Réaction de la Plateforme Haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) sur l’avant projet de Décret définissant le cadre général de la Décentralisation, des Principes de fonctionnement et d’Organisation des Collectivités Territoriales haïtiennes de 2005
Des avancées au niveau de la question de concertation et à celui de la définition des sections communales
Ce projet de décret semble favoriser la concertation, quand il demande que les candidats aux assemblées de section communale et aux assemblées municipales soient désignés par des organisations enregistrées à la mairie de la commune correspondante. Ce projet de décret pose différemment la question de la subdivision des communes en sections communales. Les zones urbaines, elles aussi, seront divisées en sections communales. Avec cela, la formation des assemblées municipales se trouve simplifiée; ces assemblées seront formées de représentants de sections communales, comme le dispose la constitution. Et les zones rurales comme les zones urbaines seront représentées. Mais, quand, au niveau de la loi, on dit qu’il est créé deux types de sections communales : l’urbaine et la rurale, on ne dépasse pas la discrimination des zones rurales que la Constitution condamne pourtant (voir le préambule).
Nous devons reconnaître aussi que la formulation de
l’alinéa 3 de l’article 59 du décret apporte une précision importante, quand elle parle d’assemblée municipale en lieu et place « d’assemblée communale » mentionnée dans l’article 175 de la Constitution. Car, avant dans le texte de la Constitution, l’assemblée communale n’est pas définie; on trouve plutôt assemblée de section communale et assemblée municipale.
Des problèmes d’ordre conceptuel
Ce texte comporte des problèmes d’ordre conceptuel. Chaque collectivité territoriale, département, commune ou section communale aurait à élaborer un plan de développement. Comment définir un plan de développement? Dans un contexte de pluralisme politique, qu’est ce qui peut garantir certaine concordance entre tous ces plans? Pourrait-on avoir un plan national par l’addition des 568 plans de section communale, des 140 plans de commune et des 10 plans de département? Pourtant la Constitution paraît plus claire et plus logique, quand elle parle de plans de développement à réaliser au niveau des départements et en coordination avec l’Administration Centrale.
Le texte parle de collectivités plus proches. Cela mérite une discussion. Tout citoyen participe directement à l’élection des membres des conseils de deux collectivités territoriales commune et section communale et à d’autres activités de ces entités: Ces deux collectivités territoriales lui sont également proches. La différence entre les deux se pose plutôt en termes d’affaires propres et non en ceux de proximité. Ce projet parle d’affaires locales et d’affaires propres des collectivités territoriales, sans bien les distinguer. Ce qui peut créer des confusions. Les affaires locales réfèrent aux lieux et non aux niveaux de collectivités territoriales. La notion d’affaires propres invite à chercher les responsables des services à fournir aux citoyens.
Nous trouvons dans le texte une notion de village, sans précision sur son sens. Le village remplace-t-il l’ancien quartier admis avant comme une entité administrative à mi-chemin entre la section communale et la commune. En effet, le mot quartier a plusieurs sens actuellement chez nous. Nous ne considérons pas l’ancien quartier colonial. Retenons que quartier désigne une partie d’une ville, une circonscription formée d’une ou de plusieurs sections communales disposant de service de justice de paix, d’état civil ou une partie d’une section communale. Le décret opte pour le troisième sens. Il est donc important de préciser le sort des anciens quartiers qui répondent au deuxième sens.
Le membre du CID reçoit un défraiement égal à celui d’un secrétaire d’état. Il ne peut occuper une autre fonction dans l’administration publique, ni dans une entreprise privée. Il se réunit avec le Conseil des Ministres seulement quand celui-ci travaille sur des questions de décentralisation et de développement du pays au point de vue économique, commercial, agricole et industriel (article 87.2). Il devient un membre non actif de son Assemblée Départementale. Or la Constitution lui demande de faire la liaison entre l’Administration centrale et son département (article 87.1). Comment va-t-il assurer cette liaison s’il ne travaille pas avec ses collègues de l’assemblée départementale? Il ne joue plus de rôle dans la participation. Car, ceux qui travaillent dans les structures de participation devraient, pour être efficaces, rester en contact avec le segment de population ou l’instance qu’ils représentent. Le dit défraiement est donc un salaire; le membre du CID doit vivre de ce qu’il en tire. Ce décret donne au CID un siège à établir sur le territoire de l’un des dix départements. À quoi servira ce siège? Le membre du CID devient un bureaucrate fonctionnaire. Il est vrai que l’appellation de conseil pour cette instance est impropre. Mais cela n’autorise pas à transformer ses membres en des gens qui travaillent seulement quelques jours par mois?
