Alterpresse –
Par l’envoyée spéciale Karenine Francesca Théosmy
Pont Sondé (Artibonite, Haïti), lundi 19 octobre 2009 – (Photo’s: PAPDA)
Une marche, organisée par plus d’une centaine de paysannes et paysans de l’Artibonite, à l’occasion de la journée mondiale de l’alimentation, le vendredi 16 octobre 2009, a été dispersée à Pont Sondé (Artibonite, Nord) par un autre groupe de paysans armés de bâtons et de pierres, a observé l’agence en ligne AlterPresse.
Partis de Kafou Pèy pour arriver au Pont Sondé, les manifestants paysans voulaient protester contre la hausse du prix des engrais sur le marché de l’Artibonite.
Tout au long du parcours de la marche du 16 octobre dernier, les manifestants ont lancé des slogans revendicatifs, au rythme de musique rara, pour demander à l’Organisme de développement de l’Artibonite (Odva) de prendre ses responsabilités. Ils ont également réclamé des moyens pertinents de production qui leur permettent de travailler, tout en garantissant leur souveraineté alimentaire.
Lorsqu’ils sont arrivés devant le local de l’Odva, un autre groupe de paysans les a repoussés à coups de jets de pierres. Aucune victime n’a été signalée. Aucun responsable de l’Odva n’est venu discuter avec les manifestants et contre-manifestants, au moment où les journalistes étaient sur place.
« Ce sont des potentats, liés à l’Odva, qui auraient mobilisé un groupe de dealers d’engrais, qui revendent les engrais aux marchands, qui nous revendent eux à crédit et à des taux exorbitants », a expliqué Assancio Jacques de l’organisation Mouvement revendicatif des paysans de l’Artibonite (Morepla).
Il n’a pas été possible à AlterPresse de trouver le directeur de l’Odva pour avoir sa position sur la question d’augmentation des engrais dans la vallée de l’Artibonite.
Ce groupe de contre-manifestants paysans bénéficierait d’avantages commerciaux dans la revente, à prix élevé, des sacs d’engrais.
Ces engrais sont, pourtant, une donation du gouvernement du Venezuela à l’Etat haïtien dans le cadre du programme de relance agricole après les cyclones de 2008, rappellent les manifestants paysans.
Les planteurs de la vallée de l’Artibonite accusent l’Odva d’être le principal responsable de la vente du sac d’engrais à prix spéculatif.
Dans l’Artibonite, le sac d’engrais se vend actuellement à 1,200.00 gourdes (US $ 1.00 = 42.00 gourdes ; 1 euro = 64.00 gourdes aujourd’hui), alors que l’État avait fixé son prix à 500.00 gourdes.
La hausse du prix des engrais aurait déjà causé des pertes dans la production du riz en 2009 dans le département de l’Artibonite, d’après Jacques qui déplore que beaucoup de paysans ne peuvent pas produire sur la totalité de leurs surfaces cultivables, ni même suffisamment pour subvenir à leurs propres besoins alimentaires.
Après la perturbation du programme du 16 octobre 2009 par les contre-manifestants paysans, les paysans comptent redéfinir des stratégies pour continuer la lutte.
« La prochaine étape sera de mettre la communauté nationale et internationale au courant de la situation », affirme Assancio Jacques.
Mise en question du projet de culture jatropha
Pour les organisations revendicatives dans la vallée de l’Artibonite, la souveraineté alimentaire nationale serait entravée, d’une part, par la présence « des forces étrangères qui contrôlent, de plus en plus, les institutions du pays », et, d’autre part, par des projets contraires aux intérêts de la population, comme celui de la culture de jatropha (plante connue en Haïti sous le nom de gwo metsiyen).
Sur ce dernier point, « l’État ne reculera pas sans la pression des organisations », croit Adeline Augustin du Mouvement paysan de Papaye (Mpp / Papaye, localité de Hinche, dans le Plateau central, à 128 kilomètres au nord-est de Port-au-Prince), qui signale que, « dans le Nord-Est, beaucoup de terres sont déjà plantées en jatropha ».
La culture de cette plante dont les propriétés sont voisines du diesel, est considérée comme une opportunité de développement pour Haïti, mais aussi comme une menace à la souveraineté alimentaire.
Pour de nombreuses organisations, le risque est trop grand.
A l’heure de la célébration de la journée mondiale de l’alimentation, 1,9 millions de personnes se trouvent en situation d’insécurité alimentaire dans le pays.
La paysannerie haïtienne, qui garantit, en grande partie, l’alimentation de la population, est mise à mal par le mince budget alloué par l’État à l’agriculture, le prix élevé des intrants, la faiblesse des crédits agricoles, le manque de matériels et les problèmes de transport et de commercialisation.
La marche du 16 octobre 2009 et la rencontre qui l’a précédée s’inscrivent dans le cadre d’un cercle de plaidoyer pour la souveraineté alimentaire, notion liée à celle de souveraineté nationale, avance Camile Chalmers de la plateforme haïtienne de plaidoyer pour un développement alternatif (Papda).
La Papda prévoit de poursuivre d’autres activités de plaidoyer, notamment à l’occasion du sommet des chefs d’État sur la souveraineté alimentaire qui se tiendra à Rome du 15 au 17 novembre prochains.
« Le pays [Haïti] était auto-suffisant jusque dans les années 1972. Ce sont les politiques inadéquates (des gouvernements) qui ont changé la donne », fustige le secrétaire exécutif de la Papda.