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Position des Mouvements sociaux haïtiens sur le processus de “reconstruction” d’Haïti

Les organisations et mouvements sociaux haïtiens dénoncent le processus adopté pour la formulation du « Plan de Reconstruction d’Haïti« , document de base ayant servi aux discussions de la Conférence des bailleurs qui s’est achevée le 17 mars à Santo Domingo, vu que ce processus s’est caractérisé par une exclusion quasi-totale des acteurs sociaux haïtiens et une participation faible et non-coordonnée des représentants de l’Etat haïtien.


La voie tracée pour la reconstruction d’Haïti à travers le PDNA (Evaluation post-désastre) ne peut satisfaire les attentes du peuple haïtien étant donné que ce processus n’est pas conçu pour stimuler le développement, sinon pour une restauration, alors que le contexte en Haïti, désormais, exige une réorientation complète du modèle de développement.

Il est regrettable que ce document produit par un groupe de 300 fonctionnaires internationaux et nationaux soit présenté en premier lieu aux bailleurs sans qu’un large processus de consultation des acteurs sociaux haïtiens n’ait été conduit au préalable.

Nous considérons que la réunion prévue le 19 mars avec quelques organisations de la société civile à Port-au-Prince, ne saurait remplacer les véritables mécanismes de participation des différentes composantes de la société haïtienne dans la définition d’un avenir commun.

La situation de crise générée par le tremblement de terre nous place devant le défi d’entamer un processus alternatif destiné à définir un nouveau projet de Nation qui englobe de bonnes stratégies pour dépasser l’exclusion, la dépendance politique et économique ainsi que la pauvreté.

Pour que cette nouvelle orientation puisse se matérialiser et nous conduire vers une nouvelle ère de prospérité, il faut divorcer avec les paradigmes choisis jusqu’à présent et développer un processus inclusif de mobilisation des acteurs sociaux nationaux. Pour atteindre cet objectif, il faut engager les ruptures suivantes :

1- Rupture avec l’exclusion. Rompre avec cette dynamique demeure une condition essentielle pour une véritable intégration basée sur la justice sociale et tournée vers le renforcement de la cohésion nationale. Cela implique la participation et la mobilisation des forces sociales traditionnellement exclues, notamment les femmes, les paysans/nes, les jeunes, les artisans; etc. Cela implique également le refus des structures officielles actuelles d’oppression et l’invention d’un nouvel Etat, dont la praxis s’oriente vers le bien-être de la population, la transparence, l’institutionnalisation, la justice sociale, le respect de la diversité et des droits humains.


2. Rupture avec la dépendance économique.
Construire un modèle économique qui stimule la production nationale en priorisant l’agriculture, l’élevage, et l’agro-industrie tournée d’abord vers la satisfaction de nos besoins alimentaires (céréales, tubercules, lait, fruits, poissons, viandes, etc).

Ce nouveau modèle ne doit pas être dominé par la logique d’accumulation excessive de richesses ni par la spéculation mais plutôt orienté vers le bien-être de la population, la valorisation de notre culture nationale et la récupération de nos ressources forestières. Ce modèle doit aussi réduire la dépendance aux combustibles fossiles en promouvant l’évolution vers l’utilisation des immenses réserves d’énergies renouvelables disponibles dans notre pays.

3- Rupture avec la centralisation excessive du pouvoir et des services publics. Le nouveau cadre de développement doit aider à mettre en place un modèle de gouvernance basée sur la décentralisation des décisions, des services et des ressources ainsi que le renforcement des capacités des gouvernements locaux et des organisations de la société civile.


4. Rupture avec les rapports actuels de propriété de la terre.
Instaurer un processus de réorganisation de l’espace physique dans les villes et villages. Cela implique la mise en œuvre d’une réforme agraire intégrale et d’une réforme urbaine qui permette de résoudre le problème de logements de plus d’un million de personnes déplacées après le séisme; en même temps développer des espaces publics et des biens sociaux, tels que des écoles et parcs publics et garder un contrôle de l’extension des villes, etc. Pour relever de tels défis, il est nécessaire de redéfinir le rôle de l’Etat et son fonctionnement.

Ce projet national dont nous rêvons pour le développement intégral d’Haïti doit inclure un nouveau système d’éducation publique qui facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous les enfants, filles et garçons, sans distinction et sans discrimination, la valorisation de la langue créole parlée par l’ensemble de la population, une forte sensibilisation sur la protection de l’environnement et la prévention des risques liés aux catastrophes naturelles; la réorganisation du système de santé avec des hôpitaux établis dans les différents départements, la valorisation de la médecine traditionnelle et une attention particulière à la santé des femmes; un système d’ Etat civil qui accorde les mêmes droits aux enfants, indépendamment de leurs conditions de naissance, un système de justice qui facilite l’accès à la justice pour tous et toutes et qui combat la corruption.

En ce qui a trait à la gouvernance, nous voulons un Etat qui conserve le contrôle de la gestion du pays, assume le leadership et la coordination de l’aide internationale, qui défend les intérêts de la nation aussi bien a l’ intérieur du pays qu’a l’étranger(les migrants haïtiens a l’étranger).

Quant aux relations internationales, le pays doit développer de nouveaux rapports avec les pays amis, en renforçant sa capacité de défendre ses intérêts et l’amitié entre les Etats et les peuples. Il convient de formaliser les rapports avec la République Dominicaine sous différents aspects, tels le commerce, les marchés binationaux, la migration.

Nous réclamons l’annulation de toutes les dettes d’Haïti. Que la tragédie du tremblement de terre ne devienne pas une opportunité d’endetter davantage le pays !

Pour construire ce nouveau modèle de développement, cela exige la participation et la mobilisation intense, constante et large de tous les secteurs de la nation, particulièrement des secteurs populaires qui ont un intérêt majeur dans la décentralisation et un meilleur accès des biens publics (santé, éducation, eau potable, assainissement, communication, énergie électrique et logement). Les secteurs exploités et exclus doivent être les principaux acteurs de ce processus.

Les Mouvements sociaux parties prenantes de cette Déclaration lancent un appel à la mobilisation et s’engagent à réaliser bientôt une Assemblée du Peuple Haïtien au cours de laquelle les défis seront abordés et les stratégies définies en vue de la construction alternative de notre pays.

Port-au-Prince, le 18 mars 2010

Pour authentification:

Colette Lespinasse

GARR

Liste non-exhaustive d’organisations ayant pris part à des réunions où ces idées ont été discutées :

PAPDA, GARR, SOFA, FENATEC, CHANDEL, CIPJD, REBA, TKL, FOIE ET JOIE, Cellules de Réflexion et d’Action coordonnée par les Jésuites haïtiens, Confédération des Haïtiens pour la Réconciliation, Alterpresse, Enfofanm, Fondation Toya, AFASDA, Zanmi Timoun, MPP, CROSE, KSIL, KONAREPA, PADEP, MOREPLA.