire on voit déjà ce qui adviendra : ce sera un programme remanié, dicté et commandité par l’international. Le document n’apporte aucun souffle nouveau. Le MARNDR nie l’xistence et la force que représente la classe paysanne. Ce choix néolibéral nie les savoir feire populaires.
Vers une approche de la reconstruction
Les réflexions du PPSA de la PAPDA et les organisations paysannes s’expriment dans une approche de construction du pays qui tiendra compte de la réalité haïtienne.
Il est impérieux qu’il y a une rupture par rapport au néolibéral:
1.Rupture au modèle de développement par rapport au néolibéral ;
2.Rupture par rapport à l’exclusion ;
3.Rupture par rapport à l’impérialisme ;
4.Rupture par rapport à l’Etat centralisateur de 1915.
Pour mener à point la reconstruction il faut miser sur 4 forces sociales qui seront a même de porter ce projet.
1.Les femmes
2.La paysannerie
3.Les jeunes
4.Les artistes et artisans
Il faut reconstruire autour de 4 axes principaux :
1.L’agriculture qui répond a 3 défis
– Souveraineté alimentaire
– Création d’emplois
– Résolution du problème de l’environnement
2.L’environnement
3.L’éducation
4.La culture
On trouve dans cette interrelation 3 moments principaux :
1.Nettoyage et accompagnement ;
2.Accompagnement psychosocial
3.Infrastructure
– Lancer la mobilisation autour de la reconstruction
– Moratoire sur la dette
– Reforme agraire.
Compréhensions et recommandations dégagées
1.La logique qui permet à certaines familles paysannes de recevoir une paire de pondeuses, d’un caprin, d’un ou 2 livres de semences dans une distribution éloignée de toute une vision de promotion communautaire et de croissance avec des structures d’encadrement permanent va permettre la continuité des pratiques politiciennes de partis, de groupes et d’accumulation d’électorats, ce qui donne aucune chance d’augmentation réelle de l’offre alimentaire;
2.Le visage de mépris du MARNDR face aux cris de la société civile, les étudiants de Damien en particulier, est clairement exprimé dans ce document. Nous rappelons le bouleversement du mois avril 2008 où le mouvement social haïtien a gagné les rues de plusieurs villes. Il y a eu un accord avec le MARNDR après les vives manifestations des étudiants. Cet accord n’est pas respecté. La réouverture de tous les centres d’animations agricoles demeure encore une exigence de premier plan ;
3.La question de l’aide alimentaire provenant de l’étranger est un obstacle pour le développement de l’agriculture paysanne, c’est pourquoi nous réclamons une politique de souveraineté alimentaire et non de sécurité alimentaire, d’où la nécessite de renforcer les organisations paysannes ;
4.Cesser l’importation de l’eau, car on peut traiter de l’eau sur place pour donner à notre population puisque nous en avons assez de ressource ;
5.Compte tenu du contexte, même si les organisations paysannes ne font pas de politiques directement, la situation d’aujourd’hui nous oblige à prendre des décisions politiques qui s’imposent. Il est important de réfléchir à ce sujet ;
6.Il faut parvenir à la décentralisation afin de doter le pays d’une structure capable de répondre à ces exigences ;
7.La redynamisation du secteur agricole ne pourra pas se faire sans une articulation avec les autres secteurs de production comme les micro-entreprises de transformation agricole et spécialisées dans la production d’équipements agricoles. La dynamisation de la demande intérieure permet de développer des synergies qui intensifient l’accumulation, génèrent des emplois et permettent au pays de se créer de nouveaux avantages comparatifs et de partir à la conquête des marchés d’exportation régionaux ;
8.Assurer le rééquilibre des revenus entre le rural et l’urbain est le défi d’aujourd’hui. Cela nécessitera une révision des politiques d’allocation des ressources de l’Etat qui ont été très défavorables à la paysannerie et au renforcement de ses actifs ;