La confusion sur les missions des collectivités territoriales
Ce décret continue avec l’idée de surcharger les instances des collectivités territoriales déjà présente dans le décret du 28 mars 1996. Le département travaille sur un tas de dossiers; la même situation se présente pour la commune et pour le département. À la fin, on se demande s’il y a une raison pour créer trois niveaux de collectivités territoriales. Ils travaillent à peu près sur les mêmes dossiers. Ils devraient disposer des mêmes compétences techniques, pour pouvoir s’acquitter de leurs missions.
Pourtant, la Constitution donne des missions spécifiques à chaque niveau de collectivité territoriale. L’article 64 indique que la section communale s’occupe essentiellement de formation civique, économique, sociale et culturelle. Les articles 73 et 74 désignent déjà la commune pour la gestion de biens et de services collectifs. L’article 81 établit que le département travaille sur des questions de planification du développement. Les trois niveaux de collectivité territoriale n’ont pas les mêmes missions. Cela paraît bien logique.
Mais ce projet de décret veut confier toutes les missions à chaque collectivité territoriale. Seule la commune travaille sur la sécurité publique; les trois niveaux de collectivités territoriales s’occupent de l’aménagement du territoire, de la gestion du domaine foncier, de l’aménagement urbain, de l’environnement, de la gestion des ressources naturelles, du développement économique, de la planification, de la santé, d’hygiène, d’éducation, de formation professionnelle, d’alphabétisation, de culture, de sports, de loisirs, de protection civile, d’assistance et de secours, de pompes funèbres, de cimetière, d’eau., d’électricité, de marchés, d’abattoirs, de foires, de finances locales…
Pour bien saisir la portée de ce décret sur les collectivités territoriales, il serait important de travailler sur les circonscriptions administratives. Car selon les principes généraux d’organisation du territoire le décret dispose en son article 9 que le territoire est divisé en collectivités territoriales et en circonscriptions administratives. Les fonctionnaires de l’État évoluent dans le cadre de circonscriptions administratives. Car, quand on regarde la liste des missions confiées aux différentes collectivités territoriales selon les termes de ce projet de décret, on se demande s’il reste beaucoup à faire par l’État. Des grandes fonctions de l’État, seule l’administration de la justice n’apparaît pas comme une mission des collectivités territoriales. Les relations internationales figurent à un niveau important, car selon l’article 133 du projet de décret « les collectivités territoriales haïtiennes peuvent établir avec des collectivités territoriales étrangères des relations de jumelage et développer ainsi une coopération décentralisée dans les domaines économique, culturel et social »
Quand nous savons que la Constitution admet le pluralisme politique, n’y a t-il pas le risque de voir les citoyens partagés entre des options différentes pour un même objet. Dans la coopération décentralisée, les collectivités territoriales peuvent entretenir des relations avec des instances de pays de leur choix. Ces coopérations diverses peuvent différemment influencer les politiques de ces entités. Les risques de confusions pour le citoyen augmentent. Mais divers segments de la population se trouvent, dans ces conditions soumis à des influences différentes.
Le décret proclame l’unité de l’État, il est vrai. Il y a possibilité de révision d’actes de collectivités. Mais, les structures de l’État pourront-elles répondre à tant de conflits pouvant s’élever entre les collectivités territoriales et entre l’État et les collectivités territoriales, dans ces conditions? En tout cas le coût de la gestion de tant de conflits serait très élevé. Les citoyens auraient encore beaucoup plus de charges à supporter. Ou, l’État laisserait passer les différentes options économiques, sociales et culturelles sans intervenir. L’article 133 du projet de décret ne mentionne pas la coopération politique décentralisée. Mais, l’économique, le social et le culturel y sont déjà. La redondance n’est pas nécessaire.
Ne peut-on pas assister, dans ces conditions, à une liquidation de l’État? Cela irait dans le sens de la globalisation néo-libérale. Mais, cette globalisation néo-libérale n’a pas encore proclamé la fin des états, même si elle travaille à la liquidation des plus faibles. Après cette situation de perte de souveraineté connue ces dernières années, ne travaille- t-on pas effectivement à la liquidation totale de l’État haïtien?
Le bureau exécutif de la PAPDA espère que les autorités concernées vont prendre en compte nos commentaires par rapport au décret définissant le cadre général de la Décentralisation, les Principes de fonctionnement et d’Organisation des Collectivités
Territoriales haïtiennes de 2005
Pour le bureau exécutif de la PAPDA :
Franck Saint Jean
Coordonnateur de Programme