» Le fait de n’avoir pas inclus Haïti dans la liste des pays bénéficiant de l’annulation est le signal du cynisme et de l’hypocrisie de ce qu’on appelle la communauté internationale qui dispose d’un argument très solide pour pouvoir annuler sa dette « , a estimé le Secrétaire exécutif de la PAPDA. Camille Chalmers appelle à la cessation du paiement des intérêts de la dette. Interview !
Le Nouvelliste : Haïti est le pays le plus pauvre de l’hémisphère. Qu’est-ce qui empêche, selon vous, qu’il figure sur la liste des 38 pays appelés à voir leur dette externe annulée ?
Camille Chalmers : Le conseil d’administration de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international ne fait que confirmer la décision des ministres des Finances des pays riches du G8 adoptée en juin 2005 en Ecosse. La première chose à souligner, c’est que cette décision a provoqué une grande déception parmi tous ceux qui luttent pour plus de justice sur la planète. Il s’agit d’un montant tout à fait insignifiant. Il s’agit de 40 milliards de dollars américains sur des dettes totales dépassant les 2000 milliards de dollars US ; c’est-à-dire moins de 2% de la somme totale des dettes contractées par les pays pauvres. Il s’agit aussi d’un pourcentage relativement infime de la population mondiale. Moins de 4 à 5 % de la population mondiale seront touchée par cette mesure.
Le cadre institutionnel dans lequel cette annulation a été adoptée ne permet pas vraiment aux pays de bénéficier des effets de cette annulation. Il s’agit d’une annulation conditionnelle qui va renforcer la domination des institutions financières et des grandes puissances sur les économies des pays pauvres. C’est une autre manière d’appliquer de plus en plus les mesures d’ajustement structurel (privatisation, libéralisation du commerce extérieur, libéralisation financière) qui ont conduit à la catastrophe et à la destruction de l’économie de plus de 40 à 50 pays. Aujourd’hui, la grande pauvreté des masses, la famine qui menace beaucoup plus de pays en Afrique de l’Ouest est une conséquence avérée de ces politiques appliquées depuis les années 80.
Le fait de n’avoir pas inclus Haïti dans la liste des pays bénéficiant de l’annulation est le signal du cynisme et de l’hypocrisie de ce qu’on appelle la communauté internationale qui dispose d’un argument très solide pour pouvoir annuler sa dette. Il s’agit une dette odieuse ; parce que 45% contractée par la dictature des Duvalier ; une dette en grande partie détournée par la corruption ; des fonds qui n’ont jamais été investis réellement en Haïti par les différents gouvernements qui se sont succédé. Il s’agit d’un pays extrêmement pauvre qui figure parmi les plus pauvres de la planète et il est évident aujourd’hui, compte tenu de la grande crise que traverse ce pays du point de vue environnemental, écologique, social, politique et compte tenu des catastrophes qui nous ont affectés, au cours de l’année 2004… ce sont des arguments qui militent en faveur d’une annulation totale de la dette. Soulignons que le ministre des Finances du gouvernement de transition, Henri Bazin, lors de son intervention au cours de l’Assemblée générale de la BID au Japon avait sollicité l’annulation totale de la dette d’Haïti. Cette demande avait été prise en compte dans la Résolution 1542 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur Haïti qui explicitement avait émis des doutes sur la capacité d’Haïti à payer cette dette. Le fait qu’Haïti et des pays comme Népal ne soient pas figurés sur cette liste montre que la préoccupation des institutions financières internationales n’est pas de soulager la misère des peuples. C’est une mesure cosmétique visant non seulement à montrer la bonne volonté de ces institutions financières internationales mais qui ne signifiera absolument rien par rapport aux conditions de vie quotidienne des populations.
L. N: Au-delà du cynisme et de l’hypocrisie dénoncés, est-ce qu’on peut déduire qu’Haïti et le Népal ne sont pas assez endettés pour que leurs dettes soient annulées ?
C.C : C’est tout a fait évident que dans le cas d’Haïti et dans celui du Népal (deux pays qui traversent une crise profonde), ce sont des pays qui mériteraient une annulation immédiate de leurs dettes. D’ailleurs, ce sont des montants relativement modestes compte tenu des volumes d’endettement au niveau international. Mais cette annulation pourrait effectivement donner une contribution importante dans le relèvement économique du pays. Cette année, par exemple, Haïti a payé 66 millions de dollars américains à la Banque mondiale. De 2001 à 2004, Haïti était exportateur net de capitaux vers la Banque mondiale. Cela veut dire, nous avons donné plus d’argent que nous n’avons reçu au cours de cette période. Pendant l’année 2005, le pays a payé 66 millions de dollars cash à la Banque mondiale, bien qu’une partie (15 millions) ait été fournie par le Canada. L’essentiel a été fourni par le trésor public. Ce sont des fonds extrêmement importants compte tenu de l’étroitesse des ressources haïtiennes, de l’insuffisance des ressources fiscales. Ce sont des sommes qui auraient pu être investies dans des priorités sociales (éducation, santé, infrastructure rurale) et à soulager notre grande misère.
L.N : Que représente la dette d’Haïti par rapport à celle de la République dominicaine par exemple ?
C.C : Quatre fois moins ! Haïti a une dette estimée à un milliard de dollars. La République dominicaine a une dette de quatre milliards. Quand on fait cette analyse, il ne faut pas se tromper, il faut regarder la dimension de l’économie. La République dominicaine, c’est une économie qui exporte plusieurs milliards de dollars annuellement. Haïti ne dépasse pas 350 millions. Il faut voir le poids de la dette par rapport à la dimension de l’économie haïtienne et par rapport à ses capacités réelles de remboursement. Même si la dette en terme absolu pourrait paraître insignifiante, en terme relative elle représente un poids considérable sur les ressources et constitue une hémorragie de ressources compte tenu du contexte actuel d’Haïti.
L.N : Quel devrait être l’attitude du pays par rapport à la dette ?
C.C : Cesser de payer, c’est le réflexe normal de tout Etat, de tout gouvernement qui se préoccupe effectivement des priorités nationales. La situation que nous vivons est extrêmement angoissante, on ne peut pas s’amuser à fournir des dizaines de millions de dollars pour payer une dette qui n’a jamais servi au développement national. C’est une irresponsabilité et une décision qui vont à l’encontre des intérêts de la nation. Il faut commencer par rompre le cycle de la dépendance. Il faut sortir aussi des schémas classiques qui prétendent que payer permet de trouver d’autres crédits. C’est complètement faux !
Propos recueillis par Claude Gilles