La coalition Nationale BARE APE proteste vivement contre la signature des APE le 10 décembre dernier (journée internationale des Droits de l’Homme) par le nouveau gouvernement Préval / Bellerive et appelle les (candidats) parlementaires haïtiens à prendre position contre ces Accords et de ne pas ratifier les APE qui constituent l’enterrement de l’économie Haïtienne. Le gouvernement haïtien, après s’être rétracté à plusieurs reprises par rapport aux négociations des APE avec l’UE dans le cadre du CARICOM, a décidé, contre toute attente, à signer la lettre de mort de millions de citoyens haïtiens. Avec la signature des APE le gouvernement Bellerive met en péril le secteur agricole, la production nationale, la souveraineté, le droit à l’autodétermination du pays et ouvre la voie aux grandes multinationales de l’Union Européenne à occuper une place de choix dans le secteur des services en Haïti.
La coalition BARE APE déplore également que les négociations et la signature se sont déroulées dans la plus grande opacité. Dans plusieurs lettres adressées aux gouvernements Préval/Alexis et Préval/Pierre-Louis et au Président de la République(1), la coalition BARE APE avait montré que la signature des APE n’apporte aucun avantage à notre pays. En dépit de notre statut de PMA qui nous donnait un accès privilégié et non-réciproque sur le marché européen, notre économie n’a pas su se renforcer, comme le prétendent ceux qui font l’éloge des accords de libéralisation avec l’UE. Comment peut-on dire qu’Haïti va profiter d’un régime commercial réciproque où l’on considère que tous les « partenaires » sont égaux sans tenir compte du fossé qui les sépare en terme de développement économique et social ?
Les dirigeants haïtiens semblent avoir vendu encore une fois la peau de la population pour se faire passer pour un « bon élève » dans la classe de la dite « communauté internationale », espérant ainsi le déblocage des fonds et une supposée annulation de la dette de la part de la France. Cette stratégie de tête-en-bas – appliquée depuis des années n’a fait qu’accélérer la paupérisation de notre pays. Ce sont ces mêmes soi-disant représentants de la population qui, en 1996, avaient signé la lettre de mort de l’économie haïtienne qui ont décidé de l’enterrer aujourd’hui. La population haïtienne doit se poser des questions sur les vrais mobiles du pouvoir exécutif et du gouvernement haïtien qui a choisi de travailler au bénéfice de l’international au lieu de répondre à ses engagements face aux populations haïtiennes.
Les APE : Monnaie d’échange pour la reconnaissance du gouvernement
La signature intervient dans un contexte de froid avec la « communauté internationale », inquiète pour ses intérêts immédiats avec l’installation du gouvernement Préval/Bellerive après la débâcle de l’ex-Premier Ministre Michèle D. Pierre-Louis. Cette dite « communauté », à travers ses instruments internationaux et représentants en Haïti, rechignait à reconnaître et collaborer avec le nouveau gouvernement. L’UE – particulièrement la France, pour octroyer une soi-disant « aide au développement » et annuler une partie de la dette externe d’Haïti estimée à quelques 50 millions de dollars par la France – a imposé tout un ensemble de conditions au gouvernement haïtien. Particulièrement, le gouvernement devrait accepter plusieurs « diktats » qui, jadis étaient considérés comme éléments néfastes pour l’économique et le social dans le pays. Deux conditions sont particulièrement contraignantes pour le nouveau gouvernement :
– La signature des Accords de Partenariat Economique (APE), imposée à Haïti par l’Union Européenne et le CARICOM
– La signature de l’accord sur la gestion concertée du flux migratoire et le développement
Pendant longtemps, le gouvernement haïtien a hésité à signer ces accords considérant fondées les analyses et propositions faites par le mouvement social et populaire haïtien à travers la Coalition Nationale BARE APE (1). Cependant, on constate que le nouveau gouvernement s’est fixé d’autres priorités que la protection de la faible économie et l’amélioration de la situation socio-économique de la population. La nouvelle conjoncture politique n’as pourtant pas changé le contenu des APE, ni les analyses pour les perspectives du pays.
Le manque de responsabilité politique crée un État esclave au service des intérêts de l’international
Les gouvernements qui se sont succédés dans le pays n’ont jamais enclenché un processus d’élaboration d’un plan global de développement pour le pays. Les dirigeants du pays préfèrent répéter un ensemble de stéréotypes et adopter un ensemble de documents élaborés par les Institutions financières internationales, comme le CCI, le DSNCRP, le plan Collier au lieu de s’atteler avec les secteurs de la vie nationale à élaborer une stratégie nationale de développement tenant compte des intérêts réels du pays et des classes majoritaires.
Rappelons que dans un mémorandum préparé par les dirigeants du secteur privé haïtien et envoyé à Monsieur Bill Clinton en juillet 2009 un groupe important d’entrepreneurs faisait de la signature des APE une priorité ce qui démontre leur absence totale de vision et leur soumission aux intérêts des multinationales qui veulent bien les utiliser comme courroie et comme courtiers.
De nombreux pays africains continuent de résister contre les APE en réclamant un accord plus vaste qui inclurait un agenda de développement, ce que les pays de l’Afrique de l’ Ouest ont appelé le PADED. Récemment le Parlement français vient de publier un nouveau rapport (2) montrant que les APE vont à l’encontre des intérêts stratégiques des ACP (Pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique) et risquent d’avoir un impact négatif sur les relations entre l’UE et ses partenaires du Sud.