9.La crise alimentaire dans laquelle se trouve le pays constitue en même temps un défi et une opportunité qu’il faut prendre en compte. La faillite du modèle d’économie néolibérale implémentée aujourd’hui traduit la nécessité de faire une agriculture tournée vers la production interne et ceci, au croisement du développement des mécanismes renforçant le lien entre cette production et nos exportations. La réduction de la pauvreté passe par la redynamisation du secteur agricole. Pour atteindre cet objectif, des interventions dans ce secteur sont aujourd’hui nécessaires afin de réduire l’atomisation qui caractérise la production agricole en Haïti ;
10.Réduire la pauvreté nécessitera que l’entreprenariat agricole soit développé, que les associations de producteurs et la chaîne de valeur soient renforcées. Cela réclame de la part de l’Etat une option claire en faveur de l’agriculture comme moteur d’une croissance réductrice de pauvreté. Une réponse adéquate par rapport à ce qui pousse l’Etat à mener des politiques comme la libéralisation des marchés ou la surévaluation de la monnaie afin de nourrir à meilleur prix les urbains au détriment des ruraux ;
11.Le fonctionnement des centres d’animation agricole comme espace capable de pouvoir rendre dynamique tout un programme défini qui doivent prendre corps en la mise en fonction des différentes branches des sciences agricoles comme base durable de la création d’emplois, des richesses et de la valorisation de notre patrimoine productif et humain ;
12. Le développement d’une stratégie de croissance axée sur l’agriculture doit prendre en considération le fait que d’immenses contraintes pèsent sur l’évolution du secteur agricole tel que la complexité des régimes fonciers, l’inaccessibilité au crédit, la faible fertilité des sols et la faible productivité des exploitations agricoles. ;
13.Il faut nous renforcer et agir au plus vite tout en se serrant les coudes au sein de plusieurs secteurs ;
14.Apres les 4 cyclones, les 197 millions de dollars sont détournés et au niveau de l’Artibonite, l’ODVA ne fait rien de concret pour soutenir la production agricole, problèmes sérieux par rapport à l’accès des engrais et pas de semence, cela pourrait déboucher sur une crise;
15. Il faut profiter de cette crise pour arriver a une reforme agraire intégrée ;
16.Le Ministère de l’éducation nationale doit entrer dans les curricula la réflexion sur la reconstruction du pays ;
17.Il faut remettre en question le modèle d’habitat qui doit être en harmonie avec l’environnement ;
18.Les problèmes fonciers doivent être résolus parce qu’ils limitent en grande partie la stabilité, la productivité, le rendement et la durabilité de la production agricole et l’élevage. Ils entravent la question de l’environnement, tout en encourageant la migration des gens vers les villes et ailleurs, handicapant les chances d’une équilibre et d’une stabilité de sécurité sociale au niveau des communautés rurales surtout et des collectivités en particulier ;
19.Contrairement à l’option libérale pour qui les contraintes justifient l’abandon de la production agricole orientée vers le marché interne, la stratégie alternative consiste à réduire leur poids sur les potentialités de croissance du secteur agricole et l’application de politiques d’encadrement qui favorisent sa relance. Les mesures suivantes devront être prises pour une relance de la production agricole :
– une réforme agraire axée sur un regroupement des exploitations paysannes afin de contrecarrer leur morcellement
– reconsidérer la réforme des modes de gestion du foncier ce qui est discriminatoire pour la petite-paysannerie
– le relèvement des tarifs douaniers sélectifs en faveur du secteur agricole et l’adoption d’une politique d’appui à la production
– la création d’institutions de crédit spécialisées et de banques de développements agricoles adaptées aux besoins en financement du secteur afin de stimuler la production
– La dynamisation des circuits de production et de commercialisation et l’amélioration des réseaux routiers.
Retrouvez la liste des organisations paysannes qui ont produit ces commentaires dans le rapport complèt.