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Les mouvements paysans luttent contre l’exclusion des masses rurales

Les 23 et 24 novembre, la PAPDA a organisé un séminaire national sur la participation paysanne et la construction démocratique. Des mouvements paysans à l’échelle nationale étaient présents : ils ont réfléchi sur les mécanismes d’exclusion de la masse paysanne et sur les stratégies pour transformer ces rapports d’exclusion.


Actuellement, Haïti vit une conjoncture électorale : le calendrier est finalement rendu public et la campagne électorale s’intensifie. Les candidats tentent de gagner la confiance et les votes des paysans, car la population rurale représente toujours 65 % du pays. Pourtant, les politiciens ne s’intéressent pas aux problèmes ruraux. « Traditionnellement, les partis politiques ne veulent que plaire à la bourgeoisie élitaire du pays et aux pouvoirs étrangers impérialistes », raconte Camille Chalmers, le directeur exécutif de la PAPDA. L’agriculture a joué un rôle essentiel pour l’histoire et pour l’économie haïtienne. Haïti est toujours un pays agricole. Les mouvements paysans étaient les protagonistes du renversement du dictateur Jean-Claude Duvalier en 1986, mais leurs revendications ne se sont toujours pas réalisées. « Aujourd’hui, l’exclusion de la masse paysanne est encore renforcée par le contexte d’occupation. La classe politique ne satisfait que les intérêts des acteurs étrangers liés aux entreprises transnationales », argumente Franck Saint-Jean, coordonnateur du programme de souveraineté alimentaire de la PAPDA.

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Pour attaquer l’exclusion qui frappe les mouvements paysans, le Programme de Souveraineté Alimentaire de la PAPDA a organisé un ensemble d’activités comme par la mobilisation à l’occasion du 16 octobre à Lestère, Artibonite et un Séminaire National sur le thème ‘Participation paysanne et Construction démocratique’. Les 23 et 24 novembre 2005, plus de cent représentants de mouvements paysans et d’organisations d’accompagnement de tous les coins du pays se sont rassemblés au Bureau National d’Ethnologie à Port-au-Prince. L’objectif du séminaire : dénoncer l’exclusion actuelle dont est victime la masse rurale et également créer un espace pour construire une véritable démocratie dans l’esprit de la constitution de 1987.

« Ceci n’est pas un séminaire politique ! » prévient Josué Vaval, l’animateur du séminaire. Le but n’est pas d’appuyer un certain programme politique ou un candidat, mais d’agir pour une transformation sociale dans la perspective de l’émergence d’une nouvelle forme de politique d’Etat.

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Un des problèmes majeurs de la population rurale est l’insécurité foncière. « Le contexte légal ne leur permet pas de travailler sans crainte de perdre la terre », raconte Bernard Ethéart, le directeur d’INARA, l’Institut National pour la Réforme Agraire. L’Etat ne parvient pas à identifier les propriétaires, à délimiter les terrains, ni à définir ou faire respecter les droits des exploitants, bref à faire une véritable reforme agraire. De plus, le gouvernement et la justice sont corrompus et ont formé des alliances avec les grandons.

L’insécurité foncière empêche les paysans d’augmenter leur production et d’investir dans un développement durable, selon professeur Jean Rénol Elie de l’Université d’Etat d’Haïti. « Sans sécurité foncière, toute souveraineté alimentaire est impossible. Les conditions ne permettent pas aux paysans de protéger et d’améliorer le sol par des techniques qu’ils connaissent. Ils ne sont jamais certains s’ils vont bénéficier du fruit de leur travail. Un fermier qui travaille trop éveille des soupçons, et risque que le propriétaire inquiet le chasse de ses terres, » témoigne Elie.

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« L’agriculture haïtienne est en déclin, » constate Allen Henry d’ANDAH, l’Association Nationale des Agro-professionnels Haïtiens, « une politique orientée à l’exportation de denrées est à l’origine de la crise actuelle. » L’agriculture paysanne et familiale continue à être négligée et rejetée par la politique nationale. Les paysans se battent pour survivre. Pour Henry, cette agriculture paysanne peut être le secteur clé pour la relance de l’économie nationale. Cette vision implique le renversement total de la politique agricole du pays et se trouve confrontée à plusieurs contraints telles : le transport, la transformation et les déséquilibres économiques. « Les organisations paysannes doivent se regrouper dans un réseau pour forcer l’Etat de prendre sa responsabilité ! » conclut-il.

La crise agricole a traîné 82 pourcent de la population rurale dans la pauvreté. « Surtout la situation des femmes paysannes est pénible, » raconte Évelyne Larrieux de SOFA, Solidarité des Femmes Haïtiennes. Elle fait ressortir le rôle des femmes dans la production agricole et leur responsabilité dans la question de l’alimentation familiale. Les premières revendications des mouvements de femmes étaient de nature socio-économiquesm, mais Larrieux souligne qu’un autre problème questionne les structures sociales et les relations de pouvoir au sein de la société : « Partout dans le pays, les femmes subissent des violences physiques et psychologiques.»