La libéralisation commerciale a montré ses résultats en Haïti : création d’un pole important de pauvreté au profit d’un petit groupe d’ « affairistes », nommé « secteur privé des affaires », sous-traitant pour les grandes multinationales. La plupart des producteurs sont transformés en des consommateurs de produits importés. La filière du lait par exemple est décapitalisée au profit des industries européennes: aujourd’hui nous importons pour plus de 40 millions de dollars US de produits laitiers provenant de l’UE. D’autre part le secteur des services est déstructuré pour faciliter les investissements européens très intéressés au secteur des télécommunications (fibres optiques), au tourisme, à l’éducation, etc.
L’Union Européenne, à travers sa Délégation en Haïti, a pendant longtemps exercé de fortes pressions sur le gouvernement haïtien pour le pousser à souscrire à cet accord qui, pendant les 20 prochaines années, détruira tout ce qui restait de capacité de redynamisation de l’économie et des institutions du pays.
Plus que jamais il est clair que les options politiques de la Présidence et du gouvernement ne sont nullement de favoriser une production nationale destinée au marché local, d’assurer la souveraineté alimentaire du pays et de renforcer les bases économiques du pays. Les secteurs productifs locaux tel que l’agriculture, déjà affaibli par le manque d’investissements et l’absence de protections, disparaîtront au profit de grandes multinationales européennes sans connexion aucune avec l’économie nationale. On ne peut que conclure que le choix du gouvernement est de créer du chômage dans les secteurs qui produisent pour le marché local et d’embaucher quelques-uns de ces chômeurs pour des salaires de misère dans la sous-traitance et le secteur des services qui seront contrôlés par les multinationales et investisseurs européens.
A part se prostituer, aucune raison pour signer
Haïti en tant que Pays Moins Avancé (PMA), dans le cadre des Conventions de Lomé, avait bénéficié du mécanisme « Tout Sauf les Armes (TSA) », ce qui lui permettait d’exporter toutes ses productions vers l’Europe sans réciprocité en matière tarifaire. En théorie cela signifiait qu’Haïti pouvait exporter ses produits à des tarifs préférentiels dans l’Union Européenne sans que les exportations de l’Union vers Haïti soient taxées suivant le même principe. En dépit de ce mécanisme, les exportations d’Haïti n’ont pas cru, au contraire, nous avions constaté un net recul des échanges entre le pays et l’Europe et la balance commerciale d’Haïti reste toujours négative. Comment peut-on prétendre qu’Haïti va sortir gagnant d’un régime commercial réciproque alors que le régime non-réciproque ne lui a servi en rien ? Comment peut-on concilier les intérêts des grandes multinationales capitalistes de l’Europe avec les intérêts du peuple haïtien qui, pendant longtemps, a subi les conséquences des politiques néolibérales imposées par les institutions financières internationales avec la complicité active de l’Union Européenne ?
Ces accords sont une bombe à retardement pour le développement économique et social du pays, en particulier pour les secteurs productifs. De la même manière que les Programmes d’Ajustement Structurelles (PAS) ont balayé les services de bases tels que les soins de santé, et l’éducation, ainsi que liquidé à des prix dérisoires les entreprises d’États, les APE vont balayer les petits paysans vers les entreprises de sous-traitance à des salaires de misère. Ces accords vont étouffer dans l’œuf toute initiative visant à faire émerger de petites et moyennes entreprises nationales qui pourraient assurer des emplois durables dans le pays.
Recommandations
– Il est vrai qu’en l’état actuel des relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement, il est très difficile d’engager un dialogue en profondeur sur les intérêts collectifs. Dans le context électoral il est néanmoins nécessaire d’appeler les Parlementaires et les candidats Parlementaires de se prononcer sur les APE. Nous recommandons vivement aux (candidats) Parlementaires conscients de leur rôle de ne pas ratifier les APE afin d’éviter d’être complice de cette mort programmé du pays et de la majorité de sa population.
-Le gouvernement haïtien doit engager un dialogue constructif avec tous les secteurs du pays en vue de l’élaboration d’une stratégie nationale de développement à long terme pour le pays en tenant compte de la nécessité de profiter des opportunités régionales et aussi d’assurer le plein emploi dans le pays
– Elaborer une politique agricole pour le pays en priorisant l’agriculture paysanne et en mettant en valeur les filières qui assurent la souveraineté alimentaire du pays et qui créent des débouchés vers d’autres marchés régionaux.
– Allouer 30% du budget national au secteur agricole dont 70% de ce montant seront consacrés à des investissements réels
– Protéger et stimuler les secteurs productifs du pays en instaurant un plan de redressement économique basé sur le cadre macro-économique et qui prévoit une hausse graduelle des tarifs d’importations pour des produits qui rentrent en concurrence direct avec la production alimentaire nationale.
– Allouer 35% du budget à la fourniture des services sociaux de base et l’accessibilité des populations au DESC
– Renforcer les liens de solidarités avec des pays qui intègrent l’ALBA dans une logique d’intégration solidaire axée sur les vrais besoins du pays
– Prioriser et faciliter les investissements locaux qui sont de nature à recréer une nouvelle dynamique dans les secteurs économiques du pays
(1) Consultez entre autres: la Déclaration de la Coalition Nationale BARE APE, Octobre 2007; les lettres ouvertes envoyées aux différents chefs de gouvernement et au Président de la République, la lettre ouverte destinée aux parlementaires, la déclaration des organisations de la Caraïbe contre les APE
(2) http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/europe/rap-info/i2133.pdf