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Apaisement et optimisme en Haïti

Nous reproduisons avec plaisir l’article de notre ami, Francois L’Ecuyer, publié par le quotidien LE DEVOIR de Montréal du 17 mai 2006. François est un des dirigeants de l’ONG canadienne « Alternatives Canada » qui collabore avec les mouvements sociaux des pays du Sud et entretient une coopération solidaire avec divers programmes de la PAPDA


Les résultats du second tour législatif laissent les analystes mi-figue, mi-raisin. Certes, l’extrême polarisation politique de la société haïtienne, issue de la contestation par certains partis du déroulement des dernières élections, tenues en 2000, et renforcée par l’exil forcé de l’ancien président Aristide en février 2004 et par l’occupation militaire qui a suivi, se traduit par un morcellement politique des deux chambres législatives. Toutefois, la maturité démontrée par les partis de centre-gauche, actuellement en négociation pour proposer de former un gouvernement de coalition avec le parti Lespwa du président René Préval, en étonne plus d’un.

En effet, alors qu’elles avaient été incapables de créer une coalition avant les élections, on apprend que l’Organisation du peuple en lutte (OPL), dirigée par Paul Denis, la Fusion des sociaux-démocrates de Serge Gilles et Micha Gaillard ainsi que l’Alliance démocratique (Alyans) de l’ancien maire de Port-au-Prince, Evans Paul, tiennent des pourparlers actifs afin de soumettre au président Préval leurs propositions de candidats pour le poste de premier ministre.

Préval, dont le parti Lespwa n’a obtenu que 11 sénateurs sur un total de 30 et 20 députés sur 99, n’a eu d’autre possibilité que d’entamer le dialogue avec cette coalition en formation, son choix de premier ministre devant être approuvé par les deux chambres législatives.

Leurs candidats présidentiels ayant été largement distancés le 7 février dernier, les partis OPL, Fusion et Alyans ont tout de même remporté des scores honorables aux législatives. Ils ont respectivement fait élire quatre, trois et un sénateurs ainsi que huit, quinze et onze députés. En ajoutant ces parlementaires à ceux remportés par Préval, celui-ci pourrait jouir d’une majorité aux deux chambres afin de pouvoir gouverner tout au long de son prochain mandat. C’est un atout qui lui faisait terriblement défaut lorsqu’il était président, de 1996 à 2001.

C’est le parti Fanmi Lavalas qui a subi la plus grande défaite lors des élections 2006. La formation de l’ancien président Aristide, avec qui René Préval prend de plus en plus ses distances, n’a fait élire que trois sénateurs et six députés. Les récentes déclarations de Préval, qui n’évacue pas un retour au pays d’Aristide mais encore moins un éventuel recours en justice contre celui-ci, ont néanmoins eu un impact sur les résultats du second tour législatif : deux candidats Lavalas, traînant la patte lors du premier scrutin, ont réussi à se faufiler pour remporter les sénatoriales du département de l’Ouest, où se trouve Port-au-Prince. Alors que les partisans d’Aristide comptaient sur Préval pour ramener leur président déchu au pays, il semble qu’ils aient revu leur choix lors du second tour.

Municipales à venir

On en fait rarement mention, mais la Constitution haïtienne adoptée en 1987 prévoit de nombreux mécanismes permettant une véritable décentralisation des pouvoirs ainsi que des structures de l’État haïtien, notamment les assemblées des collectivités territoriales, rendant ainsi possible une véritable participation citoyenne à la gestion de la chose publique.

Toutefois, le manque de volonté des élites politiques s’est depuis lors traduit par une incapacité à voter les législations nécessaires à cette dévolution des pouvoirs. En conséquence, le pouvoir haïtien demeure considérablement concentré à Port-au-Prince, ainsi que l’avaient imposé les États-Unis lors de leur occupation militaire du pays, de 1915 à 1934. Renouer avec ce processus de décentralisation et de participation citoyenne sera un des nombreux défis du prochain gouvernement.

Mais on vient d’apprendre par la bouche du président du Conseil électoral provisoire (CEP), Max Mathurin, que, «faute d’argent», les élections municipales, prévues le 21 juin prochain, se limiteront aux élections des maires des communes, faisant fi des prévisions constitutionnelles d’élections des assemblées et des conseils des sections communales. Gabriel Valdès, représentant en Haïti du secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, a rapidement rétorqué que les fonds étaient disponibles. Depuis, le CEP s’engouffre dans les excuses, allant jusqu’à prétexter la tenue, le 21 juin, d’un match de soccer Autriche-Brésil qui rendrait impossible la tenue de ces élections municipales…

Encore une fois, ces machinations reflètent malheureusement le rejet par les élites haïtiennes d’une véritable démocratie, d’un véritable pouvoir populaire. Selon elles, les populations haïtiennes devraient se contenter de «voter tous les cinq ans» et de laisser les élites politiques, «spécialistes de la gestion de l’État haïtien», tranquilles tout au long de leur mandat, comme le stipulent d’ailleurs les capsules audio financées par l’agence américaine d’aide au développement, USAID.

Priorité au développement social

La majorité du peuple haïtien ne peut jouir de droits citoyens à proprement parler. En effet, 60 % de la population, vivant en grande partie en milieu rural, demeure analphabète, sans baptistaire — donc sans citoyenneté — et dans des conditions d’extrême pauvreté. En matière de développement social, ces populations devront constituer les bénéficiaires prioritaires des programmes publics que le prochain gouvernement devra rapidement créer.

Alors que les violences qui ont frappé Port-au-Prince l’an dernier semblent s’estomper — les kidnappings sont en net recul dans la capitale –, la communauté internationale devra revoir le mandat de la force militaire de l’ONU présente en Haïti et prendre des engagements clairs à long terme pour accompagner le prochain gouvernement dans son programme de développement. Les importantes ressources financières — 41 millions de dollars par mois, selon l’ONU — que draine cette force d’occupation doivent être rapidement réinvesties dans le développement social et la réforme du système de justice haïtien.

Enfin, le programme transitoire d’aide au développement d’Haïti en vigueur depuis 2004, le Cadre de coopération intérimaire (CCI), devra être sensiblement revu. En effet, sur un budget frisant les 1,3 milliard de dollars, seulement 75 millions étaient consacrés à l’agriculture, un secteur économique qui fait vivre 70 % de la population et dont dépend la moitié des emplois que compte le pays. Sans emploi, sans citoyenneté, il est grand temps d’appuyer une démocratisation d’Haïti qui dépasse les limites de Port-au-Prince.