Pendant le Forum National des Acteurs Non Étatiques (ANE), des représentants de la société civile haïtienne ont réfléchi sur leur participation dans l’élaboration des stratégies de développement de leur pays. Une société civile forte se révèle indispensable pour défendre les intérêts du peuple haïtien.
« Ce forum est le point culminant d’une année de travail, » dit Ernst Abraham, membre du Comité Provisoire d’Initiative des Acteurs Non Étatiques (ANE). Les 30 novembre et 1 décembre 2005, le Forum National des Acteurs Non Étatiques (ANE) se penchait sur les recommandations faites au cours des ateliers régionaux sur l’implication de la société civile dans l’élaboration de la stratégie de Coopération entre Haïti et l’Union Européenne sous la base de l’Accord de Cotonou. L’un des objectifs du forum était de mettre en place une structure permanente qui remplacerait le comité provisoire en place depuis plus d’un an. Ainsi, les ANE seraient plus aptes à remplir leur rôle qui consiste principalement à influencer l’élaboration, la mise en œuvre, l’évaluation et le suivi de toute stratégie de développement dans le pays y compris la stratégie de coopération d’Haïti avec l’Union Européenne.
L’Accord de Cotonou entre l’Union Européenne et 77 pays africains, caribéens et pacifiques (ACP) oblige les acteurs non étatiques à participer dans la programmation, la mise en œuvre et l’évaluation des stratégies de développement. Jean Pierre Ricot, directeur de programme à la PAPDA et un autre membre du comité provisoire, retrace le contexte des activités: « Dans tous les pays ACP, des réseaux de citoyens s’organisent pour informer la population et pour créer des espaces de concertation qui doivent faciliter la participation de la grande diversité d’acteurs qui forment la société civile». Depuis 2001, la société civile se mobilise à travers toute une série d’activités telles que : forums, séminaires et ateliers de formation/information. « Malgré les critiques et réserves que nous avions formulées par rapport aux Accords de Cotonou, ses objectifs et l’étroite relation entre eux et les Programmes d’Ajustement Structurel, les Accords de Cotonou ont le mérite de créer et d’insister sur un cadre de participation des Acteurs Non Étatiques dans le processus d’élaboration de la Stratégie de Coopération.» explique Jean Pierre.
L’Union Européenne dit considérer la société civile comme un acteur majeur dans le développement durable. Les lignes budgétaires de la Commission Européenne, un financement d’environ 15 millions d’euros par an pour Haïti, s’adressent aux acteurs non étatiques qui sont invités à répondre aux appels d’offres. Bruno Montariol de la Commission Européenne en Haïti explique : « L’autre mode de financement européen s’effectue par le Fonds Européen de Développement (FED) : ces 12 dernières années, l’Union Européenne a engagé 733 millions d’euros pour Haïti. Par des protocoles financiers, l’Union Européenne détermine un ou deux secteurs de concentration sur lesquels elle se considère avoir une valeur ajoutée ».
Camille Chalmers, directeur exécutif de la PAPDA, fait ressortir les limites du cadre des négociations lancées en vue de la préparation de la stratégie de Coopération. « L’Union Européenne, sera-t-elle capable de créer des stratégies de coopération qui reflètent la réalité complexe et les besoins fondamentaux du peuple haïtien? Ou s’alignera-t-elle avec les Institutions Financières Internationales et leurs critères et dogmes, particulièrement les politiques d’ajustement structurel? » Chalmers prévient que les documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté (DSRP) de la Banque Mondiale deviennent l’instrument central de toute coopération internationale et représentent le nouveau langage pour maquiller les politiques néolibérales. Les DSRP sont la réponse des Institutions Financières Internationales à la critique de la société civile, mais un grand changement ne peut être observé, selon lui. « Les promesses et le nouvel habillage ne servent qu’à donner une nouvelle légitimité aux mêmes pratiques néolibérales. Certaines consultations se font au niveau de la société civile autour du DSRP, mais on se pose des questions sur la représentativité des entités ayant été consultées qui ne semblent pas avoir une vraie influence sur les décisions finales ». De grands conflits existent entre les opinions des pauvres et les décisions des Institutions : les mouvements populaires se prononcent pour une élimination des frais scolaires, contre une privatisation des services publics de base et pour des réformes agraires intégrales, contrairement à la politique de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire Interntional (FMI) qui demandent l’augmentation des frais scolaires, la privatisation des services publics de base, etc. Malgré le principe de souveraineté nationale (‘country ownership’), les conditionnalités se sont multipliées de 6 à 52.
L’Union Européenne dit également respecter les choix politiques d’un pays, mais attache beaucoup d’importance à la bonne gouvernance et le respect de l’État de droit. Montarial : «On peut décider de prendre des mesures appropriées contre un gouvernement et réorienter la coopération vers la société civile si nous jugeons que la situation de l’Etat de Droit est menacée et bafouée par ce même gouvernement ». Tel était le cas pour Haïti après les élections de mai 2000 ». Le ‘retour de l’État de droit’ et la grande volonté politique du gouvernement provisoire ont relancé la coopération, renchérit le représentant de la Commission Européenne, qui affirme que le dialogue politique avec le gouvernement actuel a connu un essor considérable. Les délégués de la société civile, contrairement à la Commission Européenne, se montrent très déçus quant aux promesses et résultats obtenus par le gouvernement de Gérard Latortue, surtout en ce qui concerne le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). Ils déplorent l’absence d’efforts au niveau de l’infrastructure, un des secteurs de concentration adoptés dans la stratégie de Coopération du 9ème FED par l’État haïtien et l’Union Européenne.
Des considérations ont été faites sur le Cadre de Coopération Intérimaire (CCI) auquel l’UE est le plus grand contributeur, d’après Montariol. Chalmers remarque : « Le CCI a été adopté dans une précipitation et ne traite pas les questions fondamentales comme la rationalité de la fiscalité, les problèmes fonciers, etcetera ». Le CCI donne une priorité aux zones franches et le tourisme, en guise de prioriser l’agriculture qui est l’une des revendications premières de la majorité de la société civile haïtienne. Les résultats obtenus jusque là dans le CCI sont très mitigés, selon un rapport d’évaluation publié en octobre 2005. Les participants au forum national des ANE témoignent que le processus d’élaboration, de mise en œuvre et d’évaluation du CCI n’est pas participatif et qu’il n’y a rien à voir avec les véritables revendications des couches populaires les plus défavorisées.
« Il faut être très vigilant; il y a beaucoup d’enjeux et d’opportunités dans le processus engagé par la société civile haïtienne pour participer à l’élaboration de la stratégie de coopération Union Européenne – Haïti», prévient Chalmers. Il identifie deux grands défis pour la société civile haïtienne : lutter contre la fragmentation par une rupture avec la logique de projets, et développer une culture de transparence, de contrôle et d’évaluation. La réussite du forum serait un premier pas vers une société civile forte qui est capable d’influencer les décisions politiques.