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Kòdinasyon Nasyonal k ap Plede Kòz Fanm

Port-au-Prince, 13 mars 2006

Monsieur Le Bâtonnier,

La Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP) en appui à l’appel de la SOFA à l’avantage d’attirer votre attention sur certains écarts constatés dans le déroulement du procès en Assises Criminelles sans assistance de Jury, de Éliphète Beljean et de Mackenson Pierre, deux (2) des cinq (5) accusés du viol de l’adolescente de 16 ans, Yveline Adrasse, et de sa mère, Marie Carmelle Jules.

Au moment d’interroger la mère d’Yveline plaignante et victime, intervenant à la barre le jeudi 9 mars dernier pour témoigner des faits suivant la demande du Juge, les Avocat-e-s du Conseil de la Défense se sont montré-e-s outrageux et sans compassion en exigeant à la victime d’expliquer les circonstances du viol et de décrire dans le menu détail et avec précision le déroulement du viol collectif et répété y compris la posture physique qu’elle avait au moment de l’agression. Ceci, sans faire état à d’autres étapes de l’interrogatoire ou ces Avocats acculaient la plaignante-victime, en la forçant à reprendre la scène du viol de sa fille sans considération de sa souffrance profonde et de l’assassinat tragique et odieux de celle-ci qui s’en est suivi quatre (4) mois après le crime de ce double viol collectif.

Cette situation, M. Le Bâtonnier, a dénoté clairement d’un manque d’éthique du Conseil de la Défense, méprisant toute la déontologie judiciaire, en particulier dans ce cas précis d’un Tribunal siégeant sur un cas de viol. D’ou nos vives préoccupations qui nous portent à formuler les interrogations suivantes :

A-t-on le droit, au nom de la loi, d’humilier une personne et de s’attaquer sans réserve à sa dignité ? Peut-on sommer une femme, violée et sodomisée successivement par quatre (4) hommes dans une période de moins de trois heures, à revivre l’agression subie ? Peut-on sans ambages ironiser une mère qui, tout en endurant l’agression et les menaces de cinq (5) hommes, de surcroît devait assister, impuissante, au viol répété de sa fille de 16 ans par quatre (4) individus. Est-ce qu’il est permissible, au nom de la loi et de la justice, d’agir sans considération des droits de la personne ? Appliquer la loi sous-tend-il la déshumanisation ? Un jugement équitable ne sous-tend-il pas le respect des principes relatifs aux droits de la personne à tous les niveaux?

La façon dont les questions ont été formulées et présentées à cette femme doublement victime, nous porte à douter du sens de professionnalisme des avocat-e-s du conseil de la défense. S’agissait-il de sa mise en accusation ? Cherchaient-ils/elles à prouver l’innocence de leurs clients ou à torturer la plaignante ? De telles pratiques sont contraires aux prescrits de la Constitution haïtienne qui contient dans ses articles 17- 18, des dispositions relatives à la jouissance des droits civils et politiques de tous les citoyens /citoyennes haïtiens/haïtiennes sans distinction de sexe, et également de la Convention Belem do Para ratifiée par Haïti et en ce sens, « …fait partie de la législation du pays et abrogent toutes les lois qui leur sont contraires » – (art. 276.2). Dans cet ordre d’idée, nous tenons à citer particulièrement :
l’Article 3 de cette dite convention : « Toute femme a droit à une vie libre de violence, autant dans le domaine public que privé » et;
l’Article 4 – b) « Le droit à ce que soit respecté son intégrité physique, psychique et morale » .

M. Le Bâtonnier, nous sommes préoccupées de la manière dont la défense s’active à s’enliser dans un dilatoire démesuré depuis le début du procès, le 8 mars 2006. La défense a affiché une volonté manifeste à retarder les débats devant conduire au verdict du Juge. Un procès en Assises criminelles sans assistance de Jury qui aurait pu durer deux (2) heures, va être en son troisième jour alors que le débat n’est encore entamé. Quel est le vrai motif de cette longue et outrageuse procédure? Cette manœuvre viserait-elle l’effet d’épuiser la plaignante, et de s’attaquer à sa dignité en la contraignant à revivre, durant plusieurs jours des humiliations déjà vécues, de ses agresseurs » (Tel qu’elle l’ait reconnu par devant la Cour.)

Sachant ce que c’est la souffrance d’une femme violée, et les douleurs que peut éprouver une mère par la perte de son enfant, la CONAP, en support à la SOFA, estime que les avocats de la défense devaient faire montre de plus d’éthique et de célérité pour que ce procès ait lieu dans le respect des droits des deux (2) victimes, suivant les prescriptions de l’article 4-g de la Convention Belem do Para qui dit ceci : « Le droit à un recours simple et rapide devant les tribunaux compétents, qui la protègent contre les actes qui violent ses droits ».

Nous vous demandons, M. Le Bâtonnier, d’agir pour faire prévaloir la Déontologie du Droit pour que ce procès ait lieu dans le respect des droits de la personne. Et également, pour qu’enfin les débats puissent se dérouler suivant les normes de professionnalisme – que l’éthique soit recommandée à l’égard de la dignité de la femme victime-plaignante et de sa fille.

Certaine que vous adhérez aux principes évoqués dans la présente lettre ouverte, nous vous demandons instamment de prendre les dispositions qui s’imposent afin de préserver la réputation et la noblesse de la profession et de déléguer un observateur de l’ordre auxdites Assises, et ce sera justice.

Patriotiquement,

Pour la CONAP :

Olga Benoit

Yolette A. Jeanty

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