Le texte suivant représente l’intervention du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) au cours du forum national sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire organisé par le Programme de Plaidoyer pour une Intégration Economique Alternative (IEA) de la PAPDA les 14 et 15 février 2007, avec la participation de près d’une centaine de représentants d’organisations, de mouvements paysans divers venus de 9 départements géographiques du pays et aussi avec la participation de mouvements et organisations paysannes de la Caraïbe comme la Via Campesina, le Mouvement des Sans Terre (MST) du Brésil, CONAMUCA et FEDECARES de la République Dominicaine.
A l’instar d’autres représentants du Gouvernement, d’Institutions autonomes d’Etat, de Parlement, le MARNDR a été invité à intervenir au cours des panels et ateliers de travail. Nous publions ici le texte de l’intervention de l’Agr. Wilson Durand, délégué du MARNDR dont le thème est : « Protéger et renforcer les filières prioritaires : une stratégie de sauvegarde de la culture et la souveraineté alimentaire ».
Les idées incluses dans le texte n’engagent que son auteur et ne reflètent pas forcément celles de la PAPDA et de ses membres.
Bonne lecture !!
Depuis la signature des Accords de l’Uruguay Round et de ceux mettant en place les structures et les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), on constate sur le continent américain, et plus récemment sur le continent asiatique, une tendance à la constitution de marchés communs, de zones de libre échange et d’autres types d’unions commerciales comme les unions douanières, etc. entre les pays du continent.
Des négociations sont conduites, des accords sont signés entres des groupes régionaux de pays (ZLEA, MERCOSUR, CAFTA, etc.) ou de pays à pays (accords bilatéraux) dans le but ou dans l’intention de favoriser le développement du commerce entre les parties et d’obtenir de la part du partenaire commercial un traitement prioritaire ou égalitaire pour les mêmes catégories de produits objet d’échange entre elles, ou de permettre à certaines catégories de produits venant de certains pays ou régions d’avoir un accès privilégié à tel ou tel marché (règles d’origine).
En Amérique, l’ambition annoncée est d’arriver à terme à la consolidation des différentes unions douanières, marchés communs, zones de libre échange, ainsi constitués, en une unique zone de libre échange englobant le continent américain tout entier (ZLEA). Le processus est dirigé par les Etats-Unis d’Amérique (USA) le plus important marché du continent, mais aussi le principal exportateur de bien et de services.
En ce qui concerne l’agriculture, les négociations en vue de la constitution de la ZLEA [avant la crise des négociations occasionnant leur suspension] sont déjà très avancées sur certains aspects, tels que les règles d’origine sur les produits transformés ; la définition des règles sanitaires et phytosanitaires, etc.
Depuis quelques années cependant, des résistances à l’idée de la ZLEA se manifestent en Amérique Latine, venant principalement de pays tels que le Brésil, l’Argentine auxquels se sont joints le Vénézuéla. Leur argument principal étant l’inégalité du niveau de développement des pays qui ne permet pas une égalité dans les échanges et le fait que l’accord de libre échange serait à l’avantage du pays le plus développé au détriment des autres moins développés.
On sait que pour contourner l’obstacle constitué par ces pays, les Etats-Unis d’Amérique (USA) ont signé et continue de négocier avec un certain nombre de pays du continent américain des accords de libre échange bilatéraux qu’ils essaieront sans doute par la suite de consolider dans un accord global.
Déjà donc apparaît d’un côté une volonté impériale d’uniformisation des marchés et donc des modèles de consommation et de l’autre les résistances nationales en vue de préserver les processus internes de développement et les marges de manœuvre nécessaires à leur continuation et à leur expansion future tout en conservant et en renforçant les caractéristiques et les acquis d’une économie ouverte de libre entreprise.
Dans le contexte des négociations internationales en cours visant à libéraliser les marchés et à ouvrir les économies aux échanges et aux investissements, la République d’Haïti a joué un jeu étonnant et bizarre qui a semblé ne pas tenir compte des intérêts de son économie, de ses secteurs de production, des besoins fondamentaux de sa population, bref de son avenir.
Les accords internationaux sur le commerce en qui concerne les questions de l’abaissement et de l’uniformisation des tarifs douaniers [le tarif extérieur commun (TEC) dans le cadre de la CARICOM], ont prévu un calendrier d’abaissement des tarifs pour les pays en développement différents de celui prévu pour les pays développés. Ce calendrier prétendait tenir compte de la fragilité des économies des pays les moins avancés et de leur difficulté à supporter le choc que ne manquerait pas de provoquer une diminution des ressources financières due à l’abaissement des tarifs et celui provoquer par les prix des produits importés sur les prix des produits locaux.
Le gouvernement haïtien d’alors a décidé de ne pas chercher à tirer avantage des dispositions relativement préférentielles accordées aux pays de sa catégorie. Entre 1987 et 1995, la République d’Haïti a supprimé l’ensemble des barrières non tarifaires et la presque totalité des tarifs douaniers. Ainsi, actuellement la situation est la suivante :
Niveau de tarification des produits en Haïti
– Riz 3%
– Farine de blé 0%
– Sucre 0%
– Maïs 15%
– Banane 0%
– Sorgho 0%
– Pois 5%
– Viande de porc 5%
– Viande de poulet 5%
– Oeufs 0%
– Lait 0%
– Huile 0%
Cette politique était pratiquée dans l’intention d’assurer à la population une alimentation à bon marché, mais ce faisant elle prive les agriculteurs en provoquant la baisse des prix internes des revenus nécessaires à leur subsistance et à la conduite de leurs entreprises, la production nationale dans le secteur de l’agriculture a de ce fait régressé, la part des importations dans l’offre interne de produits alimentaires a considérablement augmenté et la baisse des tarifs douaniers n’a pas été intégralement répercuté sur les prix à la consommation. De plus, la dévaluation de la monnaie nationale, subséquente à la faiblesse de la production interne a entraîné une inflation des prix des produits alimentaires qui aggrave l’état général de pauvreté.
La conséquence fondamentale de la politique de libéralisation du commerce issue des négociations internationales est une lente, parfois et inévitable déstructuration des sociétés rurales des pays pauvres dont fait partie Haïti. La libéralisation du commerce n’est pas le moyen privilégié pour dynamiser l’économie paysanne des pays pauvres.
On comprend les résistances de certains pays de l’Amérique latine au projet de création d’une immense zone de libre échange de l’Alaska à la Terre de feu.
On ne peut pas impulser le développement économique national en affaiblissant le secteur de l’agriculture, car l’agriculture en tant que secteur économique est appelé à jouer un rôle central pour le développement d’une économie essentiellement agricole ; ceci a été démontré par l’histoire de toutes les économies aujourd’hui développées ainsi que par l’analyse des rapports entre secteur dans les économies des pays pauvres.
Le développement ne peut être initié que par l’accroissement de la productivité dans le secteur agricole, productivité assurée par le progrès technique dans une agriculture qui se modernise. Cette augmentation de productivité du travail agricole est donc une question cruciale dans la problématique du développement. Or l’un des résultats des négociations internationales actuelles est d’interdire toute augmentation de la productivité du travail agricole dans les pays pauvres.
« Les sociétés paysannes se sont structurées à partir et pour la mise en œuvre de certaines forces productives au bénéfice de la collectivité toute entière ». C’est ce qui explique la rationalité économique propre des cultures paysannes qui ne sont que l’expression particulière d’une logique de société globale.
L’alimentation, les modes d’alimentation, les coutumes alimentaires, les produits d’alimentation sont partie prenante de cette logique de société. L’alimentation a-t-on dit est la forme la plus achevée de l’expression culturelle, elle construit le corps des hommes, mais participe aussi de la structuration de son univers mental et émotionnel.
La libéralisation du commerce en introduisant des produits relativement à meilleur marché ou des produits nouveaux à travers des circuits de commercialisation nouveaux, mieux organisés, structurellement reliés aux circuits internationaux de commercialisation, tend à modifier les habitudes alimentaires dans les pays pauvres ; elle invite les populations locales à se détourner des produits de production nationale pour consommer les produits importés censés de meilleure qualité et à meilleur prix. Changer le modèle de consommation c’est en effet changer la vie économique et sociale elle-même et la culture nationale se trouve de ce fait menacé.
Donc, face à la vague libérale, ce qu’il faut opposer c’est un secteur agricole forte, dynamique, saisi par la progrès technique, capable de mettre au service du développement un surplus agricole croissant un secteur agricole lié de façon dynamique à une politique d’industrialisation, réaliste, lucide, ouverte aux opportunités offertes par le monde contemporain. Car il ne faut pas l’oublier, l’évolution du monde aujourd’hui.
Mais pour réussir cette agriculture dynamique, on doit penser à associer les agriculteurs à travers leurs associations, coopératives ou autres, librement constituées, librement et démocratiquement gérées. Cette agriculture devra s’entourer également d’une environnement d’industrie de crédit, de service, elle n’est pas viable si elle demeure isolées des activités industrielles, elle n’est pas viable non plus si elle ne bénéficie pas d’un système de prix permettant un revenu et des investissements suffisants.
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