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Politique agricole, politique agraire, réforme agraire :Comment y parvenir et quels en sont les vrais protagonistes ?

Au cours du forum national sur l’agriculture et la souveraineté alimentaire organisé par le Programme de Plaidoyer pour une Intégration Economique Alternative (IEA) de la PAPDA les 14 et 15 février 2007, plusieurs intervenants d’horizons divers y compris des représentants du Gouvernement, d’Institution autonome d’Etat, des Parlement ont été invités à intervenir au cours des panels et ateliers de travail. Nous publions ici le texte de l’intervention du Directeur général de l’Institut National de la Réforme Agraire, Bernard ETHEART.

Les idées incluses dans le texte n’engagent que son auteur et ne reflètent pas forcément celles de la PAPDA et de ses membres.

Bonne lecture !!

I. Politique agricole, politique agraire – perspective historique

En termes de politique agraire, nous avons toujours été tiraillés entre deux tendances radicalement opposées. A l’occasion du colloque « Les Paysans dans la Nation Haïtienne » qui s’est tenu du 3 au 5 octobre 1986, Michel Hector a formulé l’opposition entre les deux tendances en parlant de « deux voies principales de développement :

– La voie démocratique paysanne, supposant la distribution de la terre aux cultivateurs, la petite exploitation, la prise en charge de la gestion des plantations par ceux qui la travaillent ;
– La voie aristocratique terrienne, prônée par ceux qui percevaient le développement en termes de grandes propriétés appartenant à des féodaux et sur lesquelles travailleraient les paysans en tant que serfs. »

Il faut signaler que ces deux tendances se sont manifestées avant l’indépendance alors qu’il s’agissait de savoir que faire des plantations des colons émigrés.

Près de deux siècles après l’indépendance, il n’est pas exagéré de dire que le problème posé au départ par l’appropriation des terres des colons de l’ancienne Saint-Domingue est resté, compte tenu des développements qu’il a connu par la suite, l’une des premières sources de conflits à l’intérieur du pays. La « question agraire » en Haïti, terminologie moderne plaquée sur un fait ancien, est tout entière contenue, dès 1793, dans l’opposition radicale des deux systèmes prônés à l’époque révolutionnaire par les commissaires civils Sonthonax et Polvérel.

Si nous nous permettons de faire un grand bond vers la période contemporaine, nous parlerons de ce grand mouvement vers le changement que nous avons connu après le départ de Jean-Claude Duvalier, et nous parlerons de l’opposition entre le « plan américain » le projet national qu’a si bien décrite Fritz Deshommes.

Entre ces deux moments on peut suivre les différentes tendances au niveau du pouvoir en ce qui concerne les points critique sur lesquels les deux tendances s’opposent, et pour les identifier, nous faisons appel à Fritz Deshommes qui dans un parallèle entre « plan américain » et projet national à propos de la production agricole retient les trois questions :

– Qui ? Le grand planteur < > le petit paysan
– Comment : dans quelle structure agraire ? La grande plantation < > le jardin familial
– Pour quel marché ? L’exportation < > l’alimentation de la population

Qui ?

Deux grands moments peuvent être identifiés :
– Au départ on favorisait l’installation de la « nouvelle bourgeoisie » sur les grandes plantations ;

– A partir du début du 20ème siècle on va encourager l’arriver du capital étranger. Paul Moral voit même une première tentative d’attirer le capital étranger dans la loi du 26 février 1883 de Salomon.

A ce sujet, on peut citer ce passage de Franck Blaise Le Docteur en Droit, Raymond Renaud, dans son livre le régime foncier en Haïti, …, résume les idées essentielles de la doctrine agricole, appelée progressive du Président Borno : « … Un meilleur système réside dans la collaboration d’agriculteurs instruits et munis de capitaux, même si ces agriculteurs ne sont pas haïtiens… »

Quand on entendait le Ministre de l’Agriculture du second gouvernement Aristide, Sébastien Hilaire, parler de sa « nouvelle classe d’agriculteurs », on ne pouvait s’empêcher de penser à Borno.

Comment : dans quelle structure agraire ?