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Professeur Jean Baptiste Chenet de l’ITECA, l’Institut de Technologie et Animation, identifie d’autres problèmes des mouvements paysans : l’absence de nouvelles revendications et de nouvelles dynamiques a causé une crise de vision. Chenet questionne la forme de participation préconisée dans le pays. Il plaide pour une participation basée sur les différentes luttes paysannes et pour d’autres formes de mobilisation : « Les mouvements doivent questionner la réalité, développer de nouveaux modèles d’organisations, relancer la lutte et adhérer à une vision globale pour changer la société. »

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L’exclusion paysanne a aussi des racines culturelles. La culture créole est considérée comme inférieure, malgré le rôle important de la langue créole dans la lutte de l’indépendance. George Joseph de SAKS, Société d’animation et de communication sociale, raconte que l’Etat, l’église et le système d’éducation ont toujours exclu les paysans en rejetant leur culture dite ‘diabolique’. « L’exclusion paysanne est un résultat de la dévalorisation de toute la culture paysanne. »

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Tous ces facteurs ont conduit à la déstructuration du milieu rural et à l’écrasement de la paysannerie. Selon le professeur Didier Dominique, militant de Batay Ouvriye, cette situation est un avantage pour les entreprises multinationales qui cherchent à s’installer en zones franches comme celle du Nord-Ouest. « Les entreprises cherchent des pays avec beaucoup de main d’œuvre à bon marché, avec le garanti que les salaires ne montent pas. Il faut alors empêcher que les ouvriers s’organisent en réprimant violemment toute revendication. En plus, la situation de misère généralisée dans le pays assure un afflux de main d’œuvre. » La lutte paysanne cadre dans une situation globale de prolétarisation de grandes masses de travailleurs sans terre.

Heureusement, il y a aussi des témoignages positifs. Michel Chancy, directeur de Veterimed, raconte l’initiative Lèt Agogo qui a remporté le premier prix dans un concours continental de projets d’innovation sociale. Le lait est le deuxième produit importé en Haïti, après le riz, pour une valeur de 40 millions de dollars américains. Pour augmenter la qualité et la disponibilité du lait haïtien, Veterimed aide des groupes de petits paysans à monter des unités de transformation. Le produit résultant est un produit rentable dont le paysan est le premier bénéficiaire.

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Les produits étrangers n’envahissent pas uniquement le marché du lait : plusieurs mécanismes internationaux affectent les paysans directement. Leurs droits sont menacés par des accords néolibéraux, explique Camille Chalmers, professeur en économie. « En 1994, Haïti a presque éliminé tous ses tarifs douaniers et est devenu le pays le plus ouvert du continent. Les paysans subissent la concurrence des agricultures industrielles subventionnées des Etats-Unis et de l’Europe. » Ces pays refusent d’ouvrir leurs marchés pour des produits haïtiens et n’acceptent pas que les pays du sud aident leurs paysans. Le néolibéralisme implique la privatisation des services de bases et les droits fondamentaux comme l’éducation et la santé sont ainsi traités comme des marchandises.

Le Bureau National d’Ethnologie se voit également confronté avec des politiques néolibérales. Le directeur Jean-Yves Blot se bat contre le pillage des richesses sous-marines. Des centaines de bateaux de l’époque coloniale au fond de la mer hébergent des richesses d’une valeur estimée à plus de 3 milliards de dollars et d’une grande importance culturelle, scientifique et symbolique. Depuis 1994, le gouvernement haïtien a signé plusieurs accords avec des entreprises privées. Blot souligne : « Ces entreprises privées sont des chasseurs de trésors. Elles ont déjà vidé un bateau et vendent les richesses aux enchères sur leur site web. » Le dernier contrat, négocié par le gouvernement transitoire actuel qui ne lâche aucune information, accorde 65 pourcent des fouilles subaquatiques aux entreprises étrangères …

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Les interventions riches et intenses de toute une série d’experts ont suscité beaucoup de réactions des participants. Par conséquence, les débats et les ateliers étaient vifs et animés. La motivation est grande : les délégués proposent de former des réseaux larges de mouvements paysans et de s’allier avec d’autres secteurs solidaires avec les paysans. Assancio Jacques, le représentant de MOREPLA, le Mouvement Revendicatif de Paysans de l’Artibonite est fier des résultats du Séminaire. « On a franchi le premier pas face au complot de l’Etat et de la bourgeoisie contre les paysans. » Ses yeux révèlent un espoir vivant et une grande résistance.