En ce qui concerne la dimension des exploitations, on doit se souvenir des règlements de Sonthonax et de Toussaint interdisant les ventes de propriétés de moins de 50 carreaux. Avec le code rural de Pétion, la dimension minimale fut réduite à 10 carreaux. Boyer revint à la dimension de 50 carreaux, mais fit cependant des concessions de 5 carreaux aux « bons cultivateurs ». en 1870, une loi de Nissage Saget fera même des concessions de 3 carreaux aux militaires cantonnés dans la campagne du Sud. La loi du 26 février 1883 de Salomon parle de concessions allant de 3 à 5 carreaux. Enfin la loi du 12 février 1934 de Sténio Vincent stipule en son article 1er : Constitution du rien rural de famille : pas plus de 5 hectares.

Pour quel marché ?

Même ceux qui favorisaient la constitution de petites exploitations insistaient sur la nécessité de ne pas abandonner la production de denrées pour l’exportation.

Le règlement de Polvérel, en date du 7 février 1794, incite les cultivateurs … à ne pas étendre exagérément leurs places à vivres au détriment de la culture collective des denrées exportables.

L’article 1er de la loi du février 1883 de Salomon désigne comme bénéficiaire potentiel d’une concession Tout citoyen qui s’engagera à cultiver les denrées suivantes: café, canne-à-sucre, coton, cacao, tabac, indigo, ramie et tous autres produits d’exportation, … ».

II. Réforme agraire

Deshommes a bien montré comment l’institution chargée de réaliser la réforme agraire, l’INARA, est fille du grand mouvement de l’après 7 février 1986. Mais que s’est-il passé depuis l’adoption de la Constitution.

Quelques mois après le 29 mars 1987, le CNG publiait une règlementation du MARNDR (en l’absence de parlement, on ne pouvait pas voter de loi organique) qui ignorait totalement l’article 248 de la Constitution demandant la création de l’INARA.

Il a fallu attendre quatre ans pour que le Président Aristide confie à une commission ad hoc la tâche de préparer une loi d’application de l’article 248. Le coup d’Etat n’a pas permis l’adoption de la proposition de cette commission.

C’est pourtant sous le gouvernement issu du coup d’Etat que le Ministre de l’Agriculture chargea une autre commission de travailler sur le problème de réforme agraire. Cette commission remit son rapport en 1992, mais ce n’est pas allé plus loin.

Le 29 avril 1995 le Président Aristide, revenu au pouvoir, publie un arrêté règlementant l’organisation et le fonctionnement de l’INARA, mais en utilisant, paradoxalement, non pas le texte préparé par la commission qu’il avait formée, mais celui de la commission de Baker.

René Préval a fait beaucoup de bruit autour de l’expérience de l’Artibonite, mais les gouvernements lavalas n’ont pas utilisé les 13 années qu’ils ont passé au pouvoir, ni pour faire adopter le décret du 29 avril 1995 par le parlement, encore moins pour faire voter une loi-cadre de la réforme agraire qui dort dans les tiroirs.

Enfin, après trois années marquées par l’indifférence du second gouvernement Aristide, nous avons du faire face à l’hostilité du gouvernement intérimaire.

Aujourd’hui, c’est par hasard, dans une publication de l’IICA que m’a fait suivre un ami, que nous apprenons la création, au cours du mois de décembre 2006, d’un Groupe de Travail sur l’Agriculture (GTA) dont la mission est « d’aider le MARNDR à asseoir les bases de la politique agricole et de développement rural d’Haïti » !!!

Notes de bas de page:

  1. Fritz Deshommes, op. cit., p. 223
  2. Jacques de Cauna : Haïti : l’éternelle révolution, Editions Henri Deschamps, Port-au-Prince, 1997, pp. 299ff
  3. Fritz Deshommes, op. cit.
  4. Fritz Deshommes: Haïti: La Nation Ecartelée – Entre « plan Américain » et Projet National, Editions Cahiers Universitaires, Mai 2006
  5. Paul Moral : Le paysan haïtien, Port-au-Prince, 1978, pp. 53-54
  6. Franck Blaise: Le Problème Agraire à travers l’Histoire d’Haïti, pp. 101-102
  7. Franck Blaise, op. cit., p.110
  8. François Blancpain: La condition des paysans haïtiens – Du Code noir aux Codes ruraux, Editions Karthala, Paris, 2003, p. 64

